L’heure est grave !

La défaite du cheval champion invaincu de 2019, White River, dès son retour à la compétition samedi dernier au Champ de Mars, n’a rien de déshonorant ni d’inquiétant. En effet, il a été battu en toute fin de course par le nouveau Alyaasaat, favori battu de la Duchesse 2020 après un départ catastrophique, qui a surtout profité de son poids plume, d’un galop dans les jambes, de la forme physique de son redoutable adversaire du jour White River — à 80% de sa forme optimale — pour le dominer en fin de parcours. Il faut ajouter à cela le move inutile et suspect de Pietro Mascagni, monté par le jockey Kalychurun, dans la descente, qui a fait sortir White River de son pas, d’où son manque de résistance en fin de course. Une circonstance de course peu appréciée de l’entourage du cheval et qui a mené aux larmes le jockey David à son retour au paddock. Rien d’alarmant en vérité, d’autant que le champion, auteur des quatre victoires classiques l’année dernière, a bien pris sa course et se prépare pour sa prochaine échéance, la Barbé Cup, où il entend bien se rappeler au bon souvenir de ses nombreux fans et admirateurs.

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C’était évidemment trop beau pour être vrai, le départ canon du jockey Bardottier pour l’écurie Gujadhur, avec cinq succès à la clé, qui traduisait une symbiose entre le jockey et ses patrons, ne pouvait durer. Un enregistrement audio qui a atterri avec préméditation à l’entraînement Gujadhur est venu jouer les perturbateurs. Pourtant, après quelques années de galère qui auraient dû lui avoir mis du plomb dans la cervelle, Bardottier, s’il s’agit bien de lui, semble avoir répondu à l’appel des sirènes qui le mettent aujourd’hui dans une situation où le Barbé ne sera sans doute pas sur son agenda et peut-être même bien plus. Cet enregistrement troublant pour le jockey Bardottier a eu un double effet négatif et désagréable, celui d’être remercié par Ramapatee Gujadhur et de voir sa licence suspendue jusqu’à la fin de l’enquête par le Mauritius Turf Club. En sus de cela, son dossier a été transmis à la Gambling Regulatory Authority (GRA) et à la Police des Jeux.

Tout cela pour une sombre histoire de bande enregistrée à l’insu du jockey, où il y aurait un accord tacite entre un corrupteur patenté et une voix attribuée à Bardottier pour des informations privilégiées concernant des gagnants à grosse cote contre une récompense monétaire. Sont cités dans cet enregistrement « une autre équipe qui fixerait des courses », et le nom du jockey Emamdee et de l’assistant-entraîneur Ravi Rawa cités comme des connaissances et pas pour des maldonnes. Pour le reste, le début de l’enregistrement démontre bien que les intentions du corrupteur patenté sont loin d’être pavées de bonnes intentions puisqu’elles démontrent une volonté de nuire et un moyen de chantage si le jockey n’accède pas à sa demande. Et ce qui a dû arriver puisque l’enregistrement a finalement atterri dans les mains de ses employeurs qui l’ont viré et du MTC qui l’a suspendu. Tout cela fait de Bardottier plus une victime aujourd’hui qu’un coupable, car l’entraîneur Ramapatee Gujadhur a confirmé, hier, lors de l’enquête, qu’il n’avait jusqu’ici rien à reprocher au jockey pour sa prestation en course. Certes, les commentaires négatifs par rapport à l’un des membres de cette famille hippique centenaire n’ont pas joué en faveur du jockey, mais tous reconnaissent qu’il n’y a rien qui puisse justifