Voyage en terre (in)connue

L’on ne cessera certainement pas de parler de lui avant longtemps, tant il aura changé nos vies. C’est un fait, le Covid-19 aura malmené le monde et continuera de le faire. Bien que de différentes manières, chacun d’entre nous cherche encore des réponses à cette problématique mondiale, chacun dans sa propre discipline et avec ses propres capacités. À l’instar des scientifiques, à la recherche de vaccin et d’antidote, ou encore des philosophes, des anthropologues, des artistes, des ONG, des politiques… Avec des degrés « d’urgence » tout aussi différents, bien entendu, tant il paraît évident qu’il est bien plus productif de chercher à savoir comment se débarrasser de cet encombrant ennemi que de perdre son temps à savoir si la maladie issue du nouveau coronavirus est un garçon ou une fille.

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Chacun donc à son propre rythme, et surtout avec ses propres moyens, nous aurons tenté, et tenterons pendant encore un bon moment, de décrypter, au propre comme au figuré, le virus et ses conséquences. Un exercice difficile, certes, car inédit dans l’histoire de l’humanité, mais, et c’est bien là le plus navrant, un voyage en terre inconnue que nous aurions pu éviter, car finalement pas si inconnue que cela. D’abord d’un point de vue purement épidémiologique, puisque, depuis plus de 15 ans, soit depuis l’apparition du SRAS, nous aurions pu en apprendre bien davantage sur la famille des coronavirus, du moins si une banale question de gros sous n’avait fait muter une problématique sanitaire en une rhétorique politique. Ensuite, par le rapport que nous entretenons avec le vivant, que nous aurons depuis toujours cherché à exploiter en faisant fi des limites, y compris celles que nous nous étions pourtant promis de ne jamais dépasser.

Cependant, de ceux qui se triturent le plus les méninges, les économistes comptent probablement parmi les plus actifs. Que ce soit au sein d’organisations internationales, de cabinets conseils, d’instances politiques ou, plus généralement, des entreprises, nul doute que ceux-ci se retrouvent en effet aujourd’hui dans la mélasse, tant et si bien que la crise économique de 2008 leur apparaît désormais anecdotique. Il faut avouer qu’il y a peu encore, le « système » mondial leur semblait des plus parfaits et la mécanique commerciale, des plus résilientes. Les projections mondiales des organismes régulateurs en termes de croissance étaient au beau fixe et l’horizon, si ce n’est quelques cosmétiques concessions consenties dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, des plus radieux. Jusqu’à bien sûr que le Covid vienne ébranler leur château de cartes.

Pourtant, là encore, nous ne naviguons pas réellement en terre inconnue. Certes, jamais nous n’aurons été confrontés à pareille situation. Reste que celle-ci était non seulement prévisible, mais avait aussi fait l’objet de nombreux avertissements, tant dans le monde de la virologie que dans la sphère économique. Plusieurs experts avaient en effet depuis longtemps prédit le danger que représenterait l’émergence d’une nouvelle souche virale dans notre société globalisée, du fait du flux exponentiel de personnes et de marchandises véhiculées quotidiennement à travers la planète. À l’instar de Bill Gates qui, dès 2015, avait eu ces paroles prophétiques : « Imaginez un virus avec lequel les gens infectés se sentiraient suffisamment en forme pour prendre l’avion ou aller au supermarché ! Ou un virus capable de se propager dans l’air, comme la grippe espagnole de 1918. » Même certains auteurs renommés de la littérature fantastique avaient mesuré les conséquences qu’un tel événement aurait dans nos sociétés néolibérales. Autant d’alertes dont les effets n’auront été comparables qu’à une légère brise en pleine tornade.

Quant aux économistes, on leur rappellera (une fois encore) qu’un certain Club de Rome avait rendu, dès 1972, un rapport éloquent dans lequel, certes, il n’était pas question de virus, mais des risques systémiques induits par une exploitation outrancière de nos ressources dans un monde où croissance et démographie prenaient déjà une dangereuse ascendance exponentielle. Un effondrement prévisible, donc, et qui aura été depuis repris par les collapsologues, lesquels auront introduit à l’équation de nouvelles données, comme celle du rapport de forces entretenu par l’humain sur son écosystème. Et dont l’une des conséquences collatérales aura été l’émergence du Covid-19. Ou « de la », si vous préférez !

Michel Jourdan

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