Shirin Aumeeruddy-Cziffra : « Aucun chef de gouvernement ne doit détenir un pouvoir absolu »

Le cas de Shirin Aumeeruddy-Cziffra ainsi que de 19 autres Mauriciennes qui ont eu gain de cause devant la Commission des droits humains des Nations unies sur la base de la discrimination fondée sur le sexe fait aujourd’hui jurisprudence. Claude Cziffra avait, en effet, perdu du jour au lendemain son statut de résident en 1977. Ce qui explique que Shirin Aumeeruddy-Cziffra est très sollicitée pour commenter l’Immigration Bill présentement devant le Parlement. En sa capacité d’avocate attachée à la défense des droits humains, elle demande à Pravind Jugnauth de supprimer les pouvoirs discrétionnaires absolus que ce projet de loi confère au Premier ministre et qui sont anti constitutionnels.

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Au Parlement mardi, Arvin Boolell a parlé de Merits and Demerits de cette législation. Qu’est-ce qui est bon et où est-ce que le bât blesse ?

Cet amendement touche à plusieurs lois et pas seulement l’Immigration Act. Il présente l’avantage de réunir en un seul texte tout ce qui se rapporte à des étrangers à Maurice. Mais cependant, et le discours de présentation l’a bien montré, il vise surtout les conjoints de Mauriciens en soulignant qu’on veut éviter des mariages blancs. C’est compréhensible.

Mais il vaut mieux renforcer la Civil Status Act et faire en sorte que les investigations sur les futurs époux ou épouses étrangères soient élargies et plus efficaces. Si cela est justifié, le ministère de l’Intérieur peut objecter à un mariage, comme toute personne est en droit de le faire au moment de la publication des bans. La loi prévoit déjà que c’est le juge des référés (in Chambers) qui décide du bien-fondé d’une telle objection.

Pourquoi donc amender l’Immigration Act ?

Entre autres, pour rendre à nouveau plus précaire la situation des conjoints étrangers. En 1977, des amendements à cette loi ont privé des époux étrangers de leur statut de résident tout en épargnant les épouses étrangères. Il fallait demander un permis de résidence et le ministre de l’Intérieur pouvait rejeter cette demande ou la laisser en suspens.

Au moment de notre mariage, en 1974, mon époux bénéficiait automatiquement du status of resident et était alors une protected person. En 1977, il a perdu ce statut du jour au lendemain. Par la suite, son dossier de naturalisation a été mis au bas de la pile et il a attendu plus longtemps qu’il n’aurait dû avant d’obtenir la nationalité mauricienne. Croyez-moi, ce n’est pas parce que nous avions fait un mariage blanc, ni que Claude représentait un danger pour l’État, car il ne se mêlait pas de politique.

Avec l’Immigration Bill, est-ce qu’on est retourne en arrière ?

Oui, mais là, on va plus loin. Il est désormais question d’accorder au conjoint étranger un permis de résidence provisoire de deux ans. Comment construire sa vie avec une telle incertitude ? À l’époque, avec 19 autres Mauriciennes, j’avais porté l’affaire devant la Commission des droits humains des Nations unies. Nous avions invoqué la discrimination fondée sur le sexe et nous avions eu gain de cause. Au moins, ce projet loi de 2022 n’est pas discriminatoire sur la base du sexe mais il porte atteinte à l’unité familiale, un point sur lequel la commission de l’ONU nous avait aussi donné gain de cause.

Mais alors pourquoi parler de loi anticonstitutionnelle ?

Parce que l’on porte atteinte à l’article 16 (3) de la Constitution qui interdit, entre autres, toute discrimination fondée sur le lieu d’origine. Les Mauriciens de souche et ceux qui ont été naturalisés ne seraient plus traités de la même façon. Toute personne d’origine étrangère qui a obtenu la nationalité aurait une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Cette loi ne va pas amender la Constitution car pour cela, il faut une majorité de trois quarts au Parlement. Elle sera seulement anticonstitutionnelle et pourra faire l’objet d’un recours devant la Cour suprême.

