Samade Jhummun : « Le classement de Maurice sur la liste grise du GAFI a été un réveil pour tout le monde »

Samade Jhummun, CEO de Mauritius Finance, que Le-Mauricien a rencontré cette semaine, se dit optimiste quant à l’avenir du centre financier international de Maurice. Il souligne le travail conséquent qui a été abattu par le gouvernement, le secteur privé et les opérateurs pour que le pays soit en conformité avec les recommandations du Groupe d’Action Financière (GAFI), après avoir été placé sur sa liste grise. Une délégation du GAFI est attendue à Maurice ce week-end pour une On-Site Visit qui débutera mardi. Le rapport de la délégation sera soumis à une assemblée plénière en octobre, qui décidera ensuite si le pays pourra ou non sortir de cette liste grise et subséquemment de la Black List de l’Union Européenne.

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Mauritius Finance est le porte-drapeau du secteur du centre financier international mauricien. Il a été formé à la suite d’une fusion de Global Finance Mauritius et de l’Association of Trust and Management Companies en 2020. Il regroupe quelque 120 opérateurs de l’industrie des services financiers, qui emploient environ 15 000 personnes.

À quelques jours de l’arrivée de la délégation du GAFI, dans quel état d’esprit Mauritius Finance aborde cette visite cruciale pour le secteur financier ?
Nous sommes plutôt très optimistes, tenant compte du travail abattu par les opérateurs, les régulateurs et le gouvernement. Il y a pas mal de changements au niveau des règlements et des législations ont été amendées. Au niveau des opérateurs, le travail a été fait. Le travail demandé par le GAFI a été mis en place. Nous sommes optimistes par ce que nous avons constaté de visu, et autant que je sache, tous les pays qui ont reçu des visites d’inspection ont été notés favorablement.

Pour nous, cette visite constitue une bonne occasion pour montrer les différents aspects du centre financier mauricien et le travail qui a été abattu afin d’obtenir un produit de haute qualité dans l’espoir de sortir de la liste grise lors de la prochaine assemblée plénière du GAFI en octobre prochain.

Quel message comptez-vous transmettre à la délégation au nom des opérateurs mauriciens ?
À mon niveau, je ne rencontrerai pas les membres de la délégation. Ils rencontreront des régulateurs au niveau du gouvernement et les opérateurs du secteur privé venant non seulement du secteur des services financiers, mais également dans le secteur bancaire et des Non Financial Services.

Aujourd’hui, le blanchiment d’argent (AML) ne concerne pas uniquement les services financiers, mais également des opérateurs d’autres secteurs dont celui du jeu du hasard. Des rencontres avec les membres du barreau, des cabinets d’experts-comptables, avec ceux engagés dans la bijouterie, entre autres, figurent à l’agenda afin de voir comment les recommandations du GAFI ont été mises en œuvre. Je voudrais leur dire que les opérateurs du secteur privé ont travaillé d’arrache-pied afin de s’assurer d’avoir les ressources et les logiciels nécessaires de manière à appliquer toutes les normes demandées par le GAFI et montrer que nous sommes compatibles avec toutes les normes internationales. We abide to the highest standard.

Est-il exagéré de dire que le classement de Maurice sur la liste grise du GAFI et sur la liste noire de l’Union européenne et de la Grande-Bretagne a ébranlé le secteur financier mauricien ?
Je ne dirais pas que le secteur a été ébranlé. Il est certain que le secteur financier a été affecté. Le fait que nous faisons partie de la liste grise du GAFI, une Enhanced Due Diligence est obligatoire dans les opérations transfrontalières. De plus, les investisseurs sont un peu réticents à traiter avec une juridiction se trouvant sur la liste grise du GAFI et sur la liste noire de l’Union européenne. Les clients existants ont fait confiance à la juridiction et ont continué leurs transactions, sachant qu’à un moment ou un autre, Maurice sortira de la liste.

La République de Maurice a montré qu’avant l’échéance du GAFI, elle a réussi à appliquer toutes les recommandations. Cependant, les nouveaux clients ont été un peu réticents. Il faudra attendre qu’on sorte de la liste afin de nous mettre en situation de les attirer à nouveau.

Comment les opérateurs ont vécu cette situation. Y a-t-il eu une réduction du nombre d’unités opérant dans l’île ou des licenciements ?
À ma connaissance, il n’y a pas eu de licenciement directement lié au GAFI. Il y a eu de nouvelles autres activités. Si on regarde la presse tous les jours, on notera qu’il y a des recrutements qui se font un peu partout dans le service financier. Il y a d’ailleurs un manque de ressources qualifiées dans des domaines spécifiques à Maurice. Il y a quelques clients qui sont partis mais la grande majorité est toujours là. Et j’espère qu’une fois qu’on sera sorti de la liste grise, de nouveaux clients reviendront.

Aucune crainte donc concernant une sortie éventuelle de la liste grise…
Comme je vous le dis, nous sommes assez optimistes et tôt au tard nous en sortirons. Nous continuons à apporter des améliorations, je ne crois que nous resterons sur la liste grise.

Quel a été l’apport de Mauritius Finance dans les efforts du gouvernement/secteur privé en vue de compléter le plan d’action du GAFI ?
Au niveau du secteur privé, nous avons travaillé en étroite collaboration avec toutes les parties prenantes, à savoir nos membres, les régulateurs et le gouvernement. Nous avons fait beaucoup de formations en collaboration avec le Human Resources Development Council et le Financial Services Institute. Nous avons touché plus de 1 000 personnes venant du secteur financier et non financier, y compris les responsables engagés dans la bijouterie, etc., qui ont pu se familiariser avec les mesures pour combattre le blanchiment d’argent.

Si les opérateurs du service financier sont familiers avec les législations concernant l’AML/CFT, ce n’est pas nécessairement le cas pour les autres secteurs qui sont nouveaux dans le domaine. Nous avons donc aidé à organiser des formations à ce niveau et avons également contribué au renforcement des capacités. Avec les changements qui ont été apportés dans les législations, nous avons un manque de professionnels qui maîtrisent le secteur. Nous avons donc dispensé une formation de haut niveau à une centaine de personnes, débouchant sur une qualification internationale.

Peut-on dire que la création du Mauritius Finance Training Initiatives with International Partners s’inscrit dans cette démarche ?
Cette initiative s’inscrit dans le travail abattu dans le cadre de la formation et du renforcement des capacités. Nous n’avons pas réinventé la roue, mais nous avons identifié des partenaires stratégiques qui offrent une formation débouchant sur des qualifications conformes aux services financiers. Nous avons développé une collaboration avec The Chartered Institute for Securities and Investment (CISI) et avons mis au point un programme concernant la lutte contre le blanchiment d’argent, en conformité avec les législations et réglementations locales au niveau de l’AML/CFT. Ce programme sera proposé en ligne, ey sera ouvert non seulement ouvert aux opérateurs mais également à tous ceux concernés par le blanchiment d’argent, y compris les directeurs qui siègent sur les conseils d’administration des compagnies basées à Maurice.

Nous avons également d’autres formations au niveau de la comptabilité et de conformité avec les réglementations locales et internationales ainsi qu’au niveau des Trusts and Foundation Management. Tout cela se fera à travers le CISI et le Centre for Training International en collaboration avec l’Alliance Manchester Business School of Manchester University, entre autres.

Durant ces dernières années, il y a eu une série de nouvelles législations concernant les services financiers. Cela nécessite donc une formation permanente…
Il y a eu beaucoup de changements qui ont été apportés dans le but de changer des régimes afin qu’ils soient en conformité avec les règlements de l’OCDE et de l’Union européenne. Les dispositions prises dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme évoluent rapidement. Il y a des recommandations du GAFI au niveau international et il nous faut en permanence nous mettre à jour.
Par rapport à cela, nous comptons nous conformer aux normes les plus élevées en tant que centre financier international. Il nous faudra continuer à faire des améliorations dans nos législations. Vu que nous figurons sur la liste grise du GAFI, nous avons dû apporter les changements qu’il fallait à la lumière de ses recommandations. Cela ne s’arrête pas là et ces changements se poursuivront. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas rester insensibles avec ce qui se passe au niveau international. S’il y a des changements ailleurs, il nous faudra les introduire dans les législations locales.

D’une certaine manière, notre introduction sur la liste grise de GAFI nous a forcés à remettre en question les pratiques dans notre centre financier…
C’était un Wake-Up Call pour tout le monde. La loi était là, mais il fallait prendre toutes les mesures pour l’appliquer correctement. Aujourd’hui, nous sommes devenus une juridiction conforme aux normes internationales. Nous sommes forts de notre expérience avec le GAFI pour servir de modèle aux autres juridictions et même leur offrir notre aide pour les aider à devenir plus conformes aux pratiques financières internationales. Déjà, nous constatons que le travail en vue de permettre à d’autres juridictions d’atteindre la conformité se fait à travers Maurice.

Voulez vous dire que le pays est utilisé comme modèle ?
Pas nécessairement comme modèle, mais nous avons les ressources et les connaissances qu’il faut. Le fait d’être passé par cet exercice de mise en œuvre des recommandations du GAFI a amélioré le service que nous offrons.

Le rapport de Capital Economics sur le service financier mauricien indique-t-il clairement les nouvelles perspectives qu’offre le continent africain duquel nous faisons partie ?
L’Afrique est certainement un marché porteur. D’ailleurs, le rapport souligne que l’Afrique aura besoin de quelque USD 700 milliards d’investissements par an jusqu’au 2030. La moitié de ces investissements passe à travers des institutions internationales qui normalement facilitent les investissements à travers les centres financiers.

Maurice aura un rôle important à jouer tout en aidant nos partenaires africains à canaliser l’investissement. Nous parlons beaucoup de l’Afrique mais il nous faut Walk the Talk. Nous aurions dû augmenter notre présence à travers nos partenaires stratégiques sur Afrique. Nous aurions pu travailler en étroite collaboration avec certains pays et avoir des équipes sur place. Combien d’ambassades avons-nous en Afrique ? Il est clair qu’il faudrait augmenter les effectifs sur le terrain afin de faciliter les choses et développer des collaborations aussi bien avec le secteur public que le secteur privé en Afrique.

Le rapport de la Banque mondiale estime sur le secteur financier mauricien devrait diversifier ses activités et être plus innovateur. Que faudrait-il faire à votre avis ?
Le modèle que nous avons en ce moment date de trois décennies déjà. Il a fait ses preuves et est reconnu par rapport aux services offerts. Il est évident qu’il nous faudra développer des valeurs ajoutées. Il faut identifier et consolider les points stratégiques dont nous disposons et étudier les nouveaux créneaux que nous pourrons développer. Il y a beaucoup de milliardaires en Afrique qui sont à la recherche de professionnels pour gérer leur patrimoine. Il nous faudra développer un réseau afin d’attirer des gestionnaires de patrimoine à Maurice. Le modèle doit être revu à la lumière des changements en cours au niveau international.

Il y a eu des évolutions certes, mais il faudra préparer le plan stratégique sur nos objectifs pour les prochains dix ans. Il y a de nouveaux produits qui sont en gestation et qui ont été annoncés dans le budget. Ce sont des modèles destinés à consolider l’écosystème afin de passer au prochain niveau de développement.

Les résultats du HSC seront connus la semaine prochaine. Peut-on encourager les jeunes à faire des études dans le domaine des services financiers ?
Dans la situation de pandémie dans laquelle nous nous trouvons encore, deux secteurs ont fait montre de leur résilience : les TICS et les services financiers. D’ailleurs, il y a des créneaux où un manque de professionnels se fait sentir. Beaucoup de sociétés internationales recrutent régulièrement pour leurs bureaux dans différentes parties du monde.

Beaucoup de professionnels mauriciens, grâce à l’expérience acquise à Maurice, quittent le pays pour aller travailler en Angleterre, en Europe au Luxembourg, dans les îles de la Manche, etc. Avec le départ de ces professionnels, un manque de personnel qualifié se fait sentir. Nous encourageons les jeunes qui ont réussi à leurs examens de HSC d’exploiter les créneaux qui existent dans le secteur. D’ailleurs, nous organisons des cours avec des qualifications professionnelles.

Récemment, quelque 120 diplômés sans emploi ont été placés dans les sociétés membres de Mauritius Finance et ils obtiennent une qualification internationale qui leur permettra d’entrer dans le secteur. Il y a beaucoup d’opportunités dans le secteur des services financiers et nous encourageons les jeunes à s’y engager.

Y a-t-il beaucoup d’étrangers employés dans le secteur des services financiers ?
Moins de 5% de professionnels travaillant dans ce secteur sont des étrangers. Il faut souligner que c’est un domaine où plus de 60% des employés sont des femmes. C’est aussi un secteur très ouvert et démocratique, ouvert à tout le monde sur une base d’équité. C’est également un secteur rémunérateur qui a un effet multiplicateur. Officiellement, il apporte une contribution de 13% du PIB mais indirectement ce taux et beaucoup plus élevé.

Dans quelle mesure, la crise sanitaire due au Covid a-t-elle affecté le secteur ?
L’avantage que nous avons est que les opérateurs disposent de systèmes informatiques assez avancés. Durant le premier confinement, nous avons connu une période d’adaptation ; ensuite les choses se sont déroulées plus facilement. Il y a toujours des employés qui Work From Home ou selon un système de rotation. Beaucoup ne sont pas encore retournés au bureau. Les clients ne sont pas à Maurice. Grâce au système IT, les unités continuent à assurer le service. Nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas eu de baisse d’activité durant le Covid. Nous remercions le régulateur pour son aide.

Nous entendons souvent dire que le secteur financier subit toujours les conséquences de l’amendement de l’accord de non-double imposition avec l’Inde. Qu’en est-il vraiment ?
Les avantages que nous avions bénéficié dans le cadre de l’accord de non-double imposition avec l’Inde étaient uniques en leur genre. Il était très facile pour les opérateurs voulant investir en Inde de passer par Maurice. Les statistiques montrent qu’entre 2000 et 2016, Maurice a contribué à hauteur d’environ 33% d’investissements directs étrangers dans ce pays. Ce qui équivaut à près de USD 100 milliards. Aujourd’hui nous sommes dans la même situation que Singapour et les autres compétiteurs qui canalisent les investissements en Inde. Par contre, nous ne disposons pas du même écosystème dont disposent certains pays. Il y a des clients qui font toujours confiance à notre juridiction. Il est vrai que le nombre de nouveaux investisseurs a bien baissé en raison de la présence des compétiteurs comme Dubaï, voire l’Inde elle-même. L’Inde reste toujours un marché très important pour notre centre financier. Mais cela pourrait changer dans les années à venir.

Capital Economics souligne dans son rapport effectué à la demande de l’EDB que le traitement de Maurice comme un paradis fiscal est un mythe qu’il faut combattre. Or nous avons entendu, cette semaine, que l’Union européenne classe Maurice parmi les dix paradis fiscaux dans le monde. Que faisons-nous pour contrer ces accusations ?
Il faut, en premier, mieux voir quelle est la définition de paradis fiscal. L’Union européenne, l’OCDE sont des Standard Setting Bodies. Or sur la base de leurs propres critères, Maurice n’est ni sur la liste des paradis fiscaux de l’OCDE ou de l’Union européenne. Tout le système de taxation à Maurice, tous les régimes qui existent dans le pays ont été vérifiés par l’Union européenne et l’OCDE. Ils n’ont jusqu’ici rien trouvé pour démontrer que nous donnons des avantages fiscaux à des opérateurs. Notre système est égal pour tout le monde. Le taux de taxation est de 15%. Il y a différents types de revenus dont certains sont imposés différemment.
Le rapport dont il est question place Maurice à la trentième place sur la liste des paradis fiscaux. La liste inclut des pays européens dont l’Irlande, Luxembourg et Malte. Je laisse les lecteurs faire leur opinion à ce sujet. Maurice n’est pas un paradis fiscal. Nous parlons déjà de la Global Minimum Tax. Nous sommes prêts à adopter les exigences de l’Union européenne. Nos IPPA sont d’ailleurs basés sur le modèle de l’OCDE.

Êtes-vous satisfait que nos institutions et régulateurs soient suffisamment solides ?
Il faut savoir que les méthodologies adoptées par le GAFI et de l’OCDE ne sont pas basées sur la perception, elles sont basées sur les faits et le travail qui a été fait. Je suis satisfait du travail qui a été abattu durant ces trois dernières années. Bien entendu, il y a toujours de la place pour des améliorations.

Comment voyez-vous les services financiers dans les cinq ou dix prochaines années ?
Nous pensons que le secteur des services financiers continuera à grandir. Une fois que nous serions sortis de la liste grise ou de la liste noire, nous pourrons envisager l’avenir avec plus de sérénité. Et nous travaillerons afin de ne pas nous retrouver dans aucune liste, maintenir le Highest Standard et devenir un centre financier international de renom.

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