Notre monde en ébullition

Alors que la liste des noms de dépressions tropicales pour 2022, rendue publique cette semaine, confirme la décision de ne plus donner exclusivement des noms de femmes à ces calamités naturelles, le cataclysme de cette semaine à Maurice est lui associé au nom d’une femme qui a eu sur nous l’effet d’un cyclone. On appelle ça le phénomène Rubina.

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Calamiteux sont en effet les propos tenus par cette femme sur les réseaux sociaux en milieu de semaine, récriminant contre le fait que des pensions soient payées à des personnes en situation de handicap alors que des personnes qui travaillent, comme elle, se retrouvent sans aide gouvernementale. Mais elle ne s’arrête pas en si bon chemin : estimant que ces personnes n’apportent rien à la société, Rubina va jusqu’à affirmer qu’il faudrait s’en débarrasser en les tuant. Genre, pour rester dans l’actualité que Dieu envoie un virus spécifique qui les éliminerait…

Pourquoi faire ici écho de tels propos ? Parce qu’ils ont été très largement circulés et répercutés, et que cette circulation tous azimuts a entraîné incrédulité, bouleversement, choc, colère chez un grand nombre de Mauricien-nes, en situation de handicap ou pas.

Il est salutaire de constater le nombre de réactions et de plaintes déposées dans la foulée à la police par divers citoyen-nes. Qui ont été suivies par l’arrestation de la jeune femme et son inculpation pour infraction à l’ICTA Act, lui-même tant décrié ces derniers mois.

Mais au-delà de la première réaction de colère tout à fait fondée et légitime, il importe aussi d’aller plus loin. Notamment sur trois points.

1) Dans quelle mesure le nombre de followers et de likes obtenus sur les réseaux sociaux pousse-t-ils une personne dans une course où les limites s’effacent graduellement devant la nécessité d’augmenter sans cesse ce nombre et le sentiment de rétribution qu’il provoque ? La question ne cesse de se poser à travers le monde, et elle se pose aussi certainement chez nous dans le cas de Rubina et d’autres personnes.

Jusque-là, la dénommée Rubina n’était pas spécifiquement reconnue comme souffrant d’un trouble mental. Elle était juste connue pour ses diatribes qui, en amusaient manifestement certains sur les réseaux sociaux depuis le premier confinement en mars 2020. Mais sur cette dernière vidéo, on voit clairement à quel point elle guette les likes et s’étonne de ne pas en recevoir davantage. Et c’est sans doute conscient des risques de dérive que cela implique que Facebook et Instagram ont annoncé, en mai dernier, considérer la possibilité pour les utilisateurs de désactiver le comptage des likes sur leur page. Ce qui semble avoir eu peu d’échos…

2) Cette affaire appelle aussi à prendre en compte ce qui risque de plus en plus d’être en jeu à mesure que notre situation économique se détériore.

Sur ce plan, cette semaine a été corsée. Il y a d’une part la brusque dévaluation de la roupie qui rend toutes nos importations plus chères. Le litre d’huile comestible majoré de Rs 10. L’essence majorée de Rs 2.30 Maurice rétrogradée par la Banque mondiale comme pays à revenus moyens après avoir accédé l’an dernier au statut de pays à hauts revenus. Etc.

Un nombre croissant de Mauricien-nes se retrouve déjà dans des difficultés économiques qu’ils n’auraient jamais cru connaître il y a un an. Des personnes qui travaillaient, qui s’occupaient de leur famille sans rien demander à qui que ce soit, et qui soudain, privées d’emploi, se retrouvent à devoir solliciter de l’aide alimentaire. Alors qu’au plus haut sommet de l’Etat, gabegies et gaspillage se poursuivent avec indécence.

Face aux propos de Rubina cette semaine, certains ont rappelé comment, en 1940, les nazis mirent en place un supposé « programme de recherche » en conduisant des expériences sur ceux désignés comme les plus « inutiles » de la société, nommément les personnes en situation de handicap. Pour justifier ces crimes, ce sont des raisons de « pureté raciale », mais aussi d’économies budgétaires qui ont été mises en avant…

C’est justement cet argument d’économies budgétaires que Rubina reprend dans ses propos effarants, débités comme si de rien n’était. Et il importe de prendre en considération à quel point c’est sur une situation économique difficile qu’Hitler et les fascismes en général ont surfé pour asseoir leur popularité. Il importe de s’attacher à voir comment, dans une société, les vulnérables peuvent en venir à se défouler sur les plus vulnérables, à défaut de pouvoir s’attaquer au pouvoir qui les écrase.

3) La troisième chose à ne pas perdre de vue dans « l’affaire Rubina », c’est le bigger picture du contrôle des réseaux sociaux. Nul besoin de verser dans une quelconque théorie du complot autour du fait que Rubina aurait été identifiée comme agent du MSM dans la circonscription n°8 (celle du Premier ministre et de l’ex-ministre Yogida Sawmynaden, sous pression dans le cadre de l’affaire entourant l’assassinat non résolu de l’agent Kistnen l’an dernier). Sans voir là une belle entreprise de focaliser ailleurs l’attention, ou de jouer délibérément dans les mains de l’ICTA, il importe malgré tout de rester vigilants face à toute tentative d’instrumentaliser la diatribe scandaleuse de cette internaute pour rendre justifiable, voire désirable, une intervention musclée de l’ICTA. En d’autres mots, profiter de l’indignation générale pour faire valoir la nécessité et imposer le contrôle sur les réseaux sociaux que l’ICTA a voulu s’octroyer il y a quelques mois, tentative battue en brèche par les pétitions et nombreuses réactions d’internautes mauriciens. Entre condamner les propos scandaleux d’une internaute et se saisir du contrôle de l’ensemble du réseau à titre supposément préventif, il y a un pas que certains seraient peut-être trop ravis de franchir…

L’affaire Rubina cristallise en tout cas à quel point nous sommes en ébullition.

A quel point certain-es peuvent se croire autorisé-es à exprimer des choses horrifiantes, qui nient à d’autres leur humanité sous prétexte qu’on n’arrive plus à joindre les deux bouts.

Et cela risque de ne pas s’arrêter là si nous n’envisageons pas la question dans sa complexité. Car il n’y a sans doute pas une seule Rubina…

Et que les problèmes économiques engendrés par la pandémie ne font que venir se greffer sur une situation internationale qui va devenir de plus en plus brûlante.

Aujourd’hui, le monde entier est en ébullition, au sens propre.

La semaine dernière, nous faisions état du rapport du GIEC qui montre à quel point le réchauffement climatique, que nos dirigeants refusent de prendre à bras le corps pour des raisons de profit économique pour une minorité, va donner des résultats de plus en plus cataclysmiques jusqu’à rendre le monde difficilement vivable d’ici 2050.

Et nous y sommes déjà, comme le montrent entre autres les températures de près de 50°C enregistrées en ce moment au Canada, qui a vu cette semaine le village de Lytton, qui compte environ un millier de personnes, littéralement prendre feu sans que rien puisse être fait pour l’empêcher de partir en fumée…

Au-delà de l’émerveillement que peut susciter « la conquête du ciel » ce n’est sans doute pas qu’un « rêve de petit garçon » que deux des hommes les plus riches de la planète sont en train de poursuivre en ce moment en se lançant dans l’espace.

Jeudi dernier, le milliardaire britannique Richard Branson a ainsi annoncé qu’il prévoyait de s’envoler dès le 11 juillet à bord d’un vaisseau VSS Unity de Virgin Galactic, espérant coiffer au poteau son rival Jeff Bezos, dont le voyage est lui prévu pour le 20 juillet à bord de la fusée New Shepard, développée par sa société Blue Origin.

Une compétition intermilliardaire qui vise, dans un premier temps, à lancer un « tourisme spatial » pour ceux désireux d’aller jeter un coup d’œil sur la terre comme le font en ce moment le très médiatique Thomas Pesquet et ses collègues de la Station Spatiale International actuellement en mission dans l’espace.

Mais à terme, le ambitions pourraient bien être d’explorer d’autres espaces possibles de vie, à mesure que la vie sur la Terre s’annonce difficile.

Reste qu’à $28 millions pour un petit tour sur un de ces vaisseaux spatiaux, cela risque de ne pas être à la portée de la majorité d’entre nous…

Est-ce donc le spectre de s’entre-déchirer, voire de s’entretuer qui nous guette ?

Toutes les vigilances, et toutes les bonnes volontés ne seront pas de trop pour nous donner un espoir d’échapper à ce piège…

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