#BLD: Bizin Leve Do !

MÉLANIE THÉODORE

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N’avez-vous pas assez d’entendre le terme « lepep mouton » lancé à tout bout de champ sur les réseaux sociaux. Pourquoi « lepep mouton » ? S’agit-il de cette inaction face à des situations d’injustices, des règlements et protocoles incohérents, des lois liberticides, ou cette acceptation amère mais silencieuse d’une nouvelle mesure, nouvelle transaction frauduleuse, nouvelle dose ? Le pire est que nous fulminons : « Comment osent-ils? Zot pe abize la! »

La définition de « lepep mouton » s’étendrait-elle à ces adeptes des réseaux sociaux, qui croient lutter vaillamment en insultant sans vergogne les dirigeants, souvent dans le confort d’un « fake profile » ? Puis il y a ceux qui critiquent et ragent contre « lepep mouton » dont ils s’excluent en toute mauvaise foi! All bark and no bite. En réalité, ces derniers attendent que les plus téméraires sortent se battre pour tous. Et tant mieux pour les plus lotis ou ceux qui pensent sincèrement que tout va bien dans le meilleur des mondes, ils ont le mérite de n’être guère hypocrites! Mais le vrai patriotisme signifie-t-il pour autant fermer les yeux ?

Avengers, Laurette et compagnie :

we don’t need a hero. Just be One!

À quelques heures d’une manifestation organisée par les Avengers, avons-nous besoin de héros politiques? N’est-ce pas là notre erreur : de faire de nos concitoyens, activistes ou politiciens, des héros à vénérer jusqu’à en faire des dinosaures? Ces “Messie” (saisonniers) nous sauveront-ils alors que nous nous enfonçons dans une « léthargie », ainsi définie dans le dictionnaire : « cet état de sommeil profond et prolongé, caractérisé par le fait que le malade est susceptible de parler quand on le réveille mais oublie ses propos et se rendort promptement. »

Manifestation? Y participerons-nous? Récemment un activiste, devenu politicien, a exprimé son opinion sur la mobilisation du 16 octobre. Sa décision de ne pas y être présent devrait-elle ralentir l’élan patriotique de certains? Reconnaissons-le, cette manifestation serait bénéfique à tous, premièrement en provoquant le réveil de « lepep mouton » et deuxièmement une (possible) prise de conscience de nos dirigeants afin de redresser la barre. Allons-nous nous diviser pour mieux faire régner le mensonge, l’incompétence, la dictature (comme le disent certains) ou s’unir pour mieux vivre ensemble? Contrairement aux héros de Marvel, nos Avengers ne possèdent pas de pouvoirs surnaturels ; le super pouvoir c’est le peuple qui le détient! Toutefois, soyons reconnaissants d’avoir des activistes qui servent de catalyseur positif de changement, mais seuls ils n’iront pas bien loin ; notre absentéisme jouerait en notre défaveur et refroidirait d’autres, qui seraient prêts à s’engager. J’ose penser que certains se sacrifient uniquement par amour de leur patrie. Cependant, il vaudrait mieux se rallier à une cause, plutôt que d’être le suiveur d’une personne en particulier.

Manifester n’est pas une promesse de vote aux initiateurs qui deviendraient peut-être de futurs candidats. « Lepep mouton » a été fragilisé par des alliances politiques, qui se font et se défont au gré des aspirations personnelles et des scandales. De plus, où sont les femmes activistes ? Après le naufrage du Wakashio, nous avions sacrifié notre chevelure, étions sorties dans les rues de la capitale. Aujourd’hui quel est notre état d’esprit ?

Dans la peau d’une manifestante le jeudi 7 octobre !

Rejoindre un mouvement de rue avec les restrictions actuelles diffère de la marche du 29 août 2020. Le soleil brûle, comme un projecteur braqué sur vous: au menu ce soir, pieds enflés et migraine. On me voit là debout, avec à la main une pancarte – qui est mon cri. Une dose de stress mais point de frayeur, face aux policiers qui observent, qui passent et repassent, prenant notes et photos car je vois en eux des compatriotes exerçant leur métier. Chapeau à l’infatigable organisateur, Ivann Bibi, qui veille à ce que tout se passe selon les règles. À côté de moi, alignés à plus d’un mètre de distance, des hommes et des femmes, des Mauriciens. Ils sont là, tenant fermement pancartes et banderoles. Une heure presque que nous sommes là mais les bras ne fatiguent pas!

Les passants défilent, les véhicules ralentissent. Certains s’arrêtent, posent des questions, un sourire solidaire. D’autres baissent les yeux sur les cartons, ou baissent les yeux tout simplement. Ni désapprobation ni approbation. Gêne, neutralité, peur ou indifférence?

Midi. Et nous avons faim de justice, de vérité, de liberté. Bizarrement on devient sourd au brouhaha de la circulation. Ou entend-on résonner son courage et sa détermination à faire avancer les choses. C’est un acte qui signifie “j’existe”, j’ai une voix ; même si on est tout petit, David se mesurant à Goliath. Mais très vite, on réalise le patriotisme dont est empreinte cette démarche. On me regarde. On nous regarde. Mais comment diable, ces 10 petits êtres humains ont-ils le temps de tout arrêter pour manifester? Ne savent-ils pas qu’ils perdent leur temps? Initil, pa pou sanze! Et là on a envie de crier : « Si nous nous y mettons tous, oui ! » Il n’est guère facile de sortir de son quotidien, de son inertie, de sa zone de confort pour revendiquer, pour lutter contre ce que nous pensons être juste. Dans notre petite île démocratique, on redoute les représailles ou de mettre en péril cette promotion tant attendue, ou encore de ternir notre patronyme auprès des institutions.

Il me revient à l’esprit un texte d’Antonio Gramsci pour nous qui nous plaignons de tout – le fameux consent form, la hausse des prix, les mensonges, le manque de transparence et de méritocratie, la mauvaise gestion de la crise sanitaire –, mais n’agissons point.

« Ce qui se produit, ne se produit pas tant parce que quelques-uns veulent que cela se produise, mais parce que la masse des hommes abdique devant sa volonté, laisse faire, laisse s’accumuler les nœuds que seule l’épée pourra trancher, laisse promulguer des lois que seule la révolte fera abroger, laisse accéder au pouvoir des hommes que seule une mutinerie pourra renverser (…) Certains pleurnichent pitoyablement, d’autres jurent avec obscénité, mais personne ou presque ne se demande : et si j’avais fait moi aussi mon devoir, si j’avais essayé de faire valoir ma volonté, mon conseil, serait-il arrivé ce qui est arrivé ? Mais personne ou presque ne se sent coupable de son indifférence, de son scepticisme, de ne pas avoir donné ses bras et son activité à ces groupes de citoyens qui, précisément pour éviter un tel mal, combattaient, et se proposaient de procurer un tel bien. » [Je hais les indifférents, Antonio Gramsci, 1917].

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