Notre Dame de Paris

Hubert JOLY

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Président du Conseil international de la langue française à Paris

Le dramatique incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, a eu un retentissement sans égal dans le monde entier et la chute de la flèche en feu est restée dans toutes les mémoires. Tout de suite, les Français ont décidé de reconstruire l’édifice dont la charpente vieille de 800 ans était appelée « la forêt » tant elle était dense et entremêlée de chênes de toutes les époques. La président de la République a fixé aux bâtisseurs un délai de 5 ans pour mener à bien cet énorme travail. Comme toujours en France, il a fallu quelques polémiques pour assaisonner le plat principal. Certains voulaient du béton, d’autres du fer, d’autres de l’aluminium. On a finalement opté pour une reconstruction à l’identique, ce qui a provoqué une nouvelle cohorte de mécontents. Aujourd’hui, le chantier avance et l’on peut espérer que la date de la nouvelle inauguration sera tenue.

On peut aussi penser que, tout là-haut, dans le ciel, lorsqu’il n’y a pas de nuages, le bâtisseur de la cathédrale, Maurice de Sully, surveille la renaissance de son enfant. Ce prélat, originaire, comme son nom l’indique, de Sully-sur-Loire (où le duc de Sully ministre préféré d’Henri IV a encore son fier château), a été pendant 36 ans, de 1160 à 1196, l’âme de l’entreprise. Mais Notre-Dame de Paris n’a pas traversé les siècles sans dommages et sans cicatrices. Miraculeusement préservée jusqu’à la Révolution française et sans cesse enrichie d’œuvres d’art et de trésors religieux, l’édifice a d’abord été victime des fantasmes d’un certain Robespierre qui en a fait un temple de la Raison pendant que les statues des rois de Juda (prises par erreur pour celles des rois de France) étaient décapitées. On en a retrouvé par hasard 21 sur les 28, dans la cour d’un hôtel particulier du 9e arrondissement en 1977… Sauvées, elles ont été déposées au musée de Cluny qui est consacré au Moyen-Âge. Coup de chance ou miracle archéologique ?

Mais, après la tourmente révolutionnaire, le bâtiment était en triste état et il a fallu l’intervention, elle aussi miraculeuse, de Victor Hugo, pour que l’opinion publique qui méprisait le gothique redécouvrît la beauté et la grandeur de l’architecture du XIIIe siècle. Son roman, qui date de 1831 et dont l’édition complète est de 1832, est censé se passer en 1482, c’est-à-dire sous le règne de Louis XI et met en scène une série de personnages hauts en couleurs dont Esmeralda la bohémienne et Quasimodo le bossu.

 

« Dans un vaste espace laissé libre entre la foule et le feu, une jeune fille dansait.

Si cette jeune fille était un être humain, ou une fée, ou un ange, c’est ce que Gringoire, tout philosophe sceptique, tout poète ironique qu’il était, ne put décider dans le premier moment, tant il fut fasciné par cette éblouissante vision.

Elle n’était pas grande, mais elle le semblait, tant sa fine taille s’élançait hardiment. Elle était brune, mais on devinait que le jour sa peau devait avoir ce beau reflet doré des Andalouses et des Romaines. Son petit pied aussi était andalou, car il était tout ensemble à l’étroit et à l’aise dans sa gracieuse chaussure. Elle dansait, elle tournait, elle tourbillonnait sur un vieux tapis de Perse, jeté négligemment sous ses pieds ; et chaque fois qu’en tournoyant sa rayonnante figure passait devant vous, ses grands yeux noirs vous jetaient un éclair.

Autour d’elle tous les regards étaient fixes, toutes les bouches ouvertes ; et en effet, tandis qu’elle dansait ainsi, au bourdonnement du tambour de basque que ses deux bras ronds et purs élevaient au-dessus de sa tête, mince, frêle et vive comme une guêpe, avec son corsage d’or sans pli, sa robe bariolée qui se gonflait, avec ses épaules nues, ses jambes fines que sa jupe découvrait par moments, ses cheveux noirs, ses yeux de flamme, c’était une surnaturelle créature. » (1)

S’ensuivent des aventures incroyables dont la cathédrale est toujours le théâtre et la fin tragique mais palpitante et romantique des héros. L’extraordinaire succès du roman a provoqué dans la population française un émoi considérable qui a poussé les autorités à s’intéresser au sauvetage du monument. Par chance, ce travail sera confié à Eugène Viollet-le-Duc, jeune architecte de génie qui, de 1845 à 1865, restaurera l’édifice tout en y apportant toute la puissance de sa créativité et en inventant une néo-architecture gothique issue de sa grande connaissance du Moyen-Âge. C’est de cette époque que datait la flèche qui s’est effondrée durant l’incendie de 2019 et qui a perforé la voute du transept. Contrairement à ce qu’on a dit, elle n’était pas une invention de l’architecte car elle avait existé pendant la période médiévale mais avait été supprimée au XVIIIe siècle car elle menaçait de tomber. Quand il a pris en mains le chantier, aux dires de l’architecte, Notre-Dame n’était plus qu’une « carcasse branlante ».

Le paradoxe de l’incendie est qu’il a permis d’approfondir les connaissances archéologiques sur la cathédrale mais aussi sur les structures de l’église qui l’avait précédée. Il a même permis de retrouver, sous le dallage du transept, les fragments du jubé du XIIIe siècle qui avait été détruit et soigneusement enseveli au XVIIIe siècle…

On attend avec impatience le moment où la nouvelle flèche pourra être implantée… Mais tout cela, on le doit au flair d’un certain Victor Hugo qui a été le premier à s’émouvoir du devenir de Notre-Dame et c’est pour cela qu’on donne ici un fragment trop court de son célèbre roman. Pour les vrais amateurs d’architecture, il faudrait signaler le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe siècle au XVIe siècle de Viollet-le-Duc, ami de Prosper Mérimée.

C’est une mine, un trésor, mais c’est encore une autre histoire, une histoire de France… Alors, il faut aller voir sur YouTube dans l’émission « Des Racines et des Ailes : Notre-Dame de Paris, le chantier du siècle » (2). Ces images parleront mieux que moi.

 

 

  • Hugo, Notre Dame de Paris
  • https://www.youtube.com/watch?v=lvziDzuw6Os

 

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