Stendhal ou Mérimée ?

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Hubert JOLY
Président du Conseil international de la langue française à Paris

Ne conservez jamais au réfrigérateur les têtes coupées de vos amants… Une panne d’électricité pourrait survenir. Vous voyez d’ici le gâchis ? Du temps de Stendhal (1783-1842), le problème ne se posait pas mais l’auteur du Rouge et le noir ne nous dit pas ce qu’a fini par faire Mathilde de la Mole du crâne de son amant guillotiné, Julien Sorel.

Stendhal (Henri Beyle pour les amis) est un spécialiste des histoires d’amour qui finissent mal alors que les contes de fée se terminent toujours par : « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. » Or, précisément, il n’y a pas d’enfant chez Stendhal et, nulle part, on ne voit que ses héros auraient eu l’intention de fonder une famille. Ce qui rend ses romans parfois un peu débilitants car, en dépit de beaucoup d’aventures, il n’y a pas de conclusion, enfin pas de conclusion espérée. En plus, pour achever de donner cette impression déconcertante, l’auteur a une façon à lui de prendre le lecteur à part et de lui montrer par de petites touches qu’au fond son héros est un peu moins héroïque, un peu moins n’importe quoi que ce qu’on attendrait de lui. Ce clin d’œil, cette complicité, ce regard un peu désabusé contribuent au charme du récit et nous aident à rentrer dans l’intimité des personnages en nous les rendant plus proches de nous.

Mais je vous ai moi-même un peu trompés car ce n’est pas du Rouge et le noir que je veux vous parler. Ce roman me parait en effet assez noir et je n’y ai pas pris un très grand plaisir. Certes, il nous fait un tableau sans complaisance de la société de son époque et, de ce point de vue, il est un peu tristounet comme l’est par ailleurs Madame Bovary de Flaubert. Tous ces gens ont de la peine à trouver leur place dans leur époque et on a l’impression qu’ils trainent derrière eux leur désenchantement. Ce que je veux vous dire est que j’ai été fou de La Chartreuse de Parme quand j’avais 17 ans. Ce fut au point que j’avais demandé qu’on m’en mît un exemplaire dans mon cercueil s’il m’arrivait, un lointain jour, de rendre l’âme… Aujourd’hui, je dois reconnaitre que mon engouement s’est un peu affaibli. Je ne retrouve plus dans les pages que j’avais adorées, l’élan qui m’avait transporté.

Est-ce simplement parce que j’ai vieilli ? Et pourtant, combien de jeunes Français de mon âge ne se sont-ils pas sentis l’âme d’un sous-lieutenant et n’ont-ils pas été emportés par l’enthousiasme en lisant ces quelques lignes ?


« Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur. »

Je me le rappelle. J’y étais, et mes copains de « La patrie en danger » de 1792 étaient sur mes talons. Nous brandissions nos drapeaux, nous braillions et je crois que nous étions un peu ivres.

« Un peuple tout entier s’aperçut, le 15 mai 1796, que tout ce qu’il avait respecté jusque-là était souverainement ridicule et quelquefois odieux. Le départ du dernier régiment de l’Autriche marqua la chute des idées anciennes : exposer sa vie devint à la mode ; on vit que pour être heureux, après des siècles de sensations affadissantes, il fallait aimer la patrie d’un amour réel et chercher les actions héroïques. »

Le ton était donné. Le branle était donné à l’enthousiasme. Nous n’allions pas nous en priver. Nous ne savions pas que cela nous mettrait les pieds dans la Bérézina et nous conduirait jusqu’à Waterloo où nos ossements seraient moulus pour faire des filtres dans les sucreries locales. À cet instant, tout paraissait possible et un monde nouveau s’ouvrait devant nous.

« Cette gaieté, cette jeunesse, cette insouciance, répondaient d’une façon plaisante aux prédications furibondes des moines qui, depuis six mois, annonçaient du haut de la chaire sacrée que les Français étaient des monstres, obligés, sous peine de mort, à tout bruler et à couper la tête à tout le monde. »

Quand on a vécu (ou simplement lu cela), on dévore La Chartreuse à grandes pages, on se laisse adorer par la Sanseverina, on partage les combinaisons du comte Mosca, on s’abêtit devant Clélia, on rêve. Pourtant, la suite commence à décevoir un peu. Et l’on ne comprend pas pourquoi Stendhal finit par faire mourir Fabrice dans un obscur couvent. Il aurait pu trouver autre chose. Et cette fin abrupte nous empêche de continuer l’histoire pour la rendre plus conforme à nos espérances. Comme le dit Corneille, « Si l’amour vit d’espoir, il périt avec lui. » Mais lisez quand même. Vous ne devriez pas le regretter.


J’ai longtemps porté aux nues l’auteur de La chartreuse de Parme. Dois-je avouer qu’aujourd’hui je lui préfère le Mérimée des Romans et nouvelles ? Simple opinion, direz-vous. Sans doute. Mais je vais essayer de trouver quelques justifications à mon revirement, même si on ne peut pas comparer des romans aussi importants que ceux de Stendhal aux Nouvelles beaucoup plus brèves de Mérimée. D’abord, j’oserai risquer que la déception que j’éprouve chez Stendhal est due au fait que ses textes, comme je l’ai déjà dit insolemment, ne se terminent pas seulement mal, mais, quasiment tous en queue de poisson. On ne sait que penser quand on a terminé leur lecture et l’on reste sur sa faim ou, pire, on contracte du vague à l’âme… Au contraire les Romans et nouvelles de Mérimée sont construits en fonction de la chute attendue, aussi surprenante que possible, et dont le modèle me parait être L’enlèvement de la redoute. On gagnerait aussi à se délecter de Tamango (1829). Cette nouvelle met en scène un certain Ledoux, capitaine d’un bateau négrier, qui a la malchance de tomber sur un guerrier noir, notre Tamango, trafiquant d’esclaves à l’occasion. Ce dernier, sous l’effet de la boisson, va jusqu’à vendre au capitaine sa propre femme, Ayché, qu’il aimait. Dessaoulé, il prend conscience de sa faute, se fait capturer, fomente une révolte des esclaves sur le navire, s’en empare mais ne sait comment le manœuvrer. Il finit par laisser mourir de faim et de soif ses compagnons et Ayché. Il sera, seul, sauvé et recueilli par un autre bateau et finira ses jours dans l’alcool et l’armée britannique.

Cette critique sans pitié de l’esclavagisme montre pour finir que, noirs ou blancs, les hommes sont toujours des loups pour l’homme. Ils ne valent pas plus cher les uns que les autres. Mais, Mérimée sait aussi rendre vivante une page peu glorieuse de notre histoire, celle des guerres de religion, avec La chronique du temps de Charles IX (1829). Bien que ce texte n’ait pas eu le succès qu’il méritait, à une époque où les romans de chevalerie ont fait la fortune littéraire et financière de leurs auteurs, il vaut la peine d’être lu car il ressuscite avec verve un épisode romancé des plus cruels de l’histoire de France…

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