Narendranath Gopee : « Halte au bétonnage du pays car il défigure le paysage »

« Halte au bétonnage, car il défigure le pays. Si on poursuit sur cette lancée en arrachant les champs de végétation au profit du bétonnage, cela risque de faire fuir les touristes. »

- Publicité -

Tel est en tout cas l’avis du président de la Federation of Civil Service and Other Unions (FCSOU), Narendranath Gopee. Dans la même foulée, il devait souligner que l’extension du projet Metro Express vers Côte-d’Or « n’est pas la priorité du moment » de la population. « Ce projet ne fera que profiter aux grands propriétaires de la région, qui verront le prix des terrains s’apprécier tout simplement. »

Le gouvernement devrait ainsi, selon lui, se concentrer sur l’amélioration de la fourniture d’eau de la population et baisser les prix des carburants.

Dans l’interview qui suit, le président de la FCSOU demande aussi au gouvernement de ne pas aller de l’avant avec la hausse des tarifs d’électricité, « qui manifestement aura un impact sur les produits frigorifiés vendus dans les supermarchés ». En ce qui concerne la polémique entourant la décision de commuer la peine d’emprisonnement du fils du commissaire de police en une amende, il estime qu’il s’agit d’un mauvais signal sur les jugements des Cours de justice. Narendranath Gopee explique aussi qu’une décision a été prise au niveau de la fédération en vue de rencontrer des leaders de partis politiques à l’avenir. « Le but est de connaître leurs propositions en cas de prise de pouvoir », dit-il.

Quel regard portez-vous sur l’année qui vient de s’écouler ?
2022 a été marquée par la douleur pour beaucoup de Mauriciens. Cela a été une année de tristesse et de turbulences. Nous avons été témoins de nombreux cas de brutalités policières, avec des instruments de torture. Cela confirme que l’espace démocratique est violé à outrance à travers l’utilisation de méthodes militaires pour obtenir des aveux de gens supposément innocents jusqu’à preuve du contraire. Tout accusé doit avoir droit à la présomption d’innocence, comme le stipule la section 10 (2) A de la Constitution du pays.

Pourquoi parlez-vous de tristesse et de turbulences ?
Tristesse parce que nous avons assisté à beaucoup d’accidents de la route causant des pertes humaines. Les torts sont cependant partagés des deux côtés. D’abord, ceux qui sont impliqués directement dans des accidents ou les usagers de la route, et ensuite la part de responsabilité du gouvernement.

La limitation de vitesse imposée sur les routes n’est pas autorisée scientifiquement, surtout en ce qu’il s’agit des répercussions sur la qualité du goudron utilisée sur les routes. A l’étranger par exemple ; le matériel qui est utilisé pour asphalter les routes correspond à différentes vitesses. Il y a aussi dans ces accidents de la route une grande part de négligence des usagers, notamment vis-à-vis du respect du code la route.

C’est devenu presqu’une mode de nos jours que les automobilistes empruntent une route non autorisée et met ses phares sans se soucier que la voiture venant en sens inverse puisse freiner. Autre type de négligence provoquant encore des accidents de la route : lorsqu’un véhicule sortant d’une Side Lane pénètre sur une route principale sans se soucier de la vitesse à laquelle les véhicules roulent. Il y aussi cette mentalité des motocyclistes qui doublent des véhicules que ce soit à droite ou à gauche dans les files de véhicules.

J’ai aussi parlé de turbulences parce que nous avons assisté à des arrestations arbitraires. Ce sont des actes qui ont, en quelque sorte, violé les droits des individus. La Constitution prévoit qu’un accusé a le droit d’être assisté d’un avocat à son arrestation pour sa défense. Ces arrestations arbitraires laissent un très mauvais souvenir aux familles concernées, surtout si elles se sont déroulées devant des enfants. Je prends l’exemple de ces gens qui ont été torturés à l’aide de tasers.

Nous avons aussi été témoins de l’arrestation arbitraire de Bruneau Laurette. La tragédie de cet homme, c’est d’avoir porté ce nom. L’autre tragédie de sa part, c’est de n’avoir pas cédé à la pression du gouvernement. Nous avons aussi vu des cas de Planting of Drugs, qui ont été effectués pour extraire des aveux à des personnes arrêtées.

Il y a aussi le coup fatal infligé à la population en ce qu’il s’agit du taux d’inflation, qui a touché la barre des 12,2%. Donc, durant l’année 2022, beaucoup de Mauriciens ont souffert du prix de l’inflation. En raison de l’absence de contrôle, lorsque lex prix des commodités augmentent, cela a des répercussions aussi pour le stock qui existe déjà dans les entrepôts. Ce qui veut dire que les commerçants réalisent des Windfall Gains conséquents. Le gouvernement aurait dû avoir un système pour identifier le stock des produits qui existent déjà sur le marché, pour que celui-ci ne soit pas frappé par des majoration des prix à tort.
Les Mauriciens, en tout cas, ont déjà commencé à manifester leur mécontentement sur la destruction des terres agricoles au profit du bétonnage. Nous sommes en train de détruire cette terre fertile, qui pourrait avoir été utilisée pour produire beaucoup de grains secs, de fruits, de légumes, etc. Cela aurait pu aider le pays à devenir autosuffisant sur le plan alimentaire. Il y a en tout cas une très mauvaise planification au niveau des différentes institutions à Maurice.

Quels sont vos souhaits pour 2023 ?
Le premier est que le gouvernement baisse les prix de l’essence et du diesel. Une baisse des prix à la pompe peut avoir un effet cascade sur beaucoup de commodités de consommation courante.

Nous souhaitons aussi que le gouvernement n’aille pas de l’avant avec la hausse des tarifs d’électricité à partir du mois prochain, car ce sera un coup de massue sur la tête des consommateurs en général. Je déplore aussi le fait le manque de vision du ministre de l’Énergie, Joe Lesjongard, lorsqu’il vient dire que ceux consommant jusqu’à 300 unités d’électricité ne seront pas affectés par cette mesure. Le ministre oublie peut-être que le prix des commodités est aussi déterminé par cette mesure, comme celles qui se trouvent dans les frigos des grandes surfaces. Lorsque les tarifs d’électricité augmentent, les magasins passeront automatiquement la note aux consommateurs.

Notre troisième souhait est que l’on cesse de gaspiller l’argent du peuple avec le métro. L’extension du tracé vers Côte-d’Or est un non-sens qui profitera tout simplement aux grands propriétaires terriens. D’ailleurs, ce sont eux qui ont demandé au gouvernement que le métro converge vers Côte-d’Or, pour augmenter la valeur des terrains à cet endroit et qu’ils puissent investir dans des projets de Smart City.

D’ailleurs, si le métro va à Côte-d’Or, il roulera certainement à perte, et c’est tout simplement les grands propriétaires fonciers de l’endroit qui en profiteront. La fédération demande au gouvernement de cesser de convertir les terrains agricoles au profit du béton. Il doit cesser de bétonner le pays. Le bétonnage est en train de défigurer le paysage de Maurice. Si cela persiste, cela nuira à la réputation de Maurice sur le plan touristique. Car les touristes ne sont pas intéressés par les bâtiments lorsqu’ils viennent ici, mais par la plage, la nature, la verdure, les rivières, la forêt, etc. Les touristes ne sont pas intéressés avec les Malls et les Smart Cities, ils en ont déjà assez comme cela dans leurs pays. Le type de bétonnage auquel nous assistons dans le pays est inspiré de ce qui se passe en Europe.

Enfin, souhaitons que le gouvernement vienne aux personnes âgées, qui ne se fient uniquement que sur la pension de vieillesse pour joindre les deux bouts. Il faudrait aussi que le ministère de la Sécurité sociale effectue une étude sur les pensionnés méritant une carte de rabais sur l’achat de produits alimentaires.

On parle souvent du projet de transformation de la Fonction publique. Qu’en est-il exactement ?
Il est malheureux de constater qu’on dispose d’un département de transformation opérant à une vitesse de tortue. Ce département souffre d’un manque de staff. Il a simplement deux assistants-directeurs et trois Management Support Officers. Ils ne peuvent pas faire grand-chose.
Il y a eu quand même quelques transformations, qu’on peut qualifier de positives, surtout en ce qui concerne les facilités qui aident les gens à payer leurs dus à travers l’Internet. On aurait pu, par exemple, permettre de payer les Fixe Penalties en ligne.
Je pense que la fonction publique nécessite un changement en général de Mindset  de la part des chefs de départements pour améliorer les relations industrielles. Aussi, il faut de la transparence dans la prise de décisions.

Vous avez demandé à rencontrer le leader du Parti travailliste… Pourquoi ?
Effectivement, je lui ai lancé un appel en vue de le rencontrer à la suite de l’annonce qu’il a faite à l’effet qu’il accorderait des billets d’avion aux pensionnés pour qu’ils puissent se rendre à La-Réunion s’il revenait au pouvoir.

Il a aussi dit que s’il redevenait Premier ministre du pays, il reverrait les salaires de certaines catégories de fonctionnaires, notamment des policiers et des enseignants. La première annonce aura un impact direct sur le Consolidated Fund. On ne peut pas jouer avec les fonds publics, car tout gouvernement responsable doit être redevable envers le public.

En ce qui concerne les salaires des fonctionnaires, je pense que sa déclaration constitue une ingérence directe dans les affaires du Pay Research Bureau (PRB), qui a toujours été considéré jusqu’ici comme un corps indépendant. Or, il ne faut pas s’ingérer dans les affaires des institutions indépendantes, car cela envoie un mauvais signal aux fédérations syndicales et aux syndicalistes. Nous croyons dans l’indépendance des institutions.
Je lance donc un appel à Navin Ramgoolam. S’il redevient Premier ministre, il aura à prendre l’engagement de mettre les clés du PRB sous le paillasson. C’est institution ne sert plus à rien.

Le gouvernement est en train de dépenser trop d’argent pour le PRB en termes de paiement de salaires et de bénéfices, et que les officiers du PRB ne méritent pas. C’est plutôt un gaspillage des fonds publics. Nous avons l’intention de lui dire comment on devrait plutôt remplacer le PRB. A la suite de notre première requête en vue de le rencontrer, des responsables ont pris contact avec la fédération pour nous dire qu’une réunion avec le leader du Ptr serait bientôt fixée pour parler de la Fonction publique. C’est une bonne chose, mais soyons clairs : notre décision de le rencontrer s’applique aussi à tous les leaders de partis. Nous recherchons des réunions individuelles ou conjointes pour connaître leurs propositions en cas de prise de pouvoir.

La décision de commuer la peine du fils du commissaire de police en amende fait beaucoup de bruits. Quel regard jetez-vous sur tout cela ?
Je considère cela comme un dérapage de la part du président de la république, qui a approuvé la recommandation de la Commission de Pourvoi en Grâce. Il aurait pu renvoyer cette recommandation au comité et lui demander de revoir sa décision. Puisqu’il ne l’a pas fait, tout le monde se pose la question de savoir ce qui a pu se tramer pour justifier cette décision.

Le président Roopun doit venir s’expliquer. D’un point de vue légal, en regardant la section 75 de la Constitution au chapitre ayant trait à la Prerogative of Mercy, je considère ce passage trop vague. Il manque des conditions spécifiques pour être éligibles et que son cas soit revu par la commission.
D’après cette section, si une personne a été condamnée aujourd’hui, elle peut être pardonnée demain par la commission. C’est un non-sens. Il fallait y attacher des conditions spécifiques pour les gens ayant déjà été condamnés et qui souhaitent faire une Demand of Mercy .

Selon moi, il serait logique qu’une personne condamnée et incarcérée pendant un certain nombre d’années puisse être éligible à une Demand of Mercy, et certainement pas quelqu’un n’ayant jamais été incarcéré.

