L’avenir que nous méritons

D’emblée, ayons l’esprit suffisamment ouvert pour nous rappeler qu’au vu du système annuel de la préparation du budget national, lui-même ancré intrinsèquement dans le système électoral quinquennal, restreint tout de même la portée dans le temps des manœuvres politico-économiques, pour concéder que le défi de jonglage auquel se livre à chaque fois le gouvernement, est de taille.  Satisfaire les attentes de tant d’acteurs économiques et sociaux dans le court terme, assurer en même temps une bonne santé économique à long terme, sans oublier l’impératif de s’assurer une popularité auprès de ces mêmes acteurs et des citoyens en général, voilà un exercice qui vaut bien quelques félicitations, même des plus cyniques parmi nous.

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Les uns et les autres, selon leurs perspectives et intérêts, se sont livrés, dès la présentation du budget 2023-24, à une analyse des bons et mauvais points de ses « mesures » qui, d’après le ministre des Finances, visent à atteindre les triples objectifs d’amélioration de la croissance économique, d’encouragement de la productivité et de la réduction des disparités.  Je tente ici une analyse de la philosophie et des priorités du gouvernement à travers une méthode d’analyse des priorités d’une entreprise. En somme, en observant les politiques de rémunération, d’incitations, ou encore de sanctions nichées dans le système de gestion, nous arrivons à mettre le doigt, pour ainsi dire, sur les valeurs et les priorités de l’équipe dirigeante.  Ainsi, je vais chercher à offrir, à travers une lecture du budget 2023-2024, ma pierre à cette question si chère à tant de Mauriciens : mais où va-t-on dans ce pays ?!

Ce présent exercice budgétaire a le mérite de démontrer une suite dans les intentions du gouvernement depuis 2016, surtout en ce qui concerne la résilience de l’économie à faire face aux chocs externes de manière générale et aux crises soudaines et de grande envergure comme celle que l’on a vécue pendant le Covid-19. On voit donc une même attention poussée vers les secteurs économiques ayant le potentiel de faire accroître la balance commerciale, le revenu et l’emploi, tels que le tourisme, le secteur financier, les TIC/BPO, le secteur manufacturier et même quelques secteurs pointant du nez comme la « pharmatech » et l’économie dite grise.

Renganaden
Padayachy, ministre des Finances, du Plan et du Développement
Économique

“Ease of doing business”

Néanmoins, le ministre des Finances aborde à plusieurs reprises la solidité de la « structure économique » et on peut comprendre que le budget comporte cet élément d’interdépendance entre les acteurs d’une économie, mais on ne voit pas, en revanche, une attention adéquate aux petites et moyennes entreprises, qui sont fort importantes pour le système économique du pays. On le sait bien, les « schemes » et autres facilités accordées aux PME ne les atteignent que très faiblement, et le fort taux d’échec parmi les petites entreprises reste une réalité cruelle mais qui semble intéresser aucune institution publique. On a beau inciter jeunes et femmes à ouvrir un « ti biznes » mais le parcours semé d’embûches finit trop souvent en faillite financière, faute de suivi et d’encouragements dans le temps.  Il semblerait plutôt que le ease of doing business, devenant de plus en plus easy d’année en année, soit un mirage pour les locaux mais une réalité pour les étrangers…  J’y reviendrai plus loin. On peut saluer, je disais plus haut, la large gamme de mesures dans ce budget, démontrant une volonté à toucher un peu à toutes les attentes et demandes et à améliorer la performance économique du pays dans son ensemble. Il va sans dire que les mesures sociales et populaires, condition sine qua non de tout budget approchant une fin de mandat, sont bien accueillies par l’ensemble des citoyens.

Au-delà des mesures tantôt applaudies, tantôt décriées selon les désirs et intérêts de tel ou tel syndicat, ONG, association de femmes, petites entreprises ou conglomérat, on retrouve beaucoup, beaucoup de projets d’infrastructure, mais aussi de nouveaux éléments démontrant un certain niveau de connaissance de sujets qui ont la cote sur le plan intellectuel aujourd’hui et qui vont interpeller les politiques de plus en plus à l’avenir, à savoir : la population vieillissante, la transition énergétique et les effets du changement climatique.  Mention spéciale et personnelle de ma part : la destruction de l’immeuble Emmanuel Anquetil pour installer à sa place une mini-forêt urbaine. Je reste quand même sceptique, car je n’ai jamais pardonné le rasage de la promenade Roland Armand, mais l’idée est pour le moins révolutionnaire dans ce pays où l’on court, court, après l’argent, le statut, le plus, le plus grand, le plus vite, au détriment de la santé physique et mentale.  Les parcs urbains des pays d’Europe seront, je l’espère, l’inspiration des premiers instants jusqu’à l’aboutissement de ce projet. Notre bonne vieille capitale méritait un tel cadeau depuis longtemps…

Cela dit, ma lecture du budget me laisse une impression d’un noyau central bien pensé de la politique fiscale et de l’investissement étranger, autour duquel on a parsemé çà et là de bons mots académiques et saupoudré à la fin de joyeux cadeaux populaires.  C’est fin et ficelé. Le ministre nous partage sa fierté que le pays n’ait pas eu à faire appel ni à la Banque mondiale ni au Fonds monétaire international (FMI), mais on aurait peut-être pu bénéficier de leurs connaissances techniques respectives dans le domaine de la discipline budgétaire des ministères et corps paraétatiques. On aurait pu également copier sur les politiques d’autres pays et faire un peu plus sérieux lorsqu’on aborde la question des incitations à la fertilité.  Il faut vraiment être coupé de la réalité des citoyens pour espérer inciter de jeunes parents à faire plus d’enfants en enlevant les taxes sur les biberons ou encore en leur balançant deux mille roupies comme une mendicité.

« Géro-politique »

J’écrivais du ease of doing business qu’il était destiné non pas au petit business local mais aux investisseurs étrangers.  J’aborde maintenant la brûlante question de la population vieillissante – la ageing economy – chez nous joliment appelée la Silver Economy.  Ce défi démographique, d’ailleurs si bien documenté par des statistiques et des rapports internationaux depuis déjà plus d’une décennie, les données sur ces dernières questions fusant de partout, à tel point que l’on parle d’un système émergent, à la fois économique et politique (« the greying of the economic and political system ») qui appelle à des approches urgentes et à long terme au niveau national de pays tels que le nôtre, touchés par le phénomène. C’est désormais de la « géro-politique ». Le gouvernement nous parle en effet depuis quelque temps de ce nouveau secteur d’activité non pas comme une évolution sociale chez nous, mais comme un pilier économique, une manne venue d’ailleurs. Comprenez que l’attention des décideurs est tournée vers les cheveux blancs, non pas mauriciens, mais étrangers ! L’idée étant d’attirer de riches séniors vers notre belle île, à coups de promotion du type MTPA ou EDB pour vendre l’île comme destination de rêve pour une retraite dorée.

N’oublions pas dans la même foulée la mention très prononcée cette année de la flexibilisation du recrutement de travailleurs étrangers.  Corsons tout cela de quelques sustainable cities, et voilà que vingt années plus tard, nous nous retrouverons à vivre dans nos vieilles villes quasi-fantômes, dépourvues de modernité, ou dans des bidonvilles sans foi ni loi, alors que travailleurs, touristes, et expatries huppés de tous âges se coulent les plus beaux jours de leur vie ici, en communautés gated, « smart » ou « sustainable », peu importe.  C’est légitime de leur part, évidemment. Aussi légitime que les attentes de nos jeunes pour un emploi ou un business qui offre un confort économique, ou de nos séniors pour une qualité de vie et une bonne santé. Les changements démographiques semblent bien être compris par nos décideurs, mais de manière quelque peu sélective. Du coup, la considération du nombre croissant de votants séniors se manifeste par la pension qui prend l’ascenseur. Mais quid du potentiel économique de ces mêmes séniors, avant de foncer tête baissée dans une migration facile ? Dans une étude menée pour le compte du National Productivity and Competitiveness Council en 2018 je faisais état des tensions inter-générationnelles sur les lieux de travail, et de la réticence des entreprises pour faire appel aux séniors et profiter de leur expertise, compétences et expériences. Je disais dans mon rapport que cela demandait évidemment une politique nationale visant à améliorer de façon constante le niveau et la qualité du système de santé publique, mais aussi un véritable engagement de la part des entreprises à mettre en place des structures pour favoriser les échanges d’expériences et de connaissances, et de la formation continue, quel que soit l’âge de l’individu, afin d’y puiser des sources additionnelles de productivité sectorielles et nationales. Un tel engagement à investir dans l’humain tout au long de sa vie engendrerait des avantages bien au-delà de l’économique, mais encore faudrait-il que les priorités soient définies dans ce sens.

Au final, je constate que la priorité reste la croissance et encore la croissance, à travers surtout l’investissement venu de l’étranger et un environnement éminemment favorable aux affaires, les nombreuses et fort louables mesures sociales faisant l’effet d’apaisement social, bénéfique aux affaires et à l’investissement, soit-dit en passant. Un exercice budgétaire donc de pure stratégie, empreint de calculs psychologiques aussi bien que pragmatiques. Pour réellement croire au tag line du ministre – « le futur qu’on mérite » – j’aurais tout de même souhaité voir moins de slogans et plus de considérations abouties pour les attentes, appréhensions et aspirations des Mauriciens de la classe moyenne et plus bas encore, vivant ici par choix ou par défaut. Dans leur futur à eux, ils mériteraient bien de figurer comme une priorité nationale.

Juin 2023

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