Marday Venkatasamy : « Accompagner le pays dans son passage d’État insulaire à État océan »

Marday Venkatasamy reprend pour la quatrième fois les fonctions de président de la MCCI, poste qu’il avait en effet déjà occupé en 1995, 2004 et 2010. Il place sa présente mandature sous le signe de la transition du pays d’un État insulaire à un État océan. Dans l’interview qui a accordé au Mauricien, il évoque les nouveaux défis que se doit de relever la MCCI et passe en revue la situation économique du pays. De même, il insiste sur la nécessité de maintenir l’industrie comme épine dorsale de notre économie et souligne l’importance des PME. Pour Marday Venkatasamy, la génération de droits de propriété intellectuelle à Maurice et leur commercialisation sont aujourd’hui très faibles. Mais il relève aussi l’importance d’investir dans les ressources humaines.

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Tout d’abord, nos félicitations pour votre réélection. Chaque mandat a sa particularité. Qu’est-ce qui, selon vous, caractérise ce nouveau mandat à la présidence de la MCCI ?

J’ai autant de craintes que ma première mandature de 1994 ou celle de 2004 ! Celle-ci sera marquée par une transition économique, allant de l’État insulaire à l’État océan, et qui a pour objectifs d’établir un revenu supérieur par tête d’habitant, d’apporter des changements environnementaux et climatiques, et de renforcer nos relations avec l’Afrique (à travers la Continental Free Trade Area et l’accord tripartite SADC, COMESA, EA), la Chine, l’Inde et sans oublier la région océan Indien.

Dans votre message aux membres de la MCCI, vous évoquez de nouveaux défis à relever. Quels sont-ils ?

Nous avons identifié sept grands axes sur lesquels Maurice doit se pencher : 1) Le défi de la démographie : avec un taux de fertilité de 1,3%, alors qu’il nous faut au moins 2,1% pour remplacer les mortalités, nous serons moins de 800 000 d’ici 2100. Les facteurs sont multiples. Par exemple, les couples font des enfants de plus en plus tard, et ce en raison du coût d’élever un enfant. Ils font par la suite face à des difficultés de nature différente quand ils sont fin prêts d’en avoir. Les traitements de fertilité sont élevés. Nous progresserons en éliminant le tabou autour de la procréation médicalement assistée. Maurice doit prôner une politique d’ouverture pour attirer de jeunes talents mondiaux et des personnes à  valeur nette élevée. 2) La désindustrialisation prématurée de nos entreprises : la part de l’industrie manufacturière dans le PIB a chuté de 24% à seulement 13%, avec une croissance qui passe de 17% à moins de 1%, alors que l’emploi est passé de 40% à 15%. Nous sommes devenus un pays importateur de produits manufacturés alors que nous étions un pays exportateur. 3) La connectivité aérienne, maritime et la communication. 4) Le changement climatique et environnemental : nous ne sommes plus à l’abri des cyclones violents qui peuvent nous mettre à genoux pendant longtemps si nos infrastructures électriques et routières de même que les communications ne sont pas résistantes. 5) Les infrastructures publiques : l’aéroport est presque saturé par rapport à nos ambitions de “hub” régional. L’investissement dans des quais à eaux profondes et l’amélioration de la productivité dans le port sont aussi essentiels. 6) L’innovation et la recherche. Et 7) La facilitation des affaires.

Vous parlez également de nouvelles opportunités. Pouvez-vous élaborer ?

Des nouvelles opportunités d’affaires se dessinent en effet aujourd’hui par rapport à l’économie océanique et l’innovation, telles l’Internet of things ou les nanotechnologies. Nous sommes aussi dans une phase dynamique de nos négociations internationales. Nous proposons et négocions aujourd’hui dans le cadre de l’Accord de partenariat économique (CECPA) avec l’Inde pour l’utilisation de Maurice comme destination de fabrication sous-traitée pour les produits indiens. Nous pouvons devenir une destination de fabrication externalisée pour le marché asiatique, tout comme nous pouvons devenir un centre de distribution pour l’Afrique.

La MCCI participe donc activement aux négociations internationales aux côtés du gouvernement ?

C’est le cas depuis de nombreuses années depuis l’époque où Jean Claude Montocchio était secrétaire général de la MCCI. Lors des négociations commerciales internationales, les secteurs privé et public font partie d’une équipe solidaire. La MCCI fait, elle aussi, partie de l’équipe de Maurice. C’est ce qui fait la force du pays. Nous sommes donc partie prenante des négociations concernant le CECPA, l’accord de libre échange sur le continent africain, l’accord de libre échange avec la Chine et les accords commerciaux avec d’autres pays dont la Turquie. Nous travaillons avec le gouvernement du jour.

Vous arrivez également à un moment où les exportations n’arrivent pas à décoller et donnent des signes de fatigue. Quelles en sont les causes profondes ? A-t-on les moyens de renverser la vapeur ?

Le premier miracle économique était une combinaison d’agressivité à l’export et la substitution des produits importés. On exportait plus et on importait moins. Les deux secteurs avaient de nombreuses incitations pour le faire. Aujourd’hui, on exporte moins et on importe plus pour notre consommation locale. Les raisons sont multiples : il n’y a plus de filet de protection, la roupie n’est plus compétitive pour compenser les hausses continues des coûts de production; la disponibilité de la main-d’œuvre locale; la compétition farouche sur le marché et le manque d’un “level-playing-field”. Quand on parle de nos exportations traditionnelles – comme le sucre et le textile –, on n’est plus en position de traitements préférentiels (les accords sur le sucre et le Multi-Fibre Agreement ne sont plus d’actualité et on opère dans un marché global de compétitivité) face à la Chine, au Bangladesh et à Madagascar, où les coûts de production sont plus bas. Il nous faut donc innover et créer un nouveau type d’exportation avec une forte valeur ajoutée et des niches de productions. La refonte de notre industrie exportatrice passe par une transformation à forte valeur ajoutée. Des produits comme les équipements médicaux ont un fort potentiel d’export. Sur la compétitivité de la monnaie, la Tunisie, beaucoup plus proche que nous du marché européen, a déprécié son dinar de 27% sur les trois dernières années. C’est une politique délibérée adoptée pour booster les exportations, prise en consultations avec la FMI. À Maurice, il faut analyser la compétitivité de notre monnaie.

Votre prédécesseur s’inquiète de la désindustrialisation. Qu’en pensez-vous ?

Le phénomène de désindustrialisation est une de nos préoccupations majeures. De 1968 à 2001, le secteur manufacturier a eu un taux de croissance moyen annuel d’approximativement 17%. Le secteur avait contribué pour 24% de notre PIB local. Au sommet du boom industriel dans les années 1980, le secteur employait presque 40% de notre population active. Depuis 2001 cependant, le secteur a connu une croissance modeste de 4,5%, avec une contribution de moins de 13% au PIB local et moins de 15% de l’emploi total. Nous avions, dans les années entourant l’indépendance allant jusqu’aux années 2000, développé une politique incitative à l’industrialisation et à l’autosuffisance. De plus en plus, face à la compétition grandissante, le manque de main-d’œuvre et des challenges à la facilitation des affaires, nous remarquons que bon nombre d’entrepreneurs préfèrent ne plus investir et s’engager dans l’industrie locale. On le voit sur les dix dernières années. En 2006, l’investissement manufacturier était de Rs 4,9 milliards alors qu’en 2017, elle représente Rs 4,1 milliards. Ainsi, la contribution du secteur à l’investissement productif par rapport au PIB a chuté de 10% à 5%. C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui en consultations, dans le cadre du prochain budget avec le ministère de l’Industrie, avec nos collègues de l’AMM, pour une refonte de la stratégie industrielle. Il faut que l’industrie reste l’épine dorsale de notre économie. Pour cela, elle doit bénéficier de la facilitation des affaires et des charges administratives, qui lui permettent de rester compétitive, de prendre des mesures d’incitation à l’investissement productif ainsi que d’établir un meilleur accès aux travailleurs et aux talents – qu’ils soient locaux ou étrangers.

Le secteur des services occupe actuellement la part du lion du PIB. Est-ce que ce secteur représente la planche de salut pour l’économie ?

Effectivement, les services contribuent à plus de 75% du PIB. À la MCCI, nous le voyons plutôt comme un modèle intégré. Le manufacturier, le commerce, la logistique, le stockage des produits, le financement, les machines, les outils informatiques ainsi que l’agroéconomie sont intégrés aux services et vice versa. L’effet multiplicateur des autres secteurs de l’économie sur les services aide à booster le secteur. Nous avons aussi des services spécialisés comme les BPO, les services financiers globaux et le tourisme, qui sont porteurs de l’économie – ces trois secteurs contribuent à eux seuls à 25% de notre PIB, et annuellement pour plus de 1 point de pourcentage de notre taux de croissance. On a également aujourd’hui des services spécialisés de recherches et de “laboratory tests” dans des secteurs émergents tels les biotechnologies et la pharmaceutique. Sur les dix dernières années, l’exportation des services a toujours progressé, sauf en 2013. La croissance cumulée des exportations de services est de plus de 46% sur les dix dernières années.

Le gouvernement, à travers le ministre Bholah, insiste pour une plus grande reconnaissance tant sur le plan local qu’international du secteur des PME. Quelle est votre évaluation de ce secteur d’activité ?

D’après les derniers chiffres de Statistics Mauritius, les PME comptent pour plus de 99% de tous les établissements de Maurice et à presque la moitié de tous les emplois du pays. Il est estimé que les PME contribuent à hauteur de 35% à notre PIB national. Ces dernières se trouvent principalement dans les secteurs de l’agro-industrie, manufacturier, du commerce, du transport et de la construction. À la MCCI, nous sommes conscients de l’importance de ce secteur à l’économie mauricienne. Les incitations fiscales, comme les “8 year tax holidays” ainsi que des taux préférentiels pour l’achat des équipements sous le LEMS Scheme, sont des mesures qu’on accueille favorablement. Par ailleurs, nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des Affaires, des Entreprises et des Coopératives sur l’implémentation du “10 Year Master Plan for the SME Sector”, un plan stratégique pour le développement des PME s’étalant sur une période de 10 ans. Nous sommes membres du comité responsable de l’implémentation de ce plan, mené par le secrétaire permanent du ministère. Nous avons aussi lancé, en partenariat avec la SMEDA, aujourd’hui devenue SME Mauritius, une section intitulée “Creative Mauritius” sur notre site (www.taxfreeshopping.mu). Cette section a pour but de promouvoir les artisans authentiques locaux. C’est ainsi que SME Mauritius identifie les artisans et s’assure de leur authenticité pour ensuite nous les recommander, tandis que nous faisons l’implémentation technique sur notre site (création de leur page). Nous leur offrons gratuitement une page Web avec une description de leurs produits, leurs adresses et un logiciel de géolocalisation permettant aux touristes de les contacter directement. Cette section, tout comme le reste du site, proposera bientôt un service d’e-commerce. Récemment, SME Mauritius et GS1 Mauritius – une subsidiaire de la MCCI proposant un service de code-barres – ont signé un accord de coopération. Cette collaboration vise à faciliter l’accès des codes-barres pour les PME sous forme d’un subside accordé par le gouvernement. Ces codes-barres permettront un accès aux réseaux de ventes. D’autres accords sont aussi prévus. Nous apporterons plus de renseignements prochainement. Je peux donc vous assurer que ce secteur fait partie de nos priorités, d’autant plus que plus de la moitié de nos membres sont des PME.

Que signifie pour vous le passage d’une économie à revenus moyens à celui d’un pays à revenus élevés ?

Le passage d’une économie à revenus moyens à celui de pays à revenus élevés est une ambition de notre gouvernement et du secteur privé. L’échéance a été fixée à 2023. Concrètement, devenir un pays à revenus élevés signifie un PIB par tête d’habitant plus élevé – à USD 12 475, d’après les dernières prédictions de la Banque mondiale. À Maurice, le revenu par tête d’habitant est de USD 9 740 alors qu’aux Seychelles, il est de USD 15 075. Pour soutenir cette ambition de passer à une économie à revenus élevés, nous devons avoir un taux de croissance économique qui dépasse les 4% et un taux d’investissement beaucoup plus élevé. Cependant, le passage à une économie à revenus élevés doit être aussi accompagné d’un soutien à ceux au plus bas de l’échelle.

Pour atteindre cet objectif, l’accent est mis sur des investissements considérables dans les infrastructures. Qu’en est-il des ressources humaines ?

L’investissement dans les infrastructures stratégiques est primordial pour la facilitation des affaires. Le port, l’aéroport et l’infrastructure routière sont des outils primordiaux au bon déroulé du commerce. En temps de croissance économique modérée, le modèle keynésien prône une augmentation des investissements publics par le gouvernement pour booster l’économie. Ceci, à l’effet d’une demande croissante des produits liés à la construction et par effet boule de neige, augmente les recrutements ainsi que la consommation. Cependant, nous notons qu’entre 2012 et 2017, les investissements publics ont décru de 3,4%. Nous accueillons donc l’accent renoué aux investissements dans les infrastructures stratégiques. Au niveau du port, on accueille favorablement les investissements sur le plan directeur, qui devra culminer sur le “Deep Water Quay”, qui mettra Maurice sur une position de vente unique. On sera ainsi le seul port dans l’océan Indien avec une telle capacité. Les infrastructures portuaires de Maurice sont l’une des composantes les plus critiques, sinon la plus importante, permettant à Maurice de bénéficier d’une économie dynamique à l’avenir. Nous devrions nous positionner pour devenir la plateforme reliant l’Asie et l’Afrique. C’est encore plus critique quand on parle d’installations de transbordement. Nous avons le potentiel de devenir une plaque tournante des installations de transbordement de la région. Sur les investissements au niveau du système routier, un investissement d’approximativement 0,7% du PIB a été alloué pour le plan de décongestion routière. L’implémentation, prompte à ces investissements stratégiques, aura certainement un effet multiplicateur sur notre économie. Mais vous avez raison. Tout en investissant dans les infrastructures, il est primordial aussi d’investir dans les ressources humaines, l’éducation nationale, la formation continue ainsi que le transfert des compétences.