La décision de commuer les peines du fils du commissaire de police a été mal inspirée. Cela a mis les Cours de justice, la cheffe juge et les magistrats dans une mauvaise posture. Cette décision du président de la république est opaque. Nous ne savons pas sous quelles conditions la peine de 12 mois d’emprisonnement a été convertie en Rs 100 000 d’amende.

Cette grâce va en outre à l’encontre de la décision de la Cour suprême et de la Cour intermédiaire. CVette dernière instance avait condamné lefils du commisaire de police à 12 mois de prison. La décision du président Roopun est un désaveu administré à la Cour suprême et à la cheffe juge. Aussi, je demande que la cheffe juge et l’ancienne magistrate ayant traité l’affaire de sSep Down  pour préserver leur honneur.

Pradeep Roopun est supposé être le garant de la Constitution, et donc de l’indépendance du judiciaire. Le président, qui est un membre de l’exécutif, a renversé une décision judiciaire, ce qui est un signe très grave pour l’indépendance de nos institutions, surtout la Cour suprême.

Les travailleurs auront droit à une compensation salariale de Rs 1 000 à compter de ce mois… Est-ce suffisant ?
Nous avons fait une demande pour une compensation salariale d’environ Rs 2 900 basée sur une inflation absolue en 2022. Le gouvernement n’a accordé que la moitié, et ce n’est pas suffisant.

Les pensionnés ont de leur côté été laissés sur la touche encore une fois. Le gouvernement avait pourtant la capacité d’octroyer une compensation salariale plus conséquente, car le gouvernement a de l’argent. Je déplore le fait que cette compensation salariale n’ait pas été payée aux bénéficiaires des prestations sociales.

L’intention du gouvernement de ne pas payer les pensionnés d’année en année servira en tout cas à quelque chose. En effet, le gouvernement ne compense pas les personnes âgées depuis 2020, et l’argent accumulé ces trois dernières années servira à augmenter la pension universelle, tout simplement.

Ce qui fait que le fardeau financier du gouvernement sera moindre. Car en ce qui concerne le paiement de la pension de Rs 13 500, le gouvernement a créé la Contribution Sociale Généralisée (CSG). Lorsqu’on analyse la Social Contribution and Social Benefit Act, on voit d’ailleurs clairement que provision a été faite pour que le fond maximal par tête qui sera déboursé du fonds de la CSG soit de Rs 4 500. Donc, on peut dire qu’il y aura un fardeau financier, car des gens sont en train de contribuer à travers des taxes dans ce fonds.

La population se plaint de la fourniture d’eau. Que pensez-vous de la situation ?
La fourniture d’eau irrégulière est une situation qui durera dans le temps. Tout simplement parce que des pertes d’eau sont enregistrées au niveau du système de distribution et par le processus d’évaporation. Plus il fera chaud, plus l’eau continuera de s’évaporer.

Avec le changement climatique, les régions où se trouvent nos réservoirs ne sont plus idéales. J’ai une proposition, et qui a déjà été utilisée, notamment en Chine. Il s’agit d’une technique pour faire tomber de la neige, faisant de fait baisser la température. On appelle cela, le Cloud Tracking and Seeding , et cela consiste à attirer les nuages concentrés d’eau. En Inde, avant les grosses pluies, on enregistre des Dust Storm, qui les précèdent.

Je propose aussi qu’au lieu de construire des réservoirs, nous fassions des barrages sur les rivières pour capter l’eau. Nous disposons en effet de rivières qui, pendant toute l’année, déversent leur eau dans la mer. Nous devrions pouvoir la capter, ce qui ne coûtera pas trop cher.

Le gouvernement devra aussi revoir sa politique avec ceux à la tête de la Central Water Authority (CWA) afin que ceux-ci puissent prendre des décisions pratiques. Ce n’est pas avec des Politcally Bias People  qu’on arrivera à faire ce qu’il faut en faveur de la population. C’est d’ailleurs une des raisons qui expliquent pourquoi nos institutions sont en train de souffrir en ce moment.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -