Le vaccin et les shaaïtan…

Un pays peut-il demander à ses citoyens d’être solidaires avec
« la patrie » en se faisant vacciner sans poser de question, et se défausser de toute responsabilité vis-à-vis de ces citoyens si cette vaccination tourne mal ? C’est bien ce que fait l’Etat mauricien avec le vaccin anti-Covid…

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Nous aurions dû, en ce 19 mars, être en train de marquer le 1er anniversaire d’un événement qui nous a marqués de façon inédite: à l’instar du reste du monde autour de ces dates, c’est le 19 mars 2020, suite à l’annonce de la découverte des trois premiers cas locaux, que le Premier ministre mauricien a décrété l’entrée de notre pays dans un confinement qui n’avait pas de précédent dans l’histoire du monde, avec la diffusion rapide et planétaire du Covid-19.

L’heure aurait pu être à se remémorer le choc, l’insécurité, la peur, l’expérience inconnue de l’isolement, la perte de dix vies, les mécanismes d’adaptation et de solidarité qui nous ont permis de traverser cette période. Ses séquelles aussi.

Mais nous revoilà, à la veille de cet «anniversaire», replongés, depuis le 9 mars dernier, dans un nouvel épisode de confinement d’autant plus déstabilisant qu’il semble nous avoir pris par surprise. Depuis le 26 avril 2020, date de l’enregistrement du dernier cas local, avec la fermeture totale de nos frontières, puis la réouverture partielle le 1er octobre 2020 avec imposition d’une quatorzaine payante et en strict isolement, les autorités mauriciennes nous avaient enrobés dans l’illusion d’être un pays Covid-safe.

N’avons-nous pas été naïfs ?

Naïfs de croire que nous pouvions, nous, y échapper, alors même que dans le reste du monde, la pandémie s’aggrave ? «Le nombre de personnes qui meurent du Covid-19 en Europe est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était à la même époque l’année dernière», a souligné il y a quelques jours Hans Kluge, le directeur de l’OMS pour l’Europe. Selon un bilan établi jeudi dernier par l’AFP, la pandémie a fait au moins 2,68 millions de morts dans le monde en un an, et nombre de pays sont engagés dans une course contre la montre avec le virus.

Naïfs, ou crédules ?

Clairement, se proclamer et se croire Covid-safe était un leurre.

Et c’est sans doute bien pour cela que les autorités mauriciennes semblent peu enclines à rechercher le «patient zéro» qui aurait réintroduit le virus en circulation locale. Parce que le gouvernement mauricien a, parallèlement, autorisé des délégations gouvernementales étrangères à venir à Maurice sans quatorzaine, ce qui réintroduit quand même un risque.

Parce que la déposition donnée la semaine dernière par notre ambassadeur aux Emirats Arabes Unis, Showkatally Soodhun, montre clairement qu’il a bel et bien été autorisé, lui, en janvier dernier, à rentrer au pays en effectuant une quatorzaine à domicile. Ce qui représente un risque potentiel. Et que cela autorise légitimement à se demander si d’autres personnes n’ont pas bénéficié de la même «faveur», représentant un facteur de risque de transmission.

Parce que ces derniers mois, nous avons eu deux personnes trouvées positives au Covid-19 après avoir, pourtant, scrupuleusement effectué leur quatorzaine payante en isolement strict à l’hôtel. Et qu’à ce jour, nous ne disposons toujours pas, à Maurice, du séquenceur permettant d’identifier les variants.

Pour toutes ces raisons, il était donc possible de se dire que nous n’étions pas si à l’abri que cela. Et que nous avons été victimes d’une fausse sensation de confiance. Aujourd’hui, le reconfinement taxe durement une population déjà très fragilisée économiquement. Et un hardship supplémentaire frappe cette fois avec le placement en isolation non plus seulement de personnes, mais de régions entières, notamment les circonscriptions 15, 16 et 17. Ne plus pouvoir entrer ni sortir de Curepipe, par exemple, constitue un choc pas seulement au niveau pratique, mais aussi psychologique. Or, il est marquant de voir à quel point l’aspect psychologique est ici complètement mis de côté, voire méprisé.

On le voit avec acuité au sujet du vaccin.

Ces dernières semaines, le gouvernement a fait valoir qu’il était urgent que 60% au moins de la population se fasse vacciner, pour pouvoir atteindre une immunité qui nous permettrait de rouvrir nos frontières à nouveau totalement fermées depuis le 10 mars dernier. Pour pousser cette campagne, c’est la culpabilisation, voire de plus en plus la menace qui est utilisée. Refuser de se faire vacciner, selon certains officiels, relèverait d’une absence de solidarité. Pire, d’antipatriotisme.

S’interroger sur l’opportunité de faire aujourd’hui le vaccin anti-Covid ne signifie pas forcément que l’on est anti-vaccin, ni que l’on est antipatriotique. Qu’on le veuille ou non, et même s’il est clair qu’à ce jour nous ne disposons pas d’autre solution rapide à cette pandémie, le fait demeure qu’il peut être légitime de se poser des questions sur un vaccin sur lequel nous avons peu de recul, vu la courte période de tests avant sa mise sur le marché; un vaccin dont on ne peut à ce stade nous dire s’il nous rend moins contagieux pour les autres ou pas; un vaccin dont on ne peut nous dire combien de temps il nous protège ; un vaccin dont on se sait s’il est efficace face aux nombreux variants qui ne cessent de se manifester.

Sur cela et venue se greffer, cette semaine, la suspension du vaccin Astra Zenecca, d’abord par le Danemark, puis par une quinzaine d’autres pays, dont la France, l’Allemagne et l’Italie, en raison de graves troubles veineux et sanguins notés chez certaines personnes après leur vaccination. Quelques jours plus tard, soit le 11 mars, l’Agence européenne des médicaments (EMA) est venue affirmer que le vaccin AstraZeneca est «sûr et efficace», et que ses avantages dans la protection des personnes contre le Covid-19 l’emportent sur les risques possibles.

Soit. Mais quand les Etats eux-mêmes ont montré qu’ils doutaient, peut-on reprocher à des citoyens de douter? Peut-on empêcher qu’ils se demandent ce que savent ces Etats pour en arriver à une décision aussi grave que la suspension en pleine campagne d’une vaccination qu’ils ont eux-mêmes décrétée essentielle et urgente? Sont-ils à être balayés comme «amateurs de théorie du complot» ceux qui ont du mal à se convaincre que Big Pharma serait soudain devenu vertueux, alors même que des sommes colossales sont en jeu avec la vente du vaccin ?

Ce n’est pas le moment de se poser des questions, disent certains. Parce que le temps est à l’urgence, sanitaire autant qu’économique. Parce que s’il ne protège pas d’attraper le virus, le vaccin présente l’énorme avantage d’en atténuer les effets de façon conséquente. Parce qu’en conséquence, ses bénéfices, à ce stade, dépassent largement les aléas d’éventuels effets secondaires.

Mais une question demeure: un pays peut-il demander à ses citoyens d’être solidaire avec «la patrie» en se faisant vacciner, et se défausser de toute responsabilité vis-à-vis de ces citoyens si cette vaccination tourne mal? Parce que c’est bien ce qu’est en train de faire l’Etat mauricien en demandant aux personnes qui vont se faire vacciner de signer un formulaire de consentement qui stipule, noir sur blanc, qu’elles consentent à abandonner leur droit d’avoir recours à la justice en cas de complication post-vaccination, voire de décès…

Dans le cas du vaccin anti-Covid, les laboratoires, qui vont engranger des milliards, se sont déchargés de toute responsabilité en la transférant sur les Etats. Et Maurice, en tant qu’Etat se décharge à son tour de cette responsabilité sur ses citoyens. Ça fait un peu beaucoup, non, pour un Etat qui réclame du «patriotisme» ? Et alors qu’ailleurs, ni en Angleterre, ni en France, ni en Inde, les Etats ne font signer ce type de renoncement…

Si le gouvernement mauricien veut amener l’adhésion de la population autour de la nécessité de se faire vacciner, son ministre de la Justice ne l’y aide pas. Dans la situation où nous sommes, l’aspect psychologique et la question de confiance sont centraux. Ce n’est pas en désignant ceux qui se posent des questions comme des « shaaïtan », des créatures diaboliques, que M. Maneesh Gobin va venir arranger les choses.

Cela n’aurait-il pas restauré la confiance si l’Etat mauricien disait, simplement, qu’en appelant la population à faire acte de «patriotisme» en allant se faire vacciner, il assumait aussi sa part en s’engageant à compenser adéquatement ceux, de toute façon peu nombreux, qui pourraient faire les frais de cette précipitation demandée ?

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