L’archipel des frustrés

La manifestation citoyenne de samedi dernier, à Port-Louis, a rassemblé une foule conséquente de patriotes. Dire le contraire reviendrait à insulter tous ceux qui ont fait de bonne foi le déplacement dans la capitale pour faire valoir leur droit constitutionnel de liberté d’expression, d’opinion et de manifester dans la paix.

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Ils avaient choisi de répondre à l’appel des organisateurs en dépit de toutes les propagandes ayant véhiculé avant la manifestation de part et d’autre afin de décourager les manifestants ou pour leur faire peur. Personne n’a manifesté ouvertement son adhésion politique, mais tous ont respecté la consigne consistant à brandir le drapeau national. Ces hommes et ces femmes, de toutes les communautés et de classes sociales, se sont comportés comme de vrais patriotes, dans le vrai sens du terme.

Par définition, les patriotes ne sont pas des fanatiques d’un parti politique particulier, mais des personnes qui aiment leur pays et œuvrent pour son avancement sur tous les plans, mais qui, aussi, manifestent leur mécontentement et leurs inquiétudes contre toutes les déviations et malversations du pouvoir. Il existe en effet une perception que malgré les grands travaux d’infrastructures en cours, le pays va vers la ruine en matière de gouvernance, que la corruption est endémique…

Une des remarques les plus courantes lors de la manifestation était que « notre avenir et celui de nos enfants est menacé ». Ajoutant encore que « nos enfants nous l’auraient reproché si nous n’étions pas venus ». Un rassemblement de cette envergure ne peut être autre chose que la manifestation d’un mal profond. Elle est un “eye opener”. Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir.

Comment en effet les gens ne pourraient-ils être exaspérés, sinon désespérés, face aux moyens déployés pour permettre à une clique proche du pouvoir d’obtenir des contrats publics, qui ont été révélés au grand public dans le cadre de l’enquête judiciaire sur l’affaire Kistnen ? Et si des déviations sont constatées dans les paramètres d’un ministère, comment aussi ne pas avoir de doutes sur des contrats encore plus importants, sous l’égide d’autres ministères ? Les conclusions de l’enquête sur l’affaire BWSC-Centrale St Louis sont d’ailleurs attendues avec impatience. D’autres enquêtes, impliquant d’autres personnalités politiques, sont aussi devant les cours de justice en ce moment.

Une des plus grandes faiblesses de tout gouvernement qui arrive au pouvoir après des élections générales à Maurice est que personne ne prend la peine de faire une nécessaire introspection pour savoir pourquoi une partie des suffrages s’est exprimée contre eux. Dans le cas du présent gouvernement, cet exercice était d’autant plus important qu’il a été élu par une minorité des suffrages. Au lieu de cela, il s’est rapidement activé à privilégier les proches du pouvoir.

Et le Premier ministre et ses conseillers semblent adopter la même attitude par rapport à la manifestation de dimanche. Au lieu d’écouter la voix venant de l’île Maurice profonde, le Premier ministre n’a vu dans ce rassemblement citoyen qu’une démonstration de « frustrés », sans prendre la peine de chercher les raisons de cette frustration. En fait, son regard est floué par la présence de ses adversaires politiques dans la foule, l’empêchant de voir la douleur exprimée par les manifestants présents.

Si effectivement une partie de la foule a demandé sa démission d’une manière un peu brutale et condamnable, la majorité lui demande en vérité de faire un examen de conscience et de revoir sa façon de faire et sa façon de gouverner. S’il n’opère aucun changement, il sera difficile pour lui de diriger le pays dans les conditions présentes. Ivan Collendavelloo, qui est rompu à la chose politique, a de fait raison de dire que les frustrations doivent être prises en compte et qu’il faut bien les écouter afin d’empêcher la révolte des frustrés.

Toujours en matière de frustration, dans sa lettre pastorale, à l’occasion du début du carême chrétien de cette année, le cardinal Maurice Piat dit estimer que le pays a besoin de personnes « qui regardent le bien commun, et non pas l’intérêt politique ou économique ». Tout en dénonçant la corruption qui gangrène le pays. « Le temps est venu de mettre en œuvre une tolérance zéro par rapport à la corruption », lance-t-il. Avec le cardinal Piat, aujourd’hui encore, espérons !

Jean Marc Poché

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