On parle de croissance économique de 3,9 à 4%. Quel est le potentiel réel du pays ?

D’après nos dernières analyses macroéconomiques à la MCCI, nous avons estimé que le taux de croissance potentiel de cette année serait de 4,1%. Si la croissance de l’économie cette année tourne autour de 3,9 à 4,0%, cela implique que l’écart de production a été partiellement résorbé et que le taux de croissance effectif est presque au même niveau que le taux potentiel, impliquant que notre économie est en train de retrouver son dynamisme. Pour pallier ce déséquilibre – où la croissance effective est inférieure à son potentiel –, nous devons alors procéder à une politique expansive avec des mesures de soutien à la consommation. Mais, en même temps, il nous faut augmenter notre potentiel de croissance par des réformes structurelles, comme l’acquisition de technologies, les compétences, l’innovation et l’amélioration de l’environnement des affaires, pour favoriser l’émergence de nouveaux secteurs d’activité tels l’économie océanique, la biotechnologie et la robotique.

Que veut dire pour vous l’innovation ? Quels sont les nouveaux secteurs émergents ? La digitalisation de l’économie se fait-elle de manière satisfaisante ?

La recherche, le développement et l’innovation sont primordiaux pour le développement économique de Maurice, avec des effets multiplicateurs sur tous les secteurs de l’économie. Comme le démontre le dernier rapport du Global Innovation Index du WIPO, Maurice est classée 53e avec seulement 0,18% de la part des dépenses en recherche et développement. En comparaison, Singapour dépense 2% de son PIB, la France est à 2,26% et l’Allemagne à 2,84%. La génération de droits de propriété intellectuelle (PI) à Maurice et sa commercialisation sont aujourd’hui très faibles. Selon les dernières données statistiques de l’IP Office, en 2016, seulement quatre nouveaux brevets et 19 dessins industriels ont été enregistrés, tandis que les marques restent aujourd’hui la plus grande source de protection de la propriété intellectuelle, avec plus de 1 925 nouvelles marques enregistrées. Depuis 2015, nous avons recommandé la mise en place d’un projet de loi révisé sur la propriété industrielle, qui prévoit l’adhésion de Maurice à un certain nombre de protocoles internationaux de propriété intellectuelle, notamment le Protocole de Madrid, le Traité sur les sociétés de brevets (PCT) et l’Arrangement de La Haye. Nous sommes heureux de noter que le projet de loi sera présenté au Parlement la semaine prochaine. Nous sommes en train de finaliser la mise en place d’une plateforme de transfert accéléré de technologies dans le domaine de l’innovation à la Chambre, avec l’aide de l’Union européenne. Nous travaillerons avec notre vaste réseau de chambres à travers le monde et des partenaires internationaux comme l’Enterprise Europe Network ou l’Innovate UK sur ce projet. Nous croyons fermement qu’avec des niveaux d’innovation et de technologie plus élevés, les entreprises mauriciennes pourront se réinventer et produire des produits et services haut de gamme et innovants.

Le ministre des Affaires étrangères souhaite que le secteur privé s’ouvre davantage sur la région et s’intéresse plus à l’économie océanique…

Il n’a pas tort. Les opportunités sont effectivement énormes avec la signature de l’African Continental Free Trade Area et celle de la zone de libre-échange avec la Chine. Pour être une véritable passerelle entre l’Asie et l’Afrique, nous allons renforcer le partenariat public/privé avec les pays du COMESA à travers notre présence sur le COMESA Business Council mais aussi via nos commissions jointes avec le Kenya et la Tanzanie. Sur le plan régional, la MCCI renforcera ses implications dans l’Union des Chambres de commerce et d’industrie de l’océan Indien et ses relations bilatérales avec La Réunion et les Seychelles. L’économie océanique a aussi un fort potentiel pour Maurice. Nos 2,9 millions de km2 de zone d’exclusive économique font que nous sommes en réalité une économie océanique plus grande que nous le pensons. Nous sommes le 20e pays le plus grand mondialement quand nous mesurons notre zone d’exclusivité économique.

À l’approche de la présentation du budget, quelles sont vos attentes ?

Nous allons bientôt organiser des ateliers de travail sectoriels pour recenser les attentes de nos membres et des opérateurs face aux défis et nous soumettrons, comme dans le passé, un mémorandum complet au ministère des Finances, qui reprendra nos analyses économiques.

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