Vent de panique

Il y a comme un vent de panique qui a soufflé, cette semaine, sur la barque gouvernementale. Les juges ont poussé Pravind Jugnauth, vous savez, celui qui faisait le matamore lundi dernier au Parlement, à une grosse reculade. Et on a envie de dire: heureusement qu’il y encore des juges à Berlin mais aussi à Port-Louis, parce que, sinon, ce sont le Sun Trust, les conseillers politiques du Premier ministre et ses institutions vampirisées qui auraient décidé de tout et qui auraient tout exécuté eux-mêmes. Surtout les basses œuvres.

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Les juges ont refusé de se soumettre à l’ICAC. Ils ont, avec raison, décidé que c’était une situation incongrue pour eux de soumettre leur déclaration de patrimoine, le menu détail de ce qu’ils possèdent à cet organisme qui a perdu toute indépendance et qui n’est plus qu’un de ces autres instruments partisans au service des partis au pouvoir.

Les juges ont dit un non catégorique à un exercice humiliant qui les aurait mis dans une position de subalterne vis-à-vis d’un organisme dirigé par trois agents: Navin Beekarry, Narain Krishna Peerun — un ancien directeur du service de renseignements — et Shakila Jhungeer, celle qui avait été présentée comme candidate potentielle en mars 2014 au Sun Trust et qui s’est particulièrement distinguée par son intérêt pour l’affaire Sun Tan. Ces gens-là auraient eu, un jour ou l’autre, à venir se présenter devant les juges. Pour des procès. Et c’est à ceux-là qu’ils auraient eu à remettre leur petit formulaire de Declaration of Assets!

Les juges ont provoqué un grand chambardement du calendrier parlementaire. Le Pm voulait aller vite, tout boucler, aller à ses Jeux des îles et faire tranquillement sa petite campagne politique quotidienne. Les juges ont bousculé son agenda. Il devra, mardi, ramasser les amendements proposés en première lecture, lundi dernier à l’Assemblée nationale, présenter une motion dans ce sens et venir avec de nouveaux amendements.

Lesquels exemptent désormais les juges de toute obligation de déclaration de patrimoine “pending the designation or setting up of an appropriate institution to act as the depository of the declarations by judicial officers.” Et ce n’est pas tout, tous les formulaires envoyés par l’ICAC, à gauche et à droite, pour les politiques, et les hauts fonctionnaires de l’administration centrale et régionale, de l’Assemblée régionale de Rodrigues, devront être jetés à la poubelle maintenant que le délai a été repoussé. On ne sait pas jusqu’à quand et si ce sera avant les prochaines élections. Ou après. Ou jamais.

Triste sort pour un texte voté en décembre dernier, soumis à une tentative d’amendement qui a foiré cette semaine et qui revient, revu et corrigé mardi prochain. La situation est d’autant plus cocasse et ironique que, cette semaine même, lorsque Rajesh Bhagwan a, lors de l’examen au détail des dotations budgétaires, voulu connaître le détail des salaires des directeurs de l’ICAC, il a été renvoyé à un comité parlementaire qui est paralysé depuis des mois.

Voilà un organisme, l’ICAC, à qui revient la responsabilité de décortiquer les avoirs de personnes élues par le peuple et même des juges dont les salaires sont régis par le Pay Research Bureau, donc publics — avant que ces derniers ne donnent un grand coup de pied dans la fourmilière — qui est le dernier à donner le bon exemple en matière de transparence. Qu’est-ce que cela lui aurait coûté, à cette organisation qui coûte près de Rs 300 millions par an, de poster sur sa page officielle les salaires de son directeur et de ses assesseurs?

Non, c’est plus excitant de fouiner dans ceux des autres. Et même des juges. Non pas qu’ils doivent être traités comme une catégorie à part, mais, en démocratie, il y a la séparation des pouvoirs et chacun doit démontrer qu’il est bien à sa place. Et que personne n’empiète sur les prérogatives des uns et des autres.

Après ce qui s’est passé devant le conseil privé dans l’affaire Medpoint et que l’ICAC, qui a porté ce dossier depuis huit ans, a subitement décidé de changer de position pour passer du statut de procureur à celui de défendeur, comment ne pas approuver la démarche des juges et le salutaire sursaut de dignité qu’ils manifestent vis-à-vis des nominés politiques du pouvoir en place? Si seulement d’autres montraient la solidité de leur échine, au lieu de l’avoir toujours plus souple, ou ne plus en disposer du tout pour plaire aux puissants du jour!

Ici, nous sommes particulièrement heureux de la décision des juges. Elle est, en effet, très éloquente. Et elle rejoint les mises en garde adressées ici même, le 16 décembre dernier, et qui incitaient à la vigilance quant au rôle de l’ICAC “désignée pour être le dépositaire des déclarations des élus locaux, régionaux et les grands commis, n’est autre que cette ICAC qui est devenue un corps paraétatique comme les autres avec ses nominés politiques.”
Nous n’en disions pas moins après que le pays avait appris avec effroi la volte-face plus que suspecte de l’ICAC à la veille des plaidoiries dans l’affaire Medpoint devant le Privy Council. Des changements brusques qui ne sont pas sans rappeler les conditions dans lesquelles le prix du bâtiment délabré de Paillotte et son tas de ferraille est passé de Rs 75 millions à Rs 144 millions.

On sait que le fait d’effleurer ce fait provoque de grosses crises d’urticaire au Sun Trust, mais les faits restent les faits. Ils sont l’histoire, désormais. C’est ce qui nous avait poussé à nous étonner, le 13 janvier 2019, que “c’est à cette ICAC où sévissent des spécialistes qui nous assurent que mener des enquêtes, ce n’est pas comme cuire des gâteaux piment que les élus et hauts cadres du public vont confier leurs avoirs! C’est le délire total.”
Merci aux juges de ne pas se mettre au même niveau que les paillassons que sont la MBC, la BOM, le GIS, l’EOC ou la GRA. Les citer tous prendrait de nombreuses colonnes. On s’arrête là.

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