Tous accros !

Où avons-nous péché ? Sur quoi les lanceurs d’alertes s’appuient-ils pour clamer avec une telle véhémence et une telle certitude l’insoutenabilité de notre système ? En d’autres termes, comment nos sociétés, si ingénieuses et si profitables, pourraient-elles s’effondrer ? Autant d’interrogations qui, mises bout à bout, nous questionnent sur la pertinence de maintenir le contrat social qui est le nôtre depuis si longtemps, et qui nous garantit d’avoir toujours plus pour toujours moins cher. Et pourtant, ces questions, nous ne voulons pas réellement nous les poser et ce, pour la simple et bonne raison qu’elles nous obligeraient à une totale et immédiate remise en question de notre mode sociétal, avec tous les désagréments que cela suppose, à commencer par la disparition nette et brutale de tout ce qui participe aujourd’hui à notre confort quotidien.
Le danger le plus immédiat, nous le connaissons pourtant tous. Le changement climatique, tout le monde en a entendu parler, et tous, autant que nous sommes, savons ce que l’urgence appelle en termes de sacrifices. À commencer par l’arrêt définitif des énergies fossiles, « responsables de 80% de ce qui fait fonctionner la machinerie mondiale », comme le rappelle souvent le spécialiste de l’énergie et du climat Jean-Marc Jancovici. Parmi ces énergies, il y a le pétrole et le gaz, bien sûr, mais aussi le charbon, dont la pénurie apparaît bien plus lointaine et qui, malgré ses effets désastreux sur l’environnement, continue d’alimenter nos principales usines à travers le monde. Une aberration en l’état, étant donné à la fois l’étendue de nos connaissances sur la question de son impact, mais aussi du fait de nos engagements en matière de réduction de gaz à effets de serre.
Des engagements que nous sommes évidemment loin de tenir. Car non seulement nous ne ralentissons aucunement le pas, mais, dans certains cas, nous allons même jusqu’à l’accélérer. Prenons le cas de la France, pays comptant certes parmi les plus industrialisés de la planète, mais aussi berceau d’un accord (prétendument) historique en 2015 sur la question du dérèglement climatique. Aujourd’hui, que pouvons-nous dire de ses engagements ? Certes, des mesures sont prises çà et là, distillées de manière stratégique autant par la présidence que par le gouvernement lors de colloques environnementaux ou de l’annonce de grands projets d’État. Mais trouvent-elles réellement écho et, surtout, que pèsent-elles véritablement ?
Emmanuel Macron l’a annoncé : d’ici 2035, 14 réacteurs nucléaires seront ainsi arrêtés en France. Une aubaine pour l’environnement ? Pas si sûr, puisque l’impact écologique de cette énergie ne se pose quasiment qu’au niveau de l’enfouissement de ses déchets. Ainsi, fin juin dernier, fidèle à sa promesse, le président français a ordonné la mise à l’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim avec, pour conséquence… de voir les centrales à charbon reprendre du service. S’il y a là une logique environnementale, que l’on nous l’explique ! Alors bien sûr, il ne s’agit que de la France, sans compter que l’accès au nucléaire reste encore réservé au carré VIP de la planète. Mais la démarche est en elle-même parlante, évocatrice d’une réalité bien contemporaine : rien ni personne ne viendra enrayer la bonne marche de la croissance.
D’ailleurs, ceux qui gravitent dans les hautes sphères d’État et les patrons de multinationales sont-ils les seuls à blâmer ? Posons-nous la question : vous, moi, agriculteurs ou bureaucrates, grands producteurs ou simples paysans, voudrions-nous d’un autre système que celui qui nous gouverne ? Accepterions-nous un changement synonyme dans notre imaginaire industriel de nivellement par le bas ? Une disparition de nos acquis, matériels et sociaux ? Certainement pas ! Qu’importe notre niveau social, nous sommes tous privilégiés, car nés à une époque de prospérité et de privilèges. Et ce n’est pas demain la veille que nous accepterons de nous désintoxiquer de cette société héroïnomane. Et tant pis pour le reste. Quand viendra le moment de payer la facture, il ne faudra juste pas nous en plaindre !

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Michel Jourdan

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