Voulez-vous dire que ce sont les pouvoirs discrétionnaires absolus du Premier ministre qui sont anticonstitutionnels, comme l’a avancé Reza Uteem ?

Absolument. La loi lui donne le pouvoir de déchoir un Mauricien de sa nationalité sur la base d’informations qu’il détiendrait et selon lesquelles quelqu’un agit contre notre État. Tout Premier ministre doit naturellement se préoccuper de la défense des intérêts nationaux. Mais aucun chef de gouvernement ne doit détenir un pouvoir absolu sans que les personnes concernées ne puissent avoir recours à la justice.

Nous sommes dans un État de droit, ce qui implique un équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. De plus, dans notre système d’inspiration britannique (westminstérien), le Premier ministre n’est pas élu au suffrage universel. Il est élu en tant que député et c’est seulement ensuite, s’il est soutenu par une majorité, qu’il devient Premier ministre. Regardez ce qui se passe ces jours-ci en Grande-Bretagne. Dans un tel système, il ne peut légitimement exercer un pouvoir aussi étendu sur les individus et leur famille.

Comment corriger la partie anticonstitutionnelle ?

Il faut la supprimer purement et simplement. Il n’est pas acceptable d’avoir deux catégories de citoyens dans notre pays. Les Mauriciens de « souche » et les autres, surtout ceux mariés à des Mauriciens. Avant d’accorder des permis de séjour à long terme, et même la nationalité, à des étrangers, il faut être plus prudent. En outre, on pourrait avoir l’impression que parmi les étrangers qui sont concernés, les riches sont privilégiés par rapport aux gens modestes.

Faut-il que les victimes puissent avoir recours à une instance judiciaire ?

Toute action d’une autorité doit être accomplie de manière judicieuse, sinon on peut demander une judicial review à la Cour suprême. Mais on ne peut pas dire qu’on est en démocratie et en même temps exclure la compétence judiciaire (oust the jurisdiction of the Court).

Par ailleurs, quand on parle de victimes, il faut penser au Mauricien qui serait « dénaturalisé », au père ou à la mère de famille que l’on expulserait en vertu de la Deportation Act, dans lequel cas ce sont les membres de la famille lésés qui pourraient agir. De plus, la Children’s Act protège l’intérêt supérieur des enfants. Ceux qui perdront un parent en application d’une telle loi, si elle est votée, seront des victimes. Qui pensera à leurs droits ?

Mais que peut faire le gouvernement s’il y a vraiment un cas qui met en péril notre pays ?

Pour cela, il y a la police, les cours de justice et les prisons. C’est ce qui s’applique à un Mauricien qui n’est pas d’origine étrangère. L’expulsion d’un étranger vraiment dangereux ne règle qu’à moitié le problème. S’il n’est pas jugé et condamné dans son pays, il sera toujours un danger pour n’importe quel État, car le monde est aujourd’hui un village et malheureusement, la globalisation du crime existe aussi.

Vous pensez vraiment que le Premier Ministre comprendra votre plaidoyer ?

Oui, pourquoi pas ? Je suis une optimiste invétérée. Je ne suis plus engagée politiquement depuis longtemps et je lui lance un appel en tant qu’avocate attachée à la défense des droits humains. Je crois au dialogue. Je crois aussi que se raviser peut être le signe d’une très grande maturité. Il m’entendra peut-être.

« Dans notre système d’inspiration britannique (westminstérien), le Premier ministre n’est pas élu au suffrage universel. Il est élu en tant que député et c’est seulement ensuite, s’il est soutenu par une majorité, qu’il devient Premier ministre. Regardez ce qui se passe ces jours-ci en Grande-Bretagne. Dans un tel système, il ne peut légitimement exercer un pouvoir aussi étendu sur les individus et leur famille »

« Toute action d’une autorité doit être accomplie de manière judicieuse, sinon on peut demander une “judicial review” à la Cour suprême. On ne peut pas dire qu’on est en démocratie et en même temps exclure la compétence judiciaire (oust the jurisdiction of the Court) »

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