PHOTOGRAPHIE : À la recherche du cliché qui fait mouche…

L’exposition photographique qui a pris place la semaine dernière dans l’allée du Caudan Waterfront, sous l’égide de la MTPA, a le mérite de démontrer que les photographes mauriciens n’ont pas à rougir de leurs productions en regard de celles que proposent leurs confrères étrangers de renom. Les badauds évoluent en effet parmi une cinquantaine de clichés, pour les uns réalisés par des photographes internationaux, pour les autres par des Mauriciens dont les images ont été soumises à un jury, le tout étant présenté en grands formats, destinés à renouveler la banque d’images de l’organisme de promotion touristique.
Le stand de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA) a manqué d’attrait l’an dernier à Top Resa par rapport à ceux de pays concurrents, qui ont tout misé sur l’attractivité des images qu’ils montraient de leur pays. Ce constat, les responsables de l’organisation l’ont fait aussi sous l’impulsion du photographe Pierre Argo, qui les a invités à renouveler leur banque d’images. Réalisant depuis toujours des campagnes promotionnelles internationales, cet organisme avait pour habitude de faire appel à des professionnels spécialisés de l’étranger.
Le bon sens pourrait faire penser que leurs confrères résidant tout au long de l’année à Maurice ont plus souvent l’occasion de tomber sur des lumières et paysages renversants que ceux qui viennent ici ponctuellement pour quelque commande, mais les habitudes ont la vie dure. La photographie n’est pas un médium souvent mis en valeur à Maurice, bien que la profession soit largement représentée dans les secteurs de la presse et de la communication.
Les quelques expositions photo qui ont lieu parfois ont montré des collectionneurs plus empressés d’acquérir des oeuvres non reproductibles, telles des tableaux, plutôt que des tirages. On connaît aussi l’histoire du musée mauricien de la rue du Vieux Conseil, qui a su sauver de nombreuses collections photographiques, sans avoir trouvé cependant le mécène providentiel intéressé à financer une chambre froide, qui seule garantirait la conservation de ces précieuses images qui documentent notre histoire.
Cette expérience a suscité deux réflexions au juré Yves Pitchen, comme nous l’interrogions sur le petit nombre de candidats mauriciens, peu représentatifs de l’ensemble de la profession : « Je me rends compte que les photographes à Maurice travaillent beaucoup dans la photo de presse, de mariage ou d’image corporate, et qu’ils consacrent très peu de temps à leurs productions personnelles. Cette sélection est basée aussi sur une demande touristique avec des contraintes commerciales, qui font qu’on montre des paysages de rêve, sans un bout de tôle qui dépasse… Or, on est bien obligé d’admettre que Maurice est de ce point de vue de moins en moins photographiable. »
Bien que laissant un délai relativement court d’environ une semaine, l’appel à candidatures lancé en février dernier par avis de presse a permis à une douzaine de photographes mauriciens de rassembler un choix d’images susceptibles de répondre aux critères proposés par la MTPA. Elles ont ensuite été examinées à l’aveugle par le jury, composé des photographes Pierre Argo et Yves Pitchen ainsi que du peintre Krishna Luchoomun. Si ces derniers s’attendaient à un afflux plus important de candidatures, ils y ont trouvé assez de grain à moudre pour renforcer la présence mauricienne à côté des photographes étrangers, dont les clichés n’ont pas fait l’objet de délibérations.
Sans véritable titre, l’exposition a retenu les images de 15 professionnels au total. « Au départ, nous explique le commissaire Pierre Argo, nous imaginions un ratio de l’ordre de 70/30 en faveur des professionnels étrangers. Nous sommes très heureux d’avoir finalement une participation mauricienne à 50/50. À l’étranger, nous recherchions des photographes de tous les continents et dans différentes spécialités. Nous avons par exemple des auteurs asiatiques, tels Michael Yamashita, qui a fait carrière au National Geographic, aussi bien que le spécialiste de la photo sous-marine Pascal Kobeh ou encore Joseph Manglaviti et Florence Guillemain, qui connaissent bien Maurice… »
Côté mauricien, on retrouve Gérard Boff et Brahms Mahadea, tous deux en poste au Mauricien, Steeve Dubois et le photographe animalier Jugdeo Santchurn, qui ont notamment montré leurs productions personnelles au sein du Cercle des artistes photographes (CAP), ou encore des participants dans la jeune génération, tels Kendy Mungra, qui a envoyé un choix varié et impressionnant d’images, ainsi que Karl Ahnee et Fabien Manuel, alias Gomez, qui évolue dans le secteur publicitaire.
Concernant le “coffee table book” envisagé pour aller plus loin et durablement dans la mise en valeur de ces images, espérons qu’il sera conçu avec plus de soin que le catalogue actuellement distribué, dont les textes auraient mérité un sérieux travail de correction et réécriture. Il permettrait aussi d’approfondir ce travail de recherche d’images représentant les paysages et la population mauricienne. La tendance étant au renouvellement, il nous est apparu étonnant de retrouver une fois encore le Coin de Mire vu de Cap-Malheureux ou encore les terres de couleurs de Chamarel sur site, quand une autre photo aérienne quant à elle offre un point de vue moins banal.
Certains panoramas ou scènes animées sont devenus des clichés typiquement mauriciens. Mais les considérer comme incontournables risque à force d’en faire des lieux communs, répétitifs et barbants pour le public, à plus forte raison lorsqu’on annonce renouveler la banque d’images. Heureusement, à côté de ces quelques rengaines se trouvent des compositions recherchées, des lumières renversantes et quelques scènes qui semblent entrouvrir une porte sur la vie des habitants, comme cette simple image de Joseph Manglaviti couronnée d’une rangée de linge à sécher, ouvrant sur une famille de pêcheur à pieds, ou encore ce vieil homme simple et digne, avec sa canne et sa tant tifin, dont la marche méditative fait écho à la splendeur verdoyante du panorama montagneux qui l’encadre. L’expression artistique et le patrimoine sont mis en exergue par une seule photo de Gérard Boff dans une pirouette indienne devant le théâtre de Port-Louis.
Jugdeo Santchurn sait montrer la fragilité et la fugacité d’un coq des bois, d’une horde de cerfs ou de quelque zozo manyock à peine aussi gros que les feuilles qui les environnent. Kendy Mungra excelle dans la joie des enfants du Morne ou aux manettes de son drone, qui a vu émerger des brumes, la silhouette massive d’un éléphant indien dessiné par les nuages, dont la tête serait ornée du pic de Pieter Both. Le regard droit et fier de Pem ou encore celui souriant et complice d’une jolie jeune femme en conversation avec son perroquet sont les plans les plus serrés, aux antipodes par exemple des panoramas de Ly Huang Long, qui sait embrasser la totalité d’un site grâce à un large champ, accordant toute leur place aux formes extravagantes des nuages et aux lumières rasantes du soir, qui ajoutent mystère et merveilleux aux reliefs boisés.

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