Le monde est une guerre

Pourquoi devrions-nous nous préoccuper de ce qui se passe actuellement en Afghanistan ?

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Avec le dérèglement climatique et la crise Covid qui n’en finit pas de se prolonger, pourquoi en plus s’intéresser à une guerre qui ne nous concerne pas directement, disent certains.

La globalisation, ce n’est pas seulement la circulation, libre ou pas, des marchandises et des humains. C’est aussi la circulation des conflits. Et celui-ci aura clairement des répercussions sur l’ensemble de la planète.

Comprendre la question de l’Afghanistan pourrait décourager par sa complexité. Comment, en effet, tenter de s’y retrouver dans ce conflit qui imbrique un nombre incalculable de réalités, de mouvements, d’événements, de revirements.

Pour résumer, l’excellente émission « Le dessous des cartes » propose une synthétisation de qualité. Et tenter de comprendre est déjà un premier pas. L’Afghanistan, c’est donc ce pays d’Asie centrale, au relief très montagneux, qui a pour voisins l’Iran, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, la Chine et le Pakistan. Avec ses quelque 37 millions d’habitants, elle a une population qui est presque totalement musulmane avec 80% de sunnites et 20% de chiites. Un pays multiethnique, l’ethnie la plus représentée étant les Pachtounes, avec également des Hazaras, des Tadjiks, des Aimaks, des Pamiris, des Turkmènes et des Ouzbeks.

Émirat puis royaume jusqu’en 1973, l’Afghanistan est le théâtre cette année-là d’un coup d’État non-violent à la faveur duquel Mohamad Daoud Khan s’autoproclame président. Proche de l’URSS, il est soutenu par le PDPA, le parti communiste afghan. Mais leurs relations se détériorent. En 1978, Daoud Khan est exécuté, et le PDPA prend le pouvoir, créant la République Démocratique d’Afghanistan, communiste.

On est alors en pleine Guerre Froide, et l’Afghanistan sombre dans une profonde instabilité. Toute une partie de la population refuse les réformes communistes menées. Des groupes de guérilla, affiliés à des partis politiques, se soulèvent contre les communistes.

L’URSS intervient alors pour consolider sa position dans le pays. Elle craint les rebelles afghans, ceux qu’on appelle les moujahedines, et la tendance autonomiste du président Amin vis-à-vis du bloc soviétique. En 1979, des troupes soviétiques pénètrent dans le territoire afghan. Assassinent Amin et le remplacent par Babrak Karmal.

Au niveau des moujahedines, il y a plusieurs mouvements différents, avec des leaders différents. Notamment le Djamiat-e Islami pour lequel combat le fameux commandant Massoud. Une partie de ces moujahedines est armée et soutenue par des puissances étrangères, notamment le Pakistan et les États-Unis. Les pays du Golfe Persique, notamment l’Arabie Saoudite, sont également de gros financeurs de la rébellion, avec en tête le célèbre Oussama Ben Laden. Pour les Soviétiques, la situation devient compliquée. Les zones montagneuses sont intenables, et ils ne peuvent pas compter sur l’armée afghane.

Début 1989, les Russes finissent par quitter officiellement l’Afghanistan. Le gouvernement afghan communiste se retrouve alors seul face aux groupes armés et finit par tomber trois ans plus tard. Les moujahedines entrent dans la capitale Kaboul. Le 24 avril 1992, l’Afghanistan devient l’État islamique d’Afghanistan établi par les accords de Peshawar signés par les dirigeants de 6 partis qui commandent diverses régions du pays. Seul refuse Hekmatyar Gulbuddin qui, d’avril 1992 à janvier 1993, assiège et bombarde Kaboul, faisant des dizaines de milliers de victimes. L’alliance entre les 6 autres partis s’effrite. La guerre civile s’intensifie.

En 1994 apparaît une nouvelle force : les taliban

Venant plutôt des zones rurales du sud, ayant connu les bombardements aériens et les camps, ils affichent pour objectif de libérer le pays des seigneurs de guerre, qu’ils disent corrompus et responsables de l’instabilité du pays. Sur cette base, ils gagnent rapidement du terrain, jusqu’à prendre Kaboul en 1996. On entre alors dans la période taliban de l’Afghanistan : en 1997, le pays est renommé Émirat islamique d’Afghanistan. Avec à sa tête le mollah Omar, qui s’autoproclame commandeur des croyants.

Les taliban restent au pouvoir à Kaboul jusqu’en 2001. Les talibans sont soutenus par le Pakistan, qui voient en eux l’espoir d’un Afghanistan stabilisé, proche idéologiquement, permettant l’ouverture de routes commerciales vers l’Asie centrale, et qui pourrait s’avérer un précieux allié contre leur ennemi historique, l’Inde.

2001 est l’année du basculement.

Massoud est tué dans un attentat suicide le 10 septembre. Le lendemain ont lieu les attentats du World Trade Centre à New York. Déclarant que les terroristes responsables de cet attentat se cachent en Afghanistan, protégés par les talibans qui avaient laissé Al Qaïda s’installer dans le pays, le président américain George Bush décide de lancer une offensive.

Le 7 octobre 2001, des forces essentiellement américaines et britanniques bombardent les positions talibanes. Puis pénètrent dans le territoire.

En parallèle, les forces de l’Alliance du Nord mènent une offensive.

En quelques semaines, les talibans sont renversés. Mais le nouveau gouvernement n’a pas du tout d’emprise sur le territoire, et la majorité du pays se retrouve aux mains de divers petits seigneurs de guerre. Le 31 décembre 2001 est créée la FIAS (Force Internationale d’Assistance et de Sécurité), force militaire de l’OTAN dont l’objectif est de redonner le pouvoir au gouvernement afghan. Le territoire est divisé en plusieurs commandements, attribués à différents pays de la coalition. En parallèle, les États-Unis mènent sous leur propre commandement l’opération « Liberté Immuable ». L’objectif est de neutraliser la présence terroriste dans le pays et de capturer les chefs d’Al Qaïda, dont Oussama Ben Laden.

La suite, ce sera vingt ans de conflits. Plus de 500 000 morts. Des millions de blessés. Près de 6 millions de déplacés. C’est $2,3 trillions dépensés par les États-Unis.

Récemment, le Washington Post publie des milliers de documents montrant que sur place, les Américains ne contrôlaient absolument pas la situation. Par manque total de connaissance du pays, de sa population, de son organisation sociale. Pire : ils ont contribué au développement d’une corruption et d’une injustice encore plus fortes.

Lorsque le nouveau président américain Joe Biden a finalement annoncé récemment la décision des États-Unis de se retirer d’Afghanistan, les talibans n’ont pas tardé : la semaine dernière, ils ont prestement renversé le président Ashraf Ghani et pris le contrôle de Kaboul. Et l’on a pu voir ces images terribles de milliers d’Afghans tentant à tout prix de fuir le pays. Et entendre ces femmes qui craignent, une fois de plus, d’être les premières victimes d’un régime qui donne des assurances auxquelles beaucoup peinent à croire.

Qu’on ne s’y trompe pas : après la gestion calamiteuse de la crise Covid, les États-Unis sont là marqués par la fin de leur prestige de puissance militaire et de la justification de leurs interventions militaires à travers le monde. Dans un récent article, le chercheur américain David Vine (qui a notamment travaillé sur la question de Diego Garcia, et a publié l’an dernier The United States of War: A Global History of America’s Endless Conflicts, from Columbus to the Islamic State), pose clairement la question du maintien des bases militaires américaines à travers le monde.

Il y a de toute évidence beaucoup de remises en question et de bouleversements qui vont être à l’œuvre dans les mois à venir. D’importants enjeux de pouvoir vont se jouer non seulement entre les talibans et l’État islamique, les deux ayant des projets politiques différents, mais aussi dans le réalignement des puissances mondiales entre les États-Unis, la Russie, la Chine, le Pakistan, l’Inde.

Et l’Afghanistan, c’est aussi des enjeux économiques énormes, entre le contrôle de la culture et de la vente de l’opium, et des ressources naturelles très importantes en termes de minerais, de pétrole, de gaz, d’uranium, de lithium.

Non, nous n’avons pas fini d’entendre parler de l’Afghanistan. C’est même de ce côté que pourrait être en train de se jouer le « nouvel ordre (ou désordre) mondial ». Raison de plus pour ne pas passer à côté de ce qui s’y déroule sous nos yeux fatigués…

C’est du côté de l’Afghanistan que pourrait être en train de se jouer le « nouvel ordre (ou désordre) mondial ». Raison de plus pour ne pas passer à côté de ce qui s’y déroule sous nos yeux fatigués…

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