Seuls au monde

À la faveur du scandale de corruption lié à l’achat de turbines pour la station électrique de Saint-Louis, le leader Ivan Collendavelloo a donc été déchu cette semaine par le Premier ministre de son poste de ministre de l’Énergie au profit de Joe Lesjongard. Si ce nouveau poste est « chaud » au vu du scandale révélé par la Banque Africaine de Développement, il n’en est pas moins vraisemblable que ce dernier puisse en éprouver du soulagement, tant le portefeuille du Tourisme qu’il occupait jusque-là est aujourd’hui épineux.

- Publicité -

Deux jours avant son changement de ministère, Joe Lesjongard avait d’ailleurs donné la mesure de l’étendue de son dilemme en déclarant que quand Maurice rouvrira, on ne sait quand, aux touristes, ceux-ci « ne pourront pas se mêler à la population locale » pendant les sept premiers jours de leur séjour au moins.

Certes, il y a une catégorie de touristes qui viennent à Maurice pour se reposer et qui sont peu intéressés à quitter leur hôtel, surtout quand il s’agit de repeaters qui ont déjà archi-vu le bazar de Port-Louis et les terres 7 couleurs de Chamarel Mais le tourisme reste quand même un désir de faire des rencontres. Et pour autant que l’on sache, ce sont quand même des personnes issues de « la population locale » qui seront chargées d’accueillir ces touristes à l’aéroport, de les véhiculer jusqu’à leur hôtel, de les servir pendant leur séjour.

On peut se demander dans quelle mesure le ministre du Tourisme nouvellement nommé, Steve Obeegadoo, pourra jongler entre le ministère déjà problématique des Terres et du Logement qu’il occupe depuis décembre dernier, avec sa crise de squatters toujours pas résolue depuis plus d’un mois, et cette nouvelle patate chaude.

Au-delà de la seule question sanitaire, la pandémie de Covid-19 a de fait plongé le monde dans une situation inédite, et qui semble à ce jour inextricable : soudain, nos divers pays se sont retrouvés dans la situation de magasins, ou de restaurants : des choses qu’on ferme. Pour se protéger. Sauf que quand on ferme, il y a un moment où il faut rouvrir. Et là, personne ne sait comment s’y prendre.

Avec 9,8 millions de cas déclarés et 494 000 décès à vendredi, la pandémie de Covid-19 ne cesse de s’étendre. Aux États-Unis, on enregistre actuellement plus de 30 000 cas par jour. Le Brésil a enregistré cette semaine plus de 1000 décès quotidiens. Mardi, l’annonce d’un reconfinement partiel dans deux cantons en Allemagne et dans une région du Portugal a secoué l’Europe. Qui vient d’annoncer que quand elle rouvrira ses frontières le 1er juillet prochain, il n’est pas dit que les citoyens américains y seront admis. En Australie, le CEO de Qantas a annoncé une reprise des vols internationaux pas avant juillet 2021

Cette question nous concerne particulièrement. Avec le confinement, les îles, comme nous, ont subitement été renvoyées à l’étymologie même de leur nom, du latin insula, insulae, qui donne aussi le mot isolation Pour nous, frontières fermées veut dire plus de bateaux, plus d’avions, donc un physical distancing à la taille du pays tout entier.

Or, toute notre histoire s’est construite sur notre ouverture au monde. Depuis les premières vagues de notre peuplement au 17e siècle, une part capitale de notre vie commerciale, économique et sociale passe par l’ouverture de nos frontières. Et cela encore plus depuis que nous avons choisi de faire du tourisme le troisième pilier de notre économie, avec les secteurs manufacturier et agricole. Avec 1,3 million de visiteurs, des recettes brutes de 60,3 milliards, et des emplois pour plus de 130 000 personnes, notre secteur touristique nous est actuellement indispensable. Mais comment rouvrir nos frontières fermées depuis le 20 mars dernier ?

Alors que notre secteur des services financiers prend du plomb dans l’aile avec la classification sur la liste noire de l’Union européenne, alors que la BAD affiche crûment la réalité de la corruption de nos supposées élites politiques et commerciales, alors qu’Air Mauritius est dézinguée en plein vol, alors que toutes nos pseudos fiertés de premier de la classe se crashent les unes après les autres, il nous reste semble-t-il une réussite à laquelle nos pouvoirs s’accrochent : celle d’avoir pu contrôler la progression du Covid-19 sur notre sol. Notre nouveau mantra, c’est le 0. Zéro cas de Covid-19.

Si ce résultat donne à penser que cette crise a été bien gérée par le gouvernement, elle n’en dénote pas moins l’extrême polarisation de notre vie. Le Premier ministre mauricien bénéficiait (et jouissait) déjà d’une énorme concentration de pouvoirs. Pouvoirs qui ont encore augmenté avec la Covid-19 Act. La lutte contre la pandémie a largement été présentée comme sa « guerre », non celle de toute une population, et du coup, comme une victoire personnelle. Sauf qu’après, ça devient compliqué.

Au lieu de dire à la population mauricienne, comme dans le reste du monde, qu’il y a une pandémie, que le virus est manifestement là pour un bon moment encore, qu’il y aura des cas, comme par exemple à La Réunion à côté de nous, mais que nous allons faire ce qu’il faut en cas de maladie, c’est-à-dire les soigner, on s’est focalisé sur le 0 à tout prix.

Du coup, rouvrir nos frontières devient une entreprise insurmontable.

Alors que nos arrivées touristiques étaient déjà en baisse de 4% avant la crise du Covid, qui sera intéressé à faire des milliers de kilomètres pour venir dans un pays où il n’aura pas le droit de « se mêler à la population », où l’accès aux piscines sera limité, où les activités aquatiques, le spa, la salle de sport, le mini-club et la salle de conférence resteront fermés ? Cela sans oublier les études qui affirment que les voyages en avion présentent des conditions qui sont favorables à la transmission du virus.

Du coup, les Mauriciens, jusqu’ici très ouverts sur l’étranger, en viennent à manifester une extrême méfiance vis-à-vis de tout ce qui vient du « dehors ». Et si à l’île de La Réunion on demande aux arrivants une quarantaine de 7 jours à domicile ou en centre dédié, ici la situation prend un sérieux revers avec l’affaire du citoyen mauricien ayant fui son lieu de quarantaine pour aller retrouver sa femme et ses enfants dans un hôtel adjacent pour un dîner gastronomique Combien de temps allons-nous pouvoir vivre en autarcie ? Refermés sur nous-mêmes ?

En attendant une réponse, on peut toujours, pour prendre un grand bol d’air, aller jeter un coup d’œil sur l’extraordinaire site que vient de mettre en ligne Reuben Pillay. Des sites de renom comme Petapixel.com et National Geographic ont cette semaine mis en lumière le projet intitulé ReubsVision de ce « drone ethusiast » qui a passé 18 mois à établir une carte de vues aériennes à 360° de tout le littoral mauricien (ce qui n’était pas disponible sur Google Street View).

C’est beau. C’est instructif. Ça respire. Ça montre qu’outre des voleurs, des corrompus, des racistes, des exploiteurs et des intrigants, nous avons aussi un pays encore magnifique où vivent des esprits débrouillards, créatifs, passionnés, innovants, capables de prouesses autant technologiques que poétiques. Ça ouvre les horizons. Nous en avons tant besoin!

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour