Kailash Purryag : « Affaire Sherry Singh : une commission d’enquête pour rassurer la population »

L’ex-président de la République Kailash Purryag a, dans une interview accordée à Le Mauricien cette semaine, réclamé l’institution d’une commission d’enquête sur l’affaire Sherry Singh. Il estime que dans le passé, des enquêtes policières n’ont jamais abouti. Pour lui, les allégations de Sherry Singh ont impacté non seulement la population, mais aussi la perception de Maurice par la communauté internationale. Kailash Purryag considère ainsi que du fait qu’il n’y ait que deux protagonistes dans cette affaire, la commission d’enquête pourrait très vite arriver à une conclusion et soumettre un rapport.

- Publicité -

Il s’appesantit également sur son sujet de prédilection, à savoir l’importance des institutions démocratiques et des cultures démocratiques. Il préconise ainsi la création d’un Council of Presidential Advisers, sur lequel pourra s’appuyer le président de la République dans son travail afin qu’il puisse exercer, avec discernement, les pouvoirs discrétionnaires que lui confère la Constitution. Il plaide également pour une réforme de la Constitution du pays.

« La commission d’enquête aurait pu siéger tous les jours publiquement, et in camera lorsque la situation concerne la sécurité de l’État.Cela nous aurait permis de voir qui dit la vérité. Je ne mets pas en doute la parole du Premier ministre. Il est un chef de gouvernement. Pour moi, c’est une question de transparence, et il est important de rétablir les faits »

« L’heure est venue pour que le pays puisse respirer et vive dans la démocratie, et pour que la jeunesse ait confiance dans le pays et retourne au pays, au lieu d’assister à une fuite des cerveaux »

« Il n’y aurait pas eu de stabilité politique s’il n’y avait pas eu d’institutions démocratiques. Il n’y aurait pas eu d’institutions démocratiques s’il n’y avait pas de personnes d’une culture démocratique à la tête de ces institutions. Il n’y aurait pas eu de personnes d’une culture démocratique s’il n’y avait pas une société à vocation démocratique. Est-ce que nous disposons de cela aujourd’hui ? »

La polémique autour des allйgations de Sherry Singh domine l’actualitй ces jours-ci. Quel regard jetez-vous sur cette affaire, vous qui avez une longue expérience des affaires publiques et en tant qu’ancien président de la République ?

Je pense que c’est une situation très grave. Les allégations faites par Sherry Singh ont définitivement impacté les Mauriciens en général. Ils appréhendent une invasion de leur vie privée et s’interrogent sur la sécurité des données réclamées par différentes institutions privées et publiques.

Sur le plan international, des représentants des pays qui utilisent beaucoup Internet pour la transmission de leurs informations ainsi que les opérateurs internationaux qui en font autant dans le cadre de leurs transactions internationales se posent des questions. Sherry Singh a donné sa version des faits. Le Premier ministre a donné la sienne dans une déclaration à Balaclava et lors d’une interpellation parlementaire, mardi dernier. Il a donné des détails qu’il affirme avoir transmis à la police. La situation est très délicate. La police mène son enquête. On ne peut pas juger si elle est compétente ou pas.
Toutefois, afin de rassurer l’opinion publique et les pays étrangers, je suis convaincu que c’est une commission d’enquête, avec des attributions, qui permettra de nous éclairer sur toute la situation. Le Premier ministre pourra donner sa version des faits et présenter tous les documents en sa possession, Sherry Singh viendra dire tout ce qu’il a à sa connaissance.

Nous savons qu’il y a eu des enquêtes policières dans le passé qui n’ont toujours pas donné les résultats escomptés. Actuellement, nous sommes devant une situation urgente et la question doit être traitée avec célérité. On ne peut pas attendre un ou deux ans. La commission d’enquête aurait pu siéger tous les jours publiquement et in camera lorsque la situation concerne la sécurité de l’État. Cela nous aurait permis de voir qui dit la vérité. Je ne mets pas en doute la parole du Premier ministre. Il est un chef de gouvernement. Pour moi, c’est une question de transparence et il est important de rétablir les faits.

Sherry Singh a été une personne trиs controversйe et trиs critiquée dans le passé. Or voilа que subitement il est considéré comme une vedette. Est-ce que ce n’est pas un paradoxe ?
Je vous dirais franchement que je ne fais pas ce genre de politique. Pour moi, ce qui est important, ce n’est pas Sherry Singh personnellement mais ce qu’il dit. Il a dit des choses concernant l’intérêt national. Est-ce qu’il dit la vérité ? Je ne sais pas.

Mardi, il avait annoncé qu’il soumettrait toutes les preuves à la police. Pourquoi ne pas les avoir données tout de suite lors de son intervention ? Peut-être qu’il a sa manière de procéder. Je suis en droit de penser qu’il aurait pu avoir étalé toute cette vérité devant le public avant de les transmettre à la police. Est-ce qu’il a agi sur les instructions de son conseil légal ? En tout cas, il a laissé les Mauriciens sur leur faim et ne leur a pas permis d’avoir l’esprit tranquille.

Or, le Premier ministre l’accuse d’avoir porté atteinte à la réputation du pays, celle de son gouvernement et sa réputation personnelle. Lorsqu’il évoque la réputation du pays, il a sûrement également en tête la perception des pays étrangers au sujet de Maurice. Aujourd’hui, il y a la guerre en Ukraine Il y a aussi une compétition entre les grandes puissances dans l’océan Indien. Il y a des intérêts géopolitiques en jeu. Il est très important de mettre de l’ordre dans toute cette affaire le plus vite possible. Il n’y a que deux protagonistes. Par conséquent, les travaux d’une commission d’enquête peuvent se dérouler très rapidement afin de donner des conclusions dans un ou deux mois.

S’il y a eu Survey comme l’a annoncé le Premier ministre, est ce qu’on ne devrait pas connaоtre ses résultats ?
C’est vrai. Le Premier ministre a parlé de Survey et de menace à la sécurité. C’est son droit de ne pas évoquer des Security Issues en public. Toutefois, il devrait pouvoir dire qui lui a conseillé de faire cette étude. Est-ce son conseiller en matière de sécurité ? Quelle est la nature de cette menace ?

Certaines personnes reprochent au gouvernement d’avoir eu recours а des techniciens indiens…
Moi aussi je n’ai pas très bien compris cette décision. Il est évident qu’avant d’avoir recours aux compétences étrangères, il aurait pu avoir exploré d’abord celles des Mauriciens en la matière, d’autant plus qu’il a reconnu lui-même qu’il y en avait cette localement.

Vous avez parlé plus tфt de craintes des Mauriciens concernant la protection des données personnelles. Devrait-on craindre également pour les données sensibles des institutions locales ?
Je me suis rendu récemment dans une compagnie d’assurances pour assurer ma voiture et ils m’ont fait savoir qu’à la demande de la FSC, ils doivent me demander une série d’informations personnelles : mes sources de revenu, celles de mes proches. J’ai été obligé de donner ces renseignements puisque la loi l’exige. Le formulaire que j’ai été appelé à remplir précise que « that all the informations given are protected by the Data Protection Act of 2017 ».

Je ne peux pas m’empêcher de me poser des questions. Il y a beaucoup de personnes qui utilisent la technologie pour leurs comptes bancaires, etc. Même les formulaires d’impôts sont remplis en ligne. Ce sont des informations confidentielles.

C’est pourquoi je considère que les allégations faites par Sherry Singh sont très graves. Je dois reconnaître que le Premier ministre a donné les garanties qu’il n’y a jamais eu de Sniffing et qu’aucun appareil à cet égard n’a été installé. C’est la raison pour laquelle je souhaite qu’il y ait un arbitrage à travers une commission d’enquête.

Ce débat n’est pas propre а Maurice…
Laissez-moi vous dire qu’en Inde, après la publication d’un article dans le New York Times, selon lequel le gouvernement indien a fait l’acquisition de la technologie Pegasus, cela a soulevé un tollé. Le gouvernement indien a fermement démenti au Parlement. Toutefois la Cour suprême indienne a pris sur elle pour nommer un Panel of Investigations afin de voir si les allégations concernant les interférences dans la vie privée des citoyens étaient vraies ou pas.

À Maurice, la seule autorité habilitée à nommer une commission d’enquête est le Cabinet. Donc, pour faire le jeu démocratique, il est important que le gouvernement recommande l’institution d’une commission d’enquête. Cela rassurera la population.

Est-ce que le président de la République n’a pas son mot а dire pour rassurer la population lorsqu’on parle de la souveraineté et de la sécurité du pays ?
Lorsqu’on a changé le statut de Maurice en République, le serment pris par le Premier ministre a été amendé. Si vous lisez les deux serments, vous verrez la différence En 2003, avec l’arrivée de sir Anerood Jugnauth à la présidence de la République on a voulu consolider ses pouvoirs mais cela n’a pas marché. Dans les faits, il n’a aucun contrôle sur ceux qui sont nommés dans les institutions importantes dont l’ESC qui aurait dû être composée de personnes indépendantes des partis politiques.

Le professeur Jacques Colom affirme de manière sans équivoque que « les garde-fous prévus par le professeur Stanley Alexander De Smith dans la Constitution pour donner les pouvoirs discrétionnaires au président de la République ne fonctionnent pas ». Il le dit dans un document intitulé Le développement constitutionnel dans les États du Sud-Est de l’océan Indien. Je me pose la question de savoir quelles sont les infrastructures dont dispose le président pour rechercher un conseil pour n’importe quel problème qui se présente et y trouver une solution. Il n’y en a pas.

Pouvez-vous préciser votre argument ?
En 1965, Anthony Greenwood avait expliqué que toutes les institutions indépendantes sortiront de l’influence politique, notamment le PSC, la DFSC, etc. dont les membres sont nommés par le président après consultation avec le Premier ministre et le leader de l’opposition. Qui conseille au président les personnes qui doivent être nommées sur ces commissions ?

À Singapour, il existe un Council of Presidential Advisers qui étudie les dossiers des personnes dont les qualifications sont définies par la loi avant d’être nommées. Dans son livre Untold Stories, sir Satcam Boolell explique que la Constitution de Maurice est une copie de celle de Trinité-et-Tobago qui a le même profil démographique que Maurice. Or en 1976, Trinité-et-Tobago a abrogé sa Constitution. Une nouvelle Constitution avec des garde-fous solides sur le fonctionnement des institutions publiques ainsi que les compagnies privées du gouvernement a été adoptée. Ces derniers doivent soumettre leurs bilans à la fin de l’année et peuvent faire l’objet d’interpellation au Parlement.

Dans ce pays ainsi qu’à Singapour, la nomination des CEO et des membres du conseil d’administration des compagnies contrôlées par le gouvernement sont examinées par le Council of Presidential Advisers. Ce dernier fait des recommandations par la suite au président de la République. Cinquante-quatre ans après notre indépendance, nous aussi nous avons besoin de revoir ces éléments et revoir la Constitution. Il n’y a aucune raison de réduire les pouvoirs du Premier ministre si les garde-fous constitutionnels nécessaires sont introduits.

Voulez-vous dire que ce sont les institutions qui doivent être consolidées davantage ?
Dans un document soumis au séminaire présidé par le professeur Colom, le juge Domah explique : « cette île par la force des choses fut dotée à la base d’institutions démocratiques qui ont progressivement conduit à la stabilité politique… Les conditions étaient réunies pour créer un climat de confiance pour les investisseurs étrangers et déclencher le développement économique. Parmi ces institutions de base se trouve la Cour suprême. »

Tout le monde reconnaît que la stabilité politique de Maurice est à la base de son émergence du gouffre économique. Or, il n’y aurait pas eu de stabilité politique s’il n’y avait pas eu d’institutions démocratiques. Il n’y aurait pas eu d’institutions démocratiques s’il n’y avait pas des personnes d’une culture démocratique à la tête de ces institutions. Il n’y aurait pas eu des personnes d’une culture démocratique s’il n’y avait pas une société à vocation démocratique. Est-ce que nous disposons de cela aujourd’hui ?
Or, que voit-on à Maurice ? Un premier sondage réalisé par Afrobarometer déplore l’absence de méritocratie alors qu’un deuxième sondage publié récemment indique que la population n’a pas confiance dans les institutions et les personnes qui les composent. Kot nou pe ale ?

Après tout, le président de la République est nommé par le Premier ministre. Que faudrait-il faire ?

Après un demi-siècle d’indépendance, nous ne pouvons plus nous permettre que le président soit nommé par le Premier ministre. Nous avons besoin d’un président ayant un statut et une personnalité capable de se faire respecter par le Premier ministre. L’heure est venue pour que nous puisse-ions nous asseoir et réfléchir sur quelle démocratie nous voulons pour ce pays si nous constatons qu’il y a eu abus de pouvoir de la part de l’exécutif dans les institutions indépendantes. Les abus éventuels peuvent être corrigés à travers de simples législations.

Nous pourrions ainsi définir les critères pour des nominations, par exemple, à la PSC ou à la Police Service Commission. À Trinité-et-Tobago, il y a un PAC consacré à l’examen des comptes de toutes les compagnies privées du gouvernement et où ce dernier détient une majorité d’actions. Les comptes de ces compagnies doivent également être soumis au directeur de l’Audit.

Vous êtes donc en faveur d’une nouvelle Constitution…
Je suis 100% pour une réforme constitutionnelle. Le juge Ahnee, qui était un phare en matière constitutionnelle, constate que l’article 64 comprend des clauses qui ne sont pas claires. Par exemple, la Constitution ne définit pas clairement ce que veulent dire les consultations. Il a aussi soulevé quelques points ambigus qui devraient être revus

Quid de la réforme électorale ?
La Representation of People Act a été adoptée en 1958 et a permis l’introduction du suffrage universel en 1959. À cette époque, il y avait 200 000 électeurs et 40 circonscriptions. Aujourd’hui, nous avons 900 000 électeurs. Or, on dépend toujours de ces mêmes législations.

Aujourd’hui, la population a des doutes sur les résultats des élections. L’article 41 de la Constitution établit les pouvoirs de l’Electoral Commissionner et de l’ESC. L’ESC doit Conduct Election  et est responsable de l’enregistrement des électeurs. Il prévoit également qu’ils doivent avoir « such other powers that may be prescribed ». C’est-à-dire que le gouvernement doit passer des lois ou des règlements afin de donner à l’ESC les pouvoirs nécessaires, non seulement pour Conduct and Register », mais également pour sanctionner les gens qui font des abus durant les campagnes électorales.

Lors des dernières élections, des abus ont été enregistrés de la part de la MBC. L’opposition a protesté. L’ESC a appelé les dirigeants de la MBC. Ces derniers ont affirmé qu’ils n’ont aucun compte à rendre à l’ESC. Mais si nous suivons l’exemple de l’Inde et donnons les pouvoirs nécessaires au commissaire électoral ou à l’ESC le pouvoir de sanctionner, cette dernière instance pourrait intervenir contre tous les abus constatés durant la campagne.
De plus, à partir du Nomination Day, le commissaire électoral devrait prendre le contrôle des officiers de police chargés de superviser la campagne électorale et devrait les sanctionner s’ils faillissent à leurs tâches. Combien de fois n’a-t-on pas entendu que la police n’est pas intervenue malgré le fait que des problèmes ont été constatés ?

Par ailleurs, nous avons un système archaïque où c’est le Premier ministre qui décide de la date des élections. Ce système favorise nettement le Premier ministre qui peut se permettre d’autoriser uniquement un mois de campagne afin que l’opposition ne puisse organiser convenablement sa campagne. Cela ne représente pas un Level Playing Field. Cette décision, une fois que l’Assemblée nationale a été dissoute, devrait revenir à une ESC indépendante. Si on décide de revoir la Constitution, on devrait pouvoir faire cela.
Quant à l’Electoral Boundaries Commission, elle peut soumettre son rapport tous les dix ans en se basant sur des critères précis. Le gouvernement a le droit d’accepter ou de rejeter le rapport. Dans le passé, beaucoup de rapports ont été rejetés. À Trinité-et-Tobago, cette pratique a été modifiée. Le rapport doit être débattu au Parlement. Il est temps de revoir tout cela afin d’approfondir la démocratie. L’heure pour que le pays puisse respirer, vivre dans la démocratie, et pour que la jeunesse ait confiance dans le pays, et qu’elle retourne au pays au lieu de voir la fuite des cerveaux.

Alors que nous négocions la Convention de Lomé, savez-vous le respect qu’il y avait à notre égard ? Nous étions écoutés parce qu’il y avait la démocratie, les fonds publics étaient dépensés dans la transparence. Nous jouissions d’une bonne réputation dans tous les pays en raison de la bonne gouvernance, la transparence et la démocratie. Comme le disait SSR : « Democracy is Government by discussion. » Il avait fait comprendre que ce pays n’appartient à aucun parti politique ni à aucun gouvernement au pouvoir, il appartient à tous les Mauriciens. Et que le jour où on viole la confiance de la population, on sera en grande difficulté.

Comment se présente la situation aujourd’hui ?
Prenons la MIC, est-ce que la Banque de Maurice a demandé comment une personne a obtenu Rs 325 millions et sur quelle base ? Ni le gouvernement ni le gouverneur de la Banque de Maurice n’ont été en mesure de donner des explications. Or c’est l’argent public et l’argent des contribuables. Il ne faut pas oublier que la TVA est payée par tout le monde.
Avez-vous déjà vu l’adoption d’un budget en une semaine dans le passé ? Avez-vous déjà vu un commissaire de police ou un haut gradé de la police sous contrat ? Prenons le système de retraite. Est-ce qu’il est viable ? Les fonds recueillis par la CSG sont placés dans le Consolidated Fund et sont dépensés dans le Recurrent Budget.

Peut-on dire que le pays va mal ?
Il ne se porte pas bien. La démocratie ne veut pas dire uniquement l’organisation d’élections tous les cinq ans. Elle se vit au quotidien. Heureusement qu’il y a une presse active qui agit comme contre-pouvoir. Dans une interview donnée par l’ancien chef juge Maurice Rault, ce dernier disait : « Je remercie la presse de soulever les scandales. Nous les prenons en considération dans le cadre de nos jugements. »

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -