Dr Satish Boolell : “Les statistiques du Covid sont faussées !”

Notre invité de ce dimanche est le Dr Satish Boolell, médecin légiste et membre du MMM. Dans l’interview réalisée vendredi, il a répondu à nos questions sur la Covid, ses conséquences et sa gestion par les autorités. Avec cette franchise empreinte d’une dose de cynisme dont il est coutumier et en posant, lui-même, une série de questions pertinentes.

- Publicité -

En mars de l’année dernière, il suffisait de quelques cas de Covid pour provoquer le confinement sanitaire du pays. Aujourd’hui, le nombre de cas se compte par centaines, et par jour, et le pays est déconfiné. Commente expliquer cette différence de traitement ?

— Il me semble que les covitologues de service du gouvernement ne peuvent plus gérer la situation et sont en train d’opter pour une fuite en avant. Ils tentent de réduire les statistiques pour les besoins économiques, tout en ne se rendant pas compte que le pays ne dispose pas de l’infrastructure nécessaire pour accueillir tous les malades.

Est-ce qu’avec l’augmentation conséquente du nombre de malades, mais du peu de cas mortels, on peut dire que le virus de la Covid s’est affaibli, est devenu moins virulent ?

— Je ne le crois pas. Mais on ne peut pas répondre avec précision à cette question puisqu’on n’a pas procédé à Maurice à une évaluation de l’évolution du virus dans la population pour comprendre son mode et sa vitesse de propagation. On envoie des échantillons à l’étranger pour établir des statistiques, mais on ne publie pas leurs résultats. Au début, la gestion du virus a été tout simplement un désastre, un grand trial by error. Rappelez-vous : on déclarait un quartier, un village zone rouge, mais on ne soignait pas, on ne vaccinait pas ses habitants en se contentant de bloquer la circulation de leurs habitants, pas celle du virus ! Je pense que le virus a la même virulence par rapport au nombre de morts qui augmente. Sinon, pourquoi est-ce qu’on aurait donné un arpent et demi de plus au cimetière Bigara où sont enterrées les personnes décédées de la Covid ? Le problème c’est que dès le départ, on a mal calculé l’apport du virus dans le taux de mortalité. On le sait : le virus attaque les défenses du corps et amplifie les symptômes d’autres maladies — déficiences auto-immunitaires, cancers, maladies métaboliques qui réduisent la résistance — dont peut souffrir un patient. Le virus est la dernière goutte d’eau qui fait déborder le vase. Mais on a choisi de faire figurer comme cause de décès sur les certificats les autres maladies, pas le Covid, ce qui fausse les statistiques. Pour avoir les vraies, les bonnes et avoir une idée exacte de la situation, il faudrait faire un relevé de tous les actes de décès de l’année dernière, surtout de la population âgée et des pensionnaires des maisons de retraite.

 Autrement dit, vous pensez que les autorités faussent de façon délibérée les statistiques pour cacher l’ampleur de la Covid ?

— Je sais que pour éviter la fermeture sanitaire, certains responsables de maisons de retraite s’arrangent pour avoir, grâce à des praticiens complaisants, un “bon” certificat de décès mentionnant œdèmes pulmonaires ou autres insuffisances cardiaques, ce qui permet de ne pas augmenter le nombre de morts par le Covid et ne pas déranger les statistiques de mortalité du ministère de la Santé. On devrait faire faire un test sur chaque mort pour pouvoir déterminer scientifiquement le nombre de cas positif de Covid et ne pas se fier aux estimations approximatives.

Pourquoi diminuer et réduire le nombre de morts ? Le révéler aurait, au contraire, incité la population à prendre des précautions à mieux respecter les gestes barrières…

— Au lieu de dire la vérité, les décideurs préfèrent déclarer que Maurice est relativement Covid-free pour encourager les touristes à revenir à Maurice. C’est ça le but de la manœuvre. Mais ce message est aussi entendu par la population, pour qui l’épidémie a été maîtrisée par les mesures gouvernementales, qu’il n’y a pas de crainte à avoir et de précautions à prendre. En parlant de précautions, avez-vous remarqué que tous les thermomètres automatiques des grandes surfaces enregistrent toujours la bonne température ? Avez-vous déjà entendu parler d’un client refoulé parce que sa température est top élevée ? On est en train de créer une situation de confiance exagérée chez les Mauriciens en niant la vérité sanitaire. Comment peut-on, dans un pays où le nombre de cas de Covid se compte par plus de deux cents par jour, autoriser des cérémonies religieuses, des mariages, des anniversaires et des marches où on ne respecte pas toujours les consignes sanitaires ?

Avec l’augmentation constante de nouveaux cas d’ici la réouverture des frontières, nous en aurons au moins mille par jour…

— Non. Parce que le protocole du ministère de la Santé change de jour en jour. Dorénavant, seules les personnes au-dessus de 65 ans ont le droit d’être testées. Pour les Mauriciens en dessous de cet âge, il faut se livrer à un véritable parcours du combattant pour se faire tester. On m’a rapporté le cas d’une personne de 18 ans avec un problème cardiaque souffrant de fièvre qui a été renvoyée de service en service dans un hôpital. Elle a dû suivre le protocole — sans doute le dernier en date — avant de pouvoir faire le test de Covid qui s’est révélé positif. Comment voulez-vous que le nombre de cas augmente statistiquement avec ce genre de protocole ?

N’êtes-vous pas en train d’exagérer en décrivant cette situation catastrophique ?

— Prenons les chiffres actuels : si sur un millier de tests at random pratiqués tous les jours on décèle 200 cas positifs, à l’échelle du pays, cela veut dire que 20% de la population est infectée. Pourrait-on soigner ces 200 cas à l’hôpital ENT où, paraît-il, il n’y a que cinq ventillators en état de fonctionnement ? Pour dissiper toute rumeur ou exagération, et au nom de la transparence, le ministère devrait autoriser un groupe de personnes indépendantes de visiter l’hôpital ENT afin de rassurer les Mauriciens sur la qualité — et la quantité — du matériel et du personnel disponibles pour soigner, selon les normes internationales, les malades de la Covid. La situation est trop grave pour se fier aux chiffres du ministère de la Santé, qui ne correspondent pas à la réalité. Il faut voir pour croire.

Certains parents se plaignent des conditions dont leurs proches décédés de la Covid sont enterrés, sans qu’ils puissent leur rendre un dernier hommage…

— Même si la situation sanitaire exige des précautions et une rapidité, on doit pouvoir enterrer ces morts dans la dignité. Il est inacceptable qu’on les enferme dans une boîte en plywood pour la jeter hâtivement dans une fosse creusée par une pelleteuse. Les choses sont faites avec tellement de non-préparation qu’hier, un cortège devant aller enterrer un mort de la Covid à Bigara s’est trompé de chemin et s’est retrouvé dans un autre endroit de Curepipe. Ce genre de situation arrive parce qu’on fait dans l‘à-peu-près. Il faut traiter nos défunts de la Covid avec un plus de dignité, plus d’humanité. Leur départ de ce monde doit se faire dans des conditions respectueuses de leurs croyances, dans des conditions qui ne traumatisent pas leurs proches et ne leur privent pas des moyens de faire leur deuil.

Si ce que vous dites est avéré, Maurice va vers une situation sanitaire catastrophique avec un virus qui va proliférer, les malades augmenter et un système de santé qui n’a pas les moyens — techniques et humains — de les soigner. Est-ce que nous avons les moyens de soigner un touriste si, par malheur, il était atteint de la Covid à Maurice ? Est-ce que nous avons suffisamment de réserve d’oxygène si nous subissons une explosion de cas de Covid ?

— Je n’ai pas de réponses à ces questions et je ne suis pas sûr que les covitologues autoproclamés puissent le faire. On a engagé une collection d’experts autoproclamés qui se sont succédé à la télévision pour donner des avis et des conseils parfois contradictoires, au point où on n’arrivait plus à les suivre. Et je ne vous parle pas du grand public, mais de médecins pratiquants. On aurait dû laisser la responsabilité d’élaborer un plan intégré aux médecins d’expérience du ministère de la Santé ou des gens fraîchement retraités qui ont géré les précédentes épidémies. On leur a préféré les conseillers du ministre experts autoproclamés, les konn-tou qui inventent des trucs et qui changent le protocole de jour en jour. C’est un des génies qui a décidé que pour réduire les chiffres de la Covid dans les statistiques, il faut arrêter de faire les tests aux moins de 65 ans !

En écoutant le discours rassurant du ministre de la Santé, on pourrait avoir le sentiment que la situation sanitaire est sous contrôle, que Maurice a été miraculeusement épargnée par le variant Delta de la Covid qui fait rage dans le monde entier…

— Le variant Delta n’est pas entré à Maurice parce qu’il n’avait pas de visa ! C’est impossible. On se leurre. Même à l’époque où les frontières étaient complètement fermées, des avions privés ont pu se poser à Maurice. Des travailleurs du métro ont été autorisés à entrer dans le pays. Nous sommes en train de nous mentir par rapport à la réalité et c’est à ce niveau que situe le plus gros danger de la Covid.

Nous ne pouvons pas nous en sortir ?

— On le pourrait si on commençait à pratiquer une politique de transparence, si on arrêtait de se laisser guider par des conseillers politiques pour faire appel aux vrais experts médicaux. Ceux mis de côté mais qui suivent la situation à Maurice et l’évolution de la situation de la Covid dans le monde.

 Mais où sont-ils, ces spécialistes mauriciens ? Pourquoi ne se manifestent-ils pas, pourquoi sont-ils aux abonnés absents, alors que le pays est en situation de crise sanitaire ?

— Il y a un climat de frayeur à Maurice. Il y a toujours l’épée du causing annoyance qui peut être utilisée contre ceux qui critiquent le système et la politique en place. Vous savez, comme moi, que la police peut faire des excès de zèle dans certains cas et freiner dans d’autres. Le droit à la parole est bafoué, les médecins ont peur, et ceux qui sont employés par le gouvernement plus encore. Dans la fonction publique, du haut au bas de l’échelle, tous ont peur de dire ce qu’ils pensent, se montrent serviles vis-à-vis des ministres et de leurs conseillers. Les médecins du privé font la même chose et certains profitent de la situation pour se faire plus d’argent, et le consommateur se fait tondre à tout point de vue.

Parlons de la vaccination qui, selon les chiffres officiels, concerne plus de 60% de la population…

— De quelle population parle-t-on ? De quel 60 % est-il question ? Si ceux qui ont moins de 18 ans ne sont pas éligibles à la vaccination, il faut revoir ces 60 % brandis avec fierté par le ministère. Parlons de ces multiples vaccins qui sont utilisés à Maurice, vaccins dont les boîtes sont accueillies comme des visiteurs de marque à leur arrivée à Maurice par des délégations ministérielles !

l  Un mot sur les anti-vaccins qui ont fait des campagnes avec des posters et sur les réseaux sociaux pour alerter la population…

— Je respecte leur droit de refuser la vaccination, mais ils doivent respecter le droit des autres de se faire vacciner. Nous sommes dans un État de droit et ils doivent respecter les règlements qui refusent l’accès de certains endroits aux non-vaccinés. Cela dit, la vaccination, telle qu’elle a été organisée à Maurice, pose quelques problèmes graves. Quel est le vaccin qui est reconnu en Europe, en Afrique du Sud, en Inde et en Australie où beaucoup de Mauriciens ont des liens familiaux ou pour faire des études ?

Est-ce qu’on peut se faire vacciner à l’AstraZeneca par exemple, et après, pour avoir le droit d’entrer dans un pays spécifique, se faire faire une dose d’un autre vaccin ?

— C’est possible si les deux vaccins ont la même souche. Le ministère laisse entendre que c’est acceptable, mais jusqu’à présent, il n’existe aucune autorité internationale pour dire que, par exemple, l’AstraZeneca est compatible avec le Sinopharm.

Pourquoi est-ce que les autorités n’ont pas choisi un seul vaccin au lieu d’autoriser l’utilisation d’au moins une demi-douzaine à Maurice ?

— Je crois qu’au début de la campagne de vaccination, le gouvernement a essayé de tout gérer avec les donations reçues de pays amis. On a commencé avec les vaccins indiens, en dépit du fait que les rapports n’étaient pas très rassurants. Puis on a commencé à prendre des vaccins un peu partout et depuis on fait au petit bonheur. À Maurice, il n’y a pas une politique nationale de vaccin. On ne sait pas quel est le vaccin qu’on vous a donné. Une semaine c’est AstraZeneca, la suivante c’est Sinopham et la semaine d’ensuite on passe à Covaxin ou à Johnson&Johnson. Pour les autorités, il faut vacciner à tout prix, parce que comme disait l’autre, sel solision se vaksinasion, pour que Maurice soit relativement Covid-free !

Mais le ministre de la Santé n’arrête pas de dire qu’il suit scrupuleusement les guidances de l’OMS…

— Je commence à me demander, aujourd’hui, si Donald Trump n’avait pas raison de dire que l’OMS est dépassée et fait du management by crisis. À Maurice, on fait du Covid management by trial and error. Il n’y a pas de chef, d’instruction précise, claire et nette. Il n’y a pas de transparence puisque, dès le départ, au lieu d’assumer ses responsabilités sur ses choix et son protocole sur la vaccination, le ministère de la Santé a obligé ceux qui voulaient se faire vacciner à signer un formulaire le déchargeant de toute responsabilité médicale sur les conséquences possibles de cette injection. C’est un consentement que le Mauricien vacciné a signé le couteau sous la gorge ! Depuis, le ministre pense que cette signature obtenue par la force peut lui permettre de faire n’importe quoi et il le fait.

Que faudrait-il faire, selon vous, pour faire évoluer positivement la situation sanitaire actuelle, pour provoquer un sursaut ?

— Il faut dire la vérité aux Mauriciens au lieu de la fausser pour essayer de les rassurer, alors qu’on ne fait qu’alimenter les rumeurs et les soupçons. Il faut faire les Mauriciens accepter la vérité de la situation sanitaire, avoir peur pour prendre les précautions indispensables, pour continuer à vivre et travailler le plus normalement possible. Il ne faut pas croire que parce que les chiffres officiels ne donnent pas le vrai nombre de morts et de ceux qui sont vraiment malades, le virus est déjà désactivé. Ce n’est pas vrai. Il est là. Bien là. Le Mauricien n’est pas informé de la réalité de la situation. S’il l’était, il aurait peur et cela se verrait dans sa manière de se comporter dans les centres commerciaux et dans les rues. Ce n’est pas un comportement d’une population qui a peur d’être infectée par un virus. C’est le comportement d’une population qui écoute les discours des covitologues autoproclamés, qui croit qu’il est hors de danger, que l’épidémie est sous contrôle.

Changeons de sujet. Comment êtes-vous devenu témoin dans le cadre de l’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen ?

— Je suis le déroulement de cette enquête judiciaire depuis le départ. Il y a deux jours, l’épouse du défunt m’a fait contacter par son avocat pour donner mon avis en tant qu’expert et j’ai accepté.

En tant qu’expert justement, expliquez-nous à quoi sert une enquête judiciaire ?

— C’est un fact finding qui met de l’ordre dans tout ce qui a une relation avec une mort suspecte, à l’opposé d’une enquête préliminaire qui établit les paramètres d’une poursuite. Elle est menée par un magistrat dans le district où la mort a eu lieu. Les conclusions de cette enquête seront soumises au bureau du DPP, qui va décider s’il y a matière à further investigation.

Est-ce que la manière dont les audiences de cette enquête judiciaire sont rapportées, analysées et commentées dans la presse et sur les réseaux sociaux aide l’enquête ?

— Je ne vais pas faire de commentaire sur une affaire dans laquelle je suis témoin ! Je fais partie d’une école où les avocats des deux côtés cherchaient la vérité en cour. Je dirai seulement que nous avons un nouveau mindset à Maurice avec les réseaux sociaux et qu’il faut nous habituer à vivre avec.

Vous avez le droit de faire un commentaire sur les alliances qui se font et se défont au sein des partis de l’opposition, dont celui auquel vous appartenez, le MMM ?

— Je suis effectivement membre du MMM et le jour où une alliance politique ne me satisfera pas, je saurai prendre la décision qui s’impose.

Vous serez candidat du MMM aux prochaines municipales ?

— Certainement pas. Je pense que les municipales sont un bon tremplin pour sevrer les jeunes qui veulent faire de la politique active.

Revenons à la Covid. Un peu après votre interview, vendredi, on a appris que Navin Ramgoolam avait été testé positif au Covid et admis dans une clinique privée. Votre réaction ?

— Je rappelle que, selon le protocole du ministère de la Santé, tous les malades de la Covid doivent être admis à l’hôpital ENT. Est-ce que le ministère va casser son propre protocole pour autoriser que le leader du PTr soit admis dans une clinique privée et, si oui, à quelles conditions sanitaires et de traitement selon les normes de précautions internationales ? Le cas du Dr Ramgoolam permet de poser des questions sur le protocole du ministère de la Santé et ses zones d’ombre.

Un peu avant, le ministre de la Santé a annoncé à la télévision qu’une partie du cimetière de Bois Marchand sera réservée aux personnes mortes de la Covid. J’imagine que vous voulez commenter cette déclaration…

— Cette déclaration vient confirmer que les chiffres de la Covid sont faussés. Pourquoi faut-il réserver une partie du cimetière de Bois Marchand ? Si les chiffres n’étaient pas faussés, le demi-arpent supplémentaire déjà accordé au cimetière de Bigara aurait dû suffire pour le peu de morts de la Covid annoncés officiellement.

Le ministre de la Santé a expliqué qu’on allait utiliser le cimetière de Bois Marchand parce que celui de Bigara avait trop de pluie et de boue…

— De la pluie à Bigara ! En disant cela, le ministre de la Santé a sans doute voulu faire preuve de ce qu’il croit être son sens de l’humour !

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -