Jean Paul Lam : « On n’a pas encore cerné les besoins du marché chinois »

Directeur depuis plusieurs années d’une entreprise spécialisée dans le marketing, la communication et l’événementiel à Shanghai, Jean Paul Lam, un jeune Mauricien au seuil de la quarantaine, a eu l’occasion de travailler avec les divers départements du gouvernement de Shanghai et a su se bâtir un important réseau de contacts dans le centre financier chinois. Devenu « workaholic », il décide, il y a deux ans, de préparer un doctorat en Law and Finance, un moyen de prendre un répit de son travail et de trouver de nouvelles inspirations. Touche à tout de nature, il se lance cette année dans la production d’un documentaire sur l’immigration chinoise, qui devrait sortir dans quelques semaines. Documentaire qu’il entend promouvoir à l’étranger lors de festivals de films. Commentant le marché touristique chinois à Maurice, JP, comme on le surnomme, dit avoir l’impression qu’on « n’a pas encore cerné les besoins du marché ».

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Après une formation en gestion en France et à La Réunion, vous avez mis le cap sur Shanghai pour devenir entrepreneur. Quelques années après, vous êtes devenus propriétaire de deux entreprises à Shanghai et à Pékin, employant une trentaine de personnes. Depuis deux ans, vous préparez un doctorat en Law and Finance à la Shanghai University of Finance & Economics. Comment parvenez-vous à gérer tout cela ?

Aujourd’hui, je n’ai gardé que l’entreprise de marketing et de communication à Shanghai et, depuis peu, j’ai cédé la gestion de l’entreprise à une associée chinoise. En effet, j’ai voulu orienter ma carrière vers la diplomatie également en faisant de temps à autre le pont entre Maurice et la Chine. Cela me plaît et, donc, depuis septembre, j’ai trouvé une associée qui s’occupe de la gestion quotidienne de l’entreprise.

Pourquoi avoir fermé votre boîte à Pékin ?

Cela demandait trop d’investissement de soi; je ne pouvais être partout à la fois. J’ai donc tout délocalisé vers Shanghai depuis un an et demi. Je viens de terminer deux ans de cours dans le cadre de mon PhD et je prépare à présent ma thèse, que je devrais terminer vers début 2019.

Qu’est-ce qui vous a motivé à préparer un PhD en Law and Finance ?
Quand j’ai monté ma boîte, j’ai par moments eu le sentiment d’être saturé et d’être à court d’inspirations. J’ai donc fait une demande pour un PhD. Par ailleurs, je recherchais un break à travers ce cours. Cela me permettait de sortir du travail pour trois ou quatre heures car travaillant dans le marketing depuis 2010, c’était devenu un peu la routine. Cette formation me permettait aussi de rencontrer de nouvelles personnes, des jeunes entrepreneurs. Les deux ans de cours étaient plus académiques. C’est la base des finances que je connaissais déjà. Mais cela m’a permis de mieux comprendre le contexte légal du secteur des finances en Chine. En Chine, ce n’est que durant ces dernières années qu’on a commencé à tout réglementer. Avant, il n’y avait pas de lois rigides.

Vous avez visiblement plus d’une corde à votre arc. Cette année, vous avez tourné un documentaire intitulé “A Long Way from Home” sur les immigrants chinois dans le cadre du 45e anniversaire des relations bilatérales entre Maurice et la Chine. Qu’est-ce qui vous a mené vers une telle démarche ?
En fait, cette année, c’est la deuxième fois que j’ai été invité au Shanghai Film Festival. J’étais parmi les invités VIP, troisième après le maire de Shanghai, pour avoir travaillé au niveau de l’organisation et de la conception de l’événement. Mon entreprise a travaillé depuis plusieurs années avec divers départements du gouvernement de Shanghai. Cette implication à ce festival m’a permis de visionner pas mal de films sur différents pays et je me suis dit : « Pourquoi pas Maurice ? ». Tout a commencé comme ça. Juste après donc, j’en ai discuté avec ma nouvelle associée, Mimi Lin, une Chinoise. On se connaît depuis 15 ans et il y a 10 ans, on s’est dit qu’on allait tourner quelque chose. Et cette année, je me suis dit, pourquoi pas. On a les ressources, il suffit de sacrifier un peu de notre temps et de notre énergie.

