Grotesque

Il s’est même permis de se payer la tête du Premier ministre. En reprenant la désormais célèbre expression “dir mwa kot mone fote” de Pravind Jugnauth, Bissoon Mungroo lui a adressé un message comme pour lui dire qu’il n’est pas un des bénéficiaires du bonanza des achats d’urgence au coût de Rs 1,5 milliards et d’avoir réalisé des plus values conséquentes sous le couvert de la pandémie.

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Pour qu’il y ait faute dans un tel dossier, il faut avoir des complices. S’il y a eu délit d’initié qui a permis à quelques privilégiés de savoir que le ministère de la Santé ou le ministère du Commerce recherchaient tel ou tel produit ou équipement médical, ils ont dû bénéficier de la complicité en interne.

On a peine à croire que ce sont des fonctionnaires qui ont orchestré cet insider trading dans la mesure où ce sont probablement eux qui ont exercé le rôle de lanceur d’alerte dans cette affaire et qui a permis à l’opposition de venir avec des dossiers bien documentés sur le scandale des achats de masques, de blouses, de respirateurs et qui a permis d’établir qu’une obscure compagnie espagnole Pack and Blister avait raflé des contrats pour une somme de Rs 400 millions avec, comme une cerise sur la gâteau, un retard dans la livraison des marchandises commandées.

Entre autres faits, les Mauriciens ont pu découvrir que c’est un pharmacien, celui de Hyperpharm, qui a la “chance” d’habiter la circonscription no 8 et qui a siégé au Medical Council lorsque l’actuel ministre de la Santé présidait le Conseil de l’ordre des médecins, qui a obtenu des contrats de plus de Rs 200 millions.

C’est tout cela qui fait dire à une grande frange de l’opinion que la mise en scène autour de l’interpellation de Bissoon Mungroo, du personnage trouble qu’est Hari Kistnah Jagannada Reddi – qui a fréquenté les couloirs du PMO depuis SSR et qui est toujours présent au Master’s Court, les jeudis de Sale by Levy, bijoutier de son état et accessoirement fournisseur de masques et de Bo-Digital, avec ses ramifications jusqu’au directeur de la State Trading Corporation, Jonathan Ramasamy, et qui s’est vu offrir des contrats à hauteur de Rs 300 millions – est tout simplement grotesque.

Ils sont tous poursuivis pour blanchiment d’argent, lequel pognon a été généreusement payé par le gouvernement, et non pour corruption ou trafic d’influence. Si certains estiment que tout cela semble bien ridicule, ils doivent illico se raviser parce que c’est probablement fait exprès avec le résultat que le directeur des poursuites publiques finira par renvoyer ou rejeter le dossier, trop léger, ou pour qu’il ne puisse éventuellement tenir en Cour.
Ce qui ne serait pas une grande nouveauté signée l’ICAC. Si un organisme est capable de passer du statut de procureur à celui de la défense comme dans le cas du procès de Pravind Jugnauth dans l’affaire Medpoint, on peut tout attendre de lui. Même l’invraisemblable.

A mettre également dans le registre du grotesque, l’explication dont s’est fendu le Premier ministre, qui est resté complètement mutique depuis qu’a rebondi l’affaire Angus Road le 7 août dernier lors d’un rassemblement public organisé par Roshi Bhadain. Après près de trois mois d’un silence pesant, que les esprits les plus fertiles ont vite fait d’interpréter, Pravind Jugnauth s’est contenté de dire qu’il réunit les “éléments” avant de riposter. Alors qu’il a eu amplement le temps de retrouver ses papiers… si jamais ils se sont mystérieusement égarés!

De quoi s’agit-il? De trouver le contrat d’achat du terrain de Angus Road, qui n’est quand même pas un ticket de caisse de supermarché ou une ancienne facture du CEB, d’expliquer la provenance des Rs 20 millions qu’il a payées, s’il l’a fait, les justificatifs de ce paiement, emprunts auprès des banques ou des assurances, héritages ou autre, à ce monsieur Alan Govinden – qui fait le va-et-vient en jet privé en plein confinement – et qui, lui, a bien versé cette somme au vendeur Paddy Rowntree, et comment le terrain s’est retrouvé enregistré en 2008 sous les noms de deux de ses filles aînées alors mineures. Ce devrait être facile, non? Pourquoi ce silence? Il a de quoi alimenter les supputations les plus folles.
Ce terrain n’est pas loin d’acquérir la même notoriété que Medpoint. La première portion avait été achetée avec un emprunt de Rs 5 millions auprès de la Delphis Bank de Ketan Somaia, dont la licence fut révoquée en mars 2002 après que les pratiques frauduleuses de son directeur au Kenya et ailleurs ont été mises à jour.

Lors des inspections des livres de la banque, il avait été découvert que les Rs 5 millions d’emprunt accordées en 1999 au leader du MSM n’avaient pas encore été recouvrées. Pravind Jugnauth expliqua alors qu’il s’agissait, en partie, de ses honoraires d’homme de loi de la banque et qu’il avait aussi remboursé les sommes dues en plusieurs tranches. C’était néanmoins parti pour la saga Angus Road.

Après l’épisode Raffick Peermamode en 2006, condamné en 2016 pour trafic d’influence autour d’une affaire de pot-de-vin de Rs 50 millions pour l’allocation des Pas Géométriques convoités par Bel Air Sugar Estate, dont le grand patron était Paddy Rowntree, il y eut celui d’Harish Boodhoo qui, informé de la transaction londonienne de 2008, décida de mener une croisade sur ce dossier en organisant le 11 mars 2011 un rassemblement devant le Sun Trust pour réclamer “l’arrestation immédiate” de Pravind Jugnauth, alors ministre des Finances.

C’était l’époque du “scandale du siècle” Medpoint. L’affaire fut même portée le 10 mai 2011 devant le Parlement par le député Rajesh Bhagwan qui avait évoqué “les transactions concernant des millions de roupies qui ont été effectuées en devises étrangères à l’extérieur concernant l’achat d’un terrain.”

Dans sa réponse, Navin Ramgoolam, alors Premier ministre, choisit de botter en touche. Il ne prit pas la défense de son ministre des Finances mais choisit de “shoot the messenger”, Harish Boodhoo en l’occurence. Prendre autant de temps en 2020 pour réunir des “éléments” sur un dossier qui date, cela paraît, en tout cas, bien étrange. Les vraies explications, notamment celles de l’ICAC, on a hate…

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