Jean-Pierre Dalais (président de Business Mauritius) : « Ce pays a connu un parcours aussi remarquable qu’inattendu »

Dans une interview accordée à Le-Mauricien à l’occasion des célébrations du 55e anniversaire de l’indépendance et du 31e anniversaire de la république, le président de Business Mauritius, Jean-Pierre Dalais, qui est également le Chief Executive et Group Chief Executive de CIEL, passe en revue le progrès accompli par le pays depuis 1968 et projette son regard vers l’avenir.

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« Quand je vois de quelle façon nous nous sommes relevés devant chaque défi, comment nous avons progressé, grandi, pour devenir aujourd’hui une véritable force dans la région, je ne vous cache pas que le sentiment qui m’anime est celle de la fierté du patriote. Ce pays a connu un parcours aussi remarquable qu’inattendu, tant sur le plan économique que sociétale », affirme Jean-Pierre Dalais. Il se dit convaincu que Maurice a le potentiel de devenir un acteur de premier ordre dans la zone océan Indien grâce à son positionnement stratégique. « Cette petite île, que beaucoup pensaient vouée à l’échec après l’indépendance, a prouvé ce dont elle était capable », souligne-t-il.

Nous célébrons actuellement le 55e anniversaire de l’accession de Maurice à l’indépendance et les 31 ans de notre accession au statut de république. Quel regard jetez-vous sur le chemin parcouru durant ce demi-siècle ?

Les 55 dernières années ont été marquées par certains défis, surtout au lendemain de l’indépendance, moment important pour notre île, qui est désormais livrée à elle-même avec une économie principalement agricole en monoculture. La capacité de notre pays à se diversifier sur de nouveaux secteurs a été un élément catalyseur.

Je pense également aux crises que nous avons surmontées ensemble, en tant que nation, et aux défis plus récents – la crise sanitaire, le changement climatique, entre autres. Quand je vois de quelle façon nous nous sommes relevés devant chaque défi, comment nous avons progressé, grandi, pour devenir aujourd’hui une véritable force dans la région, je ne vous cache pas que le sentiment qui m’anime est celle de la fierté du patriote. Ce pays a connu un parcours aussi remarquable qu’inattendu, tant sur le plan économique que sociétal.

Quel a été le rôle joué par le secteur privé dans le développement économique et social qu’a connu le pays durant ces dernières décennies ?

Ce progrès qu’a connu Maurice est en grande partie ancré dans son développement économique, et le rôle de la communauté des affaires dans ce développement a été central. En 55 ans, nous avons su nous développer en une économie diversifiée, avec un secteur manufacturier, le tourisme, les services financiers, les TIC-BPO et bien d’autres activités. C’est aussi une économie qui a su varier son investissement et qui s’est consciemment rendue agile et adaptable aux changements. Cela, nous le devons largement à la volonté de la communauté des affaires, mais aussi à une collaboration étroite entre secteurs privé et public pour un objectif commun de développement national.

Aujourd’hui, c’est ensemble que nous relevons les nouveaux défis. La communauté des affaires s’investit chaque jour de plus en plus dans le développement durable et inclusif. À titre d’exemple, nous pouvons citer l’engagement des secteurs tels que l’industrie manufacturière ou le tourisme dans la transition énergétique tant par le déploiement de l’énergie renouvelable que par l’efficacité énergétique.

Quels sont les grands noms qui vous viennent en mémoire durant cette période ?

Depuis sa colonisation, il ne manque pas de grands noms dans l’histoire de l’île Maurice indépendante, que ce soit pour la zone franche, le secteur financier, le Joint Economic Council, l’Agriculture, le Tourisme et l’Administration publique. Notre histoire reste aussi et surtout celle de tous les Mauriciens, hommes et femmes, qui ont bâti le pays au fil des décennies. C’est cet engouement au travail, la persévérance et l’esprit d’entrepreneuriat omniprésent dans notre île qui ont fait la différence.

Le 8 mars était la Journée internationale de la Femme. Je reste convaincu que le rôle des Mauriciennes sera de plus en plus primordial dans tous les secteurs clés de notre cher pays.

Quels ont été les grands axes de développement initiés durant votre présidence de Business Mauritius ?

Lors de l’élaboration de son National Business Roadmap, Business Mauritius avait identifié quatre axes de développement, soit les ressources naturelles, le capital humain, la bonne gouvernance et la vulnérabilité écologique. C’est autour de ces quatre axes que nous avons développé des plans d’action dans chacune des trois commissions de Business Mauritius qui sont les commissions du Développement économique, du Capital social et du Développement durable et inclusif. Le travail de chacune de ces commissions est continu, avec leurs comités et groupes de travail qui proposent régulièrement des solutions pour répondre aux défis auxquels est confrontée la communauté des affaires.

En effet, depuis ma nomination à la présidence de Business Mauritius, je constate et accompagne de plus près la participation engagée de nos membres et de la communauté des affaires pour le développement de notre île.

Votre présidence a aussi été marquée par la pandémie de Covid, la crise énergétique, la crise alimentaire provoquée, entre autres, par la guerre. Quelles leçons peut-on tirer de cet épisode ?

Le leitmotiv de la pandémie a été le mot résilience. Cette crise nous a également obligés à développer notre agilité tant dans nos sphères familiales que professionnelles. À l’échelle nationale, nul ne pouvait prédire que tout un pilier clé de notre économie, le tourisme, allait être en arrêt. Nous en avons puisé une force, non seulement en cherchant cette résilience au fond de nous-mêmes, mais aussi dans la collaboration.

Nous avons vu cette collaboration dans l’effort massif, concerté et national pour la campagne de vaccination ou la réouverture des frontières par exemple, ou encore dans le mouvement commun, synchronisé pour les gestes de protection. Nous tirons aussi d’autres leçons face aux retombées du conflit entre la Russie et l’Ukraine – celle de la prévoyance, de la sécurité, qu’elle soit alimentaire, énergétique ou sanitaire.

Quels sont les défis auxquels est confronté le pays aujourd’hui sur les plans économique et social ?

La commission économique de Business Mauritius vient tout juste de siéger pour présenter son Economic Outlook 2023. Ce document décrit la perspective des principaux secteurs de l’économie mauricienne pour l’année 2023. Une fois de plus, nous revenons sur les axes de développement précédemment décrits et nous y rajoutons d’autres priorités, telles que l’assimilation de la recherche et l’innovation par le secteur public comme dans le secteur privé. Nous reconnaissons en ce sens le travail accompli par le ministère des Services financiers pour apporter l’intelligence artificielle dans les mécanismes réglementaires, et nous souhaitons encourager ce genre d’innovation dans les affaires.

Une autre priorité, c’est le développement durable, l’idée que Maurice puisse lead by example en devenant un modèle de meilleures pratiques en matière de durabilité. Il y a de beaux défis en termes d’économie circulaire ou de biodiversité. Par ailleurs, sur le sujet de l’égalité des genres ou l’équité, nous pouvons davantage engager notre communauté, qui a plus que son rôle à jouer pour favoriser un véritable changement sociétal.

Quels sont les nouveaux piliers de développement qui doivent être envisagés ?

Au-delà de l’intelligence artificielle et de la technologie informatique qui offrent à chaque instant de nouvelles opportunités d’innovation, notamment dans le secteur financier, il existe de nombreux secteurs qui ne demandent qu’à être développés. Je parle notamment du secteur de l’énergie, celui de l’économie circulaire, ou encore les domaines de la santé et pharmaceutique où l’innovation est aujourd’hui plus que jamais le mot d’ordre. Avec ces opportunités de développement, nous voyons bien Maurice se positionner comme une plateforme vers le continent africain. D’ailleurs, nous avons déjà plusieurs accords, à l’exemple du COMESA, qui nous permettraient de mener à bien cette ambition.

Avons-nous les moyens en termes de ressources humaines et techniques pour être la plateforme régionale pour les investissements en Afrique ?

Certainement. Il y aurait, bien évidemment, des choses à régler dans la formulation et la structuration de cette plateforme. Par exemple, s’assurer que l’on différencie bien une plateforme financière et une plateforme non-financière, la première étant soumise à des règles nécessaires pour assurer la conformité avec nos accords internationaux, et la deuxième, non-financière plus fluide. Nous devons aussi nous assurer que les procédures d’entrée, telles que les permis de travail, ne présentent pas un obstacle pour attirer les talents étrangers. En amont, il faudrait aussi que nous revoyions l’infrastructure de travailler et vivre à Maurice.

L’attractivité du pays pour les talents est essentielle. Il nous faut constamment améliorer la qualité de la vie à Maurice en associant des choix attractifs en matière de loisirs, d’éducation, de formation et de logement. Il nous faut aussi une connectivité aérienne et un environnement fiscal plus compétitif. Tous ces éléments sont très importants pour nous permettre de faire la différence.

Un mot sur la gouvernance à Maurice. Le cardinal Maurice Piat parle « de dysfonctionnement d’institutions dans lesquelles nous avions confiance ». Partagez-vous cet avis ?

La bonne gouvernance a toujours été un cheval de bataille pour Business Mauritius. Elle représente une dimension indéniable du développement, que ce soit pour l’avancement des affaires ou pour la crédibilité de la destination pour les investisseurs et talents étrangers.

D’ailleurs, Business Mauritius avait en ce sens instauré le Code of Corporate Governance en collaboration avec l’Etat et nous avons lancé la phase pilote du Corporate Governance Scorecard. Au niveau de Business Mauritius, nous renforçons notre engagement et accompagnons les institutions dans cette démarche vertueuse tellement nécessaire à notre pays.

Quid du financement des partis politiques ?

La question de gouvernance est effectivement liée au financement des partis politiques. Nous avons soumis des recommandations pour permettre plus de transparence sur le sujet. La communauté des affaires publie d’ores et déjà toutes contributions dans ses rapports annuels, et afin de renforcer la traçabilité, nous avons recommandé que tout paiement effectué dans ce cadre soit fait par chèque. La création d’un cadre légal qui régirait le statut et fonctionnement des partis politiques permettrait d’encadrer les dépenses des élections.

Comment voyez-vous le pays dans les 25-30 ans à venir ?

Dans les prochaines 25 années, Maurice a sans nul doute le potentiel de devenir un acteur de premier ordre dans la zone océan Indien grâce à son positionnement stratégique. Cette petite île que beaucoup pensaient vouée à l’échec après l’indépendance a prouvé ce dont elle était capable. Nous avons une population éduquée, cultivée et globale dans son ouverture sur le monde. Notre culture est reconnue comme étant chaleureuse, diverse, accueillante et tolérante.

Cependant, face à de grands enjeux, nous devons impérativement coopérer et nous préparer à relever ensemble les défis d’un monde en transition. Transition qu’il vaut mieux accompagner que subir.

En tant que petit Etat insulaire éloigné, nous avons le devoir de renforcer notre résilience. Nous avons toutes les ressources nécessaires pour atteindre cet objectif. L’océan et son potentiel ou encore le soleil, source d’énergie inépuisable sont les atouts de notre île.

Face à un retour de la régionalisation et au localisme, il est temps de nous appuyer sur les ressources et les forces de notre île pour répondre aux enjeux de souveraineté, qu’ils soient alimentaire, énergétique ou économique. Cette résilience ne se effective qu’avec nos plus proches voisins, les pays de l’océan Indien.

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