Mais il ne suffit pas de vouloir réaliser un documentaire et d’épargner un peu de temps. Il faut aussi avoir une formation et de l’expérience, non ? Quelles sont vos compétences dans ce domaine ?
J’ai déjà tourné plusieurs publicités pour des entreprises. Pour ce documentaire, on a recruté une équipe d’experts et on a discuté avec elle de la manière dont on aimerait travailler. On a énormément discuté, calculé et prévu un budget. À ce niveau précis, cela n’a pas été évident. On a eu à rechercher plusieurs sponsors chinois. Ce qui a convaincu l’équipe et les partenaires, c’est la beauté et l’exotisme de Maurice. En Chine, le tourisme connaît un boom alors que le secteur de l’immobilier connaît, lui, une stagnation. Les Chinois voyagent aujourd’hui beaucoup et cherchent d’autres destinations. On a donc mis en avant le cachet unique de Maurice. On a vendu la destination mauricienne comme un lieu où il y a une diversité de cultures. Et dans le documentaire, on part à la racine et on se focalise sur les sino-mauriciens à Maurice. Réaliser ce documentaire n’a pas été facile. C’est comme construire une maison. Au fur et à mesure, le budget ne cesse de gonfler.

Qui prend la parole ?
Des Mauriciens. Parmi les principaux intervenants, il y a Titoni Lam Cham Kee, un homme de 72 ans qui a grandi à China Town et qui a vu ce quartier se transformer d’un lieu stratégique, grouillant de monde et plein de vie, en un lieu laissé à l’abandon après les heures de travail. Il y a aussi Knee Sin Ng Li Chang, un jeune Sino-mauricien de 23 ans, fils d’une famille propriétaire d’une chaîne de restaurants à Port-Louis et qui représente la troisième génération à y travailler. La parole est en outre donnée à une jeune fille, Donna Kim Soo, qui n’a pas conservé sa culture chinoise, et enfin, au ministre Alain Wong qui, même s’il ne parle pas chinois, est fier de ses racines chinoises et cuisine chinois. Il fait la fierté des Chinois en tant que ministre. Le documentaire montre comment les Chinois ont réussi leur intégration sociale dans un pays pluriethnique en démarrant par le travail dans les boutiques à la campagne. Il montre aussi comment la communauté est perçue par les autres. On y aborde également le phénomène des jeunes qui partent étudier à l’étranger et qui ne reviennent pas. On doit le scénario du film à mon associée. Moi, j’ai eu l’idée. En fait, le film sur l’immigration chinoise adopte le regard d’un étranger, ce qu’un étranger aimerait savoir de Maurice.

Quels ont été les obstacles rencontrés lors de la production du documentaire ?
Quand nous avons présenté le scénario pour la première fois à Maurice, on a dû se rendre à l’évidence qu’il y avait beaucoup de choses qui ne concordaient pas. On n’avait pas envoyé de gens pour effectuer une vérification sur le terrain. On n’avait pas d’acteurs professionnels. On a eu à corriger le scénario une fois à Maurice. Au départ, on avait prévu plus de personnes mais, à la fin, on en a choisi quatre. Les autres participants n’étaient pas à l’aise à l’écran.

Quand est prévue la sortie du documentaire ?
On y travaille depuis juillet dernier et cela devrait être prêt dans quelques semaines. Le film est en fait déjà prêt. Il manque le sous-titrage, qu’on termine cette semaine. Cela nous a pris beaucoup de temps car les dialogues sont sous-titrés en anglais et en chinois. L’an prochain, nous travaillerons aussi sur un sous-titrage français car nous viserons aussi le marché français. Dans le film, il y a des Mauriciens qui parlent chinois, d’autres anglais, d’autres encore français ou kreol. Le lancement aura lieu à la mairie de Port-Louis. Nous avons eu l’encouragement des autorités mauriciennes, dont le bureau du vice-président, l’ambassade de chine, le ministère des Arts et de la Culture, la MFDC, la MTPA, Air Mauritius et des associations chinoises. Nous discutons encore des lieux où le documentaire sera projeté. Nous discutons aussi de sa projection en Chine. Et nous comptons le promouvoir lors de divers festivals de films. Le but est de mettre Maurice sur la plateforme internationale. Ce sera le premier film sur l’immigration des Chinois à Maurice.

Quel est le budget du projet ?
Rs 8 M à 10 M. Le plus grand problème, c’est après la production. Je suis assez exigeant sur la qualité du film. Je voulais un documentaire artistique, sans oublier la musique, qui fait appel à l’émotion. Pas un simple documentaire. Le budget aura finalement triplé et on aura aussi changé de compagnie de production.

Le fait de disperser ainsi vos compétences dans divers domaines ne constitue-t-il pas un danger pour votre entreprise ? Est-ce un signe d’instabilité ou un signe que les affaires ne se portent pas bien ?
Je suis artiste de nature. Je ne suis pas de nature à me cantonner à un seul domaine. J’aime toucher à plusieurs choses. J’aime les défis. C’est sûr que cela affecte mon entreprise mais c’est ma personnalité. Je ne dirais pas que je suis un grand businessman car je n’ai jamais fait de l’argent mon objectif. Mon objectif, c’est plus le relationnel. J’ai davantage bâti mon réseau de contacts car j’aime le relationnel.

Dans quel domaine précis comptez-vous vous concentrer le plus à l’avenir ?
Je souhaiterais peut-être revenir à Maurice donner un coup de main à mon pays en faisant le pont entre Maurice et la Chine. Depuis petit, j’aime la culture. Mon père et mon grand-père étaient membres d’associations chinoises. Chaque année, pour le Nouvel An chinois, j’étais sur la scène du Plaza. Au mois de septembre, j’ai été le facilitateur d’un MoU entre Rivière-du-Rempart et la Shanghai Bao Shan Municipality. Je n’ai rien gagné en retour. Le but était d’aider mon pays. Par ailleurs, pendant les cinq dernières années, j’ai organisé le Mauritius National Day à Shanghai.

Qu’en sera-t-il de votre boîte en Chine ?
Je suis un rêveur. Mon plus grand but : me lancer à moi-même un défi pour voir comment je peux redynamiser China Town et faire la liaison entre Maurice et la Chine. Quand j’ai tourné le film, j’ai remarqué qu’il y a, à Maurice, beaucoup d’ingrédients culturels. À Maurice, on a développé le secteur touristique mais on n’a pas développé le côté divertissement touristique. Or, les deux vont de pair. L’art aide à lutter contre les fléaux. Les victimes de fléaux sociaux peuvent trouver un travail dans l’art et y avoir des valeurs, de la dignité.

Dans quel contexte êtes-vous à Maurice ?
Je suis à Maurice depuis deux semaines. Je reste plus longtemps cette fois. Je compte faire le va-et-vient tous les trois mois. Laisser la boîte à mon associée ne veut pas dire que le contexte est difficile à Shanghai.

Comment se porte justement le monde des affaires en Chine actuellement ?
Je ne dirais pas que c’est mauvais car c’est un grand marché et il y aura toujours des opportunités. Il faut continuer à innover. Il y a peut-être un ralentissement à cause de la crise économique et de la compétition, plus féroce aujourd’hui. Mais l’avantage, c’est que la population asiatique aime consommer. La consommation en Chine, c’est 24/24h. Ici, nous prenons trois repas par jour. En Chine, on en prend quatre, sans compter le thé de l’après-midi. Ici, on change de portable tous les trois ans peut-être, alors qu’en Chine, c’est chaque année.

Les statistiques montrent que le marché touristique chinois a connu une régression par rapport à l’an dernier. Pour quelles raisons selon vous ?
C’est une question qu’il faudrait davantage poser à la MTPA. Mais je pense qu’il faut travailler plus sérieusement sur la compréhension du marché avant d’introduire un plan d’action. J’ai l’impression qu’on n’a pas encore cerné les besoins du marché.

Qu’est ce qui intéresse les Chinois aujourd’hui ? En quoi sont-ils différents des autres touristes ?
Le touriste chinois aime consommer. Il est très actif. Il aime bouger. Il aime se rendre dans beaucoup d’endroits, prendre des photos, faire du shopping… Le Chinois aime faire du tourisme de jour comme de nuit, contrairement aux Occidentaux, qui vont plus rester à l’hôtel. Les Chinois estiment devoir dépenser après avoir économisé pendant un an. On doit disposer de parcs d’attractions, les inciter à s’y rendre et à y consommer.

Il y a 20 ans, j’ai quitté Maurice pour aller en France et, aujourd’hui, les souvenirs que j’achetais à l’époque sont restés les mêmes. Il y a certes des produits artisanaux du verger Labourdonnais, qui sont très bien. Je pense que le prochain projet que je ferai à Maurice, si j’en ai l’occasion, sera une plateforme de divertissements. Nous avons beaucoup d’artistes talentueux, de bons chanteurs. On a juste besoin de leur donner une plateforme et un sens du professionnalisme pour ensuite les exporter. Au lieu de faire beaucoup de marketing à l’étranger, on devrait former des boys band et des girls band et les exporter en Europe et en Asie. Des fois, nous avons peur de perdre nos talents, mais non…

Maurice dispose-t-elle de tout ce qu’il faut pour satisfaire les touristes chinois ?
Non, il manque beaucoup de choses. Il faut un endroit pour la “night life”. Nous ne cernons pas encore ce que les chinois veulent. Le “marketing concept” que nous avons conçu pour l’Europe n’est pas nécessairement le même. Un exemple : j’avais récemment fait venir 15 mannequins chinois à Maurice. On passait devant l’hôtel du gouvernement et quand j’ai dit que c’était la Governement House, personne n’a pris de photos. Mais quand j’ai dit que c’est notre “White House”, toutes se sont mises à photographier le bâtiment. À Ébène, quand je leur ai dit que c’est le “Pudong of Shanghai” de Maurice, elles ont pris une photo. Il faut qu’elles puissent se repérer.

Côté affaires, qu’est-ce qui intéresse les Chinois à Maurice et quelles sont en retour les opportunités que représente la Chine pour les Mauriciens ?
Les Chinois sont intéressés par le Real Estate, mais ce n’est pas assez développé. Il y a aussi beaucoup de contraintes sur la hauteur des bâtiments en construction par exemple. Le commerce et le tourisme les intéressent aussi. Mais nous devons développer ces secteurs davantage. Quant aux Mauriciens, la Chine représente un gros marché. On a par exemple à Shanghai un groupe d’artistes mauriciens de différentes ethnies, Noukila. Mais il faut être très bon.

Lors d’un événement qui avait rassemblé 84 pays et où chaque pays avait au moins 50 représentants, l’équipe mauricienne était la plus petite. Mais à chaque fois qu’elle se présentait, elle recevait des applaudissements. Pourquoi ? Parce que les artistes mauriciens dégagent une énergie, une chaleur humaine, la passion. J’ai réalisé que nos artistes devraient faire le tour du monde pour attirer des touristes. Je crois beaucoup dans l’apport humain.

En termes de puissance économique et technologique, comment qualifieriez-vous le positionnement de la Chine sur la carte mondiale ?
Beaucoup ont peur que la Chine domine le monde. Mais moi je dis que la Chine est devenue un pays développé grâce à son dur labeur. Elle peut devenir la première puissance mondiale. Quand la croissance se fait en peu de temps, il y a des bons et des mauvais côtés, par exemple la pollution. Il faut donc prendre des actions pour contrer ces mauvais côtés.

Encourageriez-vous les jeunes Mauriciens à se lancer comme vous dans le monde des affaires en Chine ?
Bien sûr. J’ai rencontré récemment un parent dont l’enfant a été étudié le cinéma à Pékin. Je lui ai dit que quand son enfant aura terminé sa formation, il sera parmi les meilleurs. Moi-même j’y suis allé sans savoir parler chinois et j’ai toujours un fort accent. L’essentiel, c’est de comprendre la culture et de percer. Si vous persévérez et communiquez beaucoup, vous réussirez !

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