Philibert Commerson, concepteur d’une Académie à l’Isle de France

JEAN-MARIE HURON,

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Trésorier de la Société Royale

des Arts et des Sciences de l’Ile Maurice

 

La conférence suivante a été donnée à La Maison de La Villebague le dimanche 30 avril 2023. Cette journée de découvertes dans le contexte de la commémoration des 250 ans du décès de Commerson, médecin et naturaliste du roi, a été tenue sous l’égide de la Société Royale des Arts et des Sciences de l’Ile Maurice, dont le président est Pierre de Boucherville Baissac.

Philibert Commerson avait un caractère entier et avait « dévoué sa vie à la botanique et à la recherche d’un monde idéal ».  Il concevait les sciences naturelles comme un moyen de moderniser et de faciliter la vie et avait aussi à cœur de disséminer l’information au public.

Il était un travailleur acharné, et à part ses accomplissements sur l’herborisation et le classement des espèces, ce qu’on sait moins de lui c’est qu’il a beaucoup écrit, mémoires, rapports, sur l’identification et le classement des espèces des trois règnes (animal, minéral et végétal), mais perfectionniste à souhait il n’a que peu publié.

Un de ses traits de caractère était aussi sa générosité, ce qu’il avait appris, il désirait le rendre. Cela se constate dans certains rapports dont un était un catalogue permettant à toute personne passionnée d’herboriser dans toute la France.   

Un tableau représentant Philibert Commerson

Mais le projet phare qu’il conçut fut celui de la création d’une ville ou “République Académique”. Au milieu du 18ème siècle, les universités traditionnelles laissaient peu de place à la science alors que la nouvelle philosophie du Siècle des Lumières favorisait son développement. De nouvelles Académies furent fondées, mais les membres ne disséminaient guère leur savoir. Le génie de Commerson fut de combiner ces deux concepts et proposer une institution qui non seulement accumulerait le savoir scientifique, mais aussi le disséminerait.

C’était un projet complet avec une administration, un personnel enseignant et subalterne d’environ 400 personnes et quelque 3 000 à 4 000 élèves, tous résidents. Il conçut même les plans de cette ville ainsi que le montage financier.

Dans ce contexte, il envisageait six différents ordres avec les sujets suivants, poussant à une meilleure connaissance de l’histoire naturelle et aidant au développement de l’agriculture :

l’histoire naturelle du règne animal, végétal et minéral ;

les mathématiques, la géométrie et la mécanique ;

les sciences (l’astronomie, l’hydrographie, la géographie) ;

les arts (peinture, sculpture, architecture) ;

la médecine ;

les lois.

Certains termes utilisés plus loin paraîtront désuets, mais ils faisaient partie de la terminologie de l’époque, et la signification de ces termes sera expliquée.

Ainsi, cette Académie comprendrait 76 académiciens dirigés par un Directeur, deux Archisecrétaires et 6 chargés de cours nommés Dictateurs (ceux ayant la science infuse) qui seraient secondés par des magisters (professeurs) donnant des cours dans des salles appelées conclaves ou consistoires. Son but serait de former le maximum de personnes qui pourraient aider au développement de l’agriculture, non seulement en France mais également dans  d’autres pays.

Une des innovations était aussi d’organiser, pour le public, des conférences dans une salle qu’il avait surnommée le Capitole, qui abriterait aussi les Conseils de Direction de l’Académie. Dans ce Capitole, une chapelle multiconfessionnelle permettrait à plusieurs confessions religieuses de s’exprimer.

Il avait aussi identifié des correspondants dans des universités européennes. La grande innovation était de créer  21 stations outre-mer dans les continents américain, africain, asiatique. Elles comprendraient des équipes dirigées par des Dictateurs et seraient chargées d’étudier l’histoire naturelle de ces pays et de faire parvenir à l’Académie des rapports, des échantillons, mais aussi des spécimens vivants de ces territoires.

Philibert Commerson n’avait pas oublié les relations publiques et avait imaginé une série de prix annuels pour les innovations dans l’architecture, le commerce, les arts, l’agriculture, la mécanique, la physique et la vertu.

Dissémination

Il s’était même penché sur l’aménagement du projet car, outre le mobilier habituel requis, cette Académie serait aussi pourvue d’une bibliothèque très fournie et dotée d’ouvrages importants. Des cabinets abriteraient des collections de spécimens des trois ordres de France, d’Europe et de trois continents, aussi ceux d’autres sphères artistiques. Une imprimerie allait être un outil important pour aider à la publication et la dissémination des travaux. Les jardins abriteraient un système d’adduction d’eau, des potagers, vergers et même une ménagerie.

Afin d’aider ses lecteurs à mieux visualiser la dimension de son projet, Commerson le compara à la superficie de sa ville natale, Châtillon-sur-Chalaronne dans la Bresse. Pour cela, il utilisa l’unité de mesure en cours localement et qui était le pas, équivalent à 81 cm ou  2 1/2 pieds du roi.  Ainsi, Châtillon-sur-Chalaronne qui comptait environ 200 maisons, avait pour diamètre 350 pas, soit environ 285m,  alors que celui de son projet serait d’environ 1 400 pas, ou 1 200m, soit quatre fois la superficie de sa ville natale.

Commerson avait prévu de financer les dépenses capitales par des contributions de sponsors parmi les grosses fortunes du continent qui avaient une largesse d’esprit. Le fonctionnement de l’Académie serait réalisé par une loterie organisée régulièrement.

Cette ville académique ne put malheureusement, faute de financement, être réalisée!  Mais elle démontre la vision qu’avait Commerson au-delà de ses connaissances de naturaliste.

Entre-temps, sur la recommandation de l’Intendant Pierre Poivre, Commerson embarqua en décembre 1766 avec Bougainville dans son tour de monde, comme médecin et naturaliste du Roi, avec Jeanne Barret, déguisée en majordome.

Cette expédition scientifique, le premier voyage autour du monde réalisé par des Français, avait pour mission principale de retrouver le mythique continent austral, d’aller à la rencontre des peuples autochtones, et de rapporter des échantillons d’épices – « l’or vert » – de cette époque brillante.

En octobre 1766, à la demande du Duc de Praslin, ministre de la Marine, il lui soumit un programme d’études d’histoire naturelle qui servirait de guide à suivre par les naturalistes qui s’aventureraient outremer; ce guide était divisé en quatre classes, pour les règnes végétal, animal, minéral et auquel il ajouta une classe d’observations physiques (y compris celui du sol)  et météorologiques.

Protéger
l’environnement

Il débarqua, avec Jeanne Barret, à l’Isle de France en 1769 et fut accueilli à bras ouverts par l’Intendant Pierre Poivre. Ce dernier, suite aux récents désastres militaires de la Guerre de sept ans, avait pour mission de développer les îles de France et de Bourbon afin de les transformer en tête de pont de l’expansion française dans l’océan Indien.  Mais Poivre avait aussi à cœur la protection de l’environnement. Il délégua Commerson pour herboriser, identifier la faune et la flore, et recommander les espèces qui seraient économiquement viables à l’Isle de France, mais aussi à Madagascar et à l’île Bourbon. Il prépara des herbiers qui furent envoyés en France après sa mort. Il aida aussi Poivre à conscientiser la population à la préservation de l’environnement.

Toutes ces activités lui remémorèrent le projet d’Académie qu’il avait envisagé en Europe. Il rédigea bientôt les statuts d’une Académie des îles de France et de Bourbon et dont il espérait être le directeur. Elle aurait pour objectif profitable l’avancement de la science aux îles de France, de Bourbon et de par le monde surtout pour ce qui regarde les productions des deux Indes qui en furent le principal objet.

Elle n’étudierait et n’enseignerait que les sujets « exotiques », c’est-à-dire hors d’Europe, productivité des trois règnes de la nature, examen des terrains et végétaux naturels à ces pays, changements qu’éprouvent les végétaux d’Europe cultivés ou transplantés et le suivi de leurs produits, les mathématiques, la physique, la géographie, les sols, et l’histoire des maladies propres à ces climats.

Commerson avait déjà identifié le corps enseignant parmi les savants présents dans ces îles.  C’est ainsi que Poivre, le colonel Paquet et Meunier le seconderaient pour l’étude et l’enseignement de l’histoire naturelle; L’Abbé Ronchon, Véron, et un officier du Roi se chargeraient des mathématiques et de la physique, Bourdier et un médecin de Bourbon pour la médecine, les cultivateurs des deux îles pour enseigner l’agriculture. Les enseignants de ce sujet particulier tâcheraient de faire naître l’émulation parmi leurs élèves car c’est de cette classe que la colonie retirerait des profits.

De plus, Commerson observa que l’imprimerie  « est très bien montée mais oisive », et allait être d’une aide capitale à la publication des travaux de l’Académie. Il  postula que « l’on apprendra pas plus tôt en Europe qu’il y a une académie dans cette partie du monde qu’on verra sortir un volume de mémoires ». Il se serait chargé des  trois-quarts du travail et avec d’autres auteurs ces parutions régulières seront consistantes.

Pierre Poivre appuya ce projet, qui ne fut malheureusement pas approuvé par le Gouvernement Royal – qui avait d’autres priorités à cette époque. Toutefois, il vit le jour sous une forme remaniée, en 1819 aux États-Unis d’Amérique. Pierre Poivre avait conservé une copie du projet de Commerson. Sa veuve, qui se remaria avec l’industriel Samuel Dupont de Nemours, hérita de tous ses papiers. Benjamin Franklin demanda à ce dernier de préparer un projet d’université dans l’Etat de Virginie. Dupont de Nemours utilisa le concept de Commerson. L’université comptait à ses débuts neuf différentes écoles offrant une panoplie de sujets tout comme dans le projet de Commerson. Les bâtiments formaient un carré avec une rotonde au centre alors que dans le projet initial, ils étaient circulaires.

Idée
révolutionnaire

Il faudrait saluer dans ces projets de Commerson son modernisme. Il lançait, sans le savoir dans les tropiques, les prémisses de la recherche de l’optimisation de l’environnement et des produits tropicaux. À une époque où tout était centré sur l’Europe, l’ouverture vers les autres continents était une idée révolutionnaire.

Pour l’Isle de France, devenue Maurice, il a contribué à travers ses idées à lancer une société savante, l’École d’Agriculture devenue éventuellement l’Université, la Station de Recherches Agronomique devenue le M.S.I.R.I, l’herbier de Maurice.

Les idées énoncées par Commerson ne furent cependant pas perdues. En 1806, un groupe de savants, dont Lislet Geoffroy, qui avait travaillé avec Commerson, créa la Société d’émulation qui hélas ! n’eut qu’une courte durée. Cependant, ses idées furent reprises en 1829 avec le même groupe par la création de la Société de l’Histoire naturelle, devenue maintenant la Société Royale des Arts et Sciences de Maurice. Cette dernière peut être ainsi considérée comme l’héritière spirituelle des travaux de Commerson.

Références

Bibliothèque de l’Arsenal, 21.12.1766 1766, Sommaire d’Observations d’Histoire Naturelle par le Sr de Commerson à l’occasion du voyage….. par Bougainville No 6600.

Bibliothèque Nationale de France, Manuscrits de P.Commerson, Plan élaboré d’une Ville ou République Académique  MS 1904 Dossier III.

Cap, Louis Antoine 1860, Philibert Commerson, Naturaliste Voyageur.

Laissus, Yves, Catalogue des Manuscrits de Commerson, 1978.

Landry, Christian, Communication Personnelle.

Wikipedia, Université de Virginie.

Wikipedia, Le Voyage de Bougainville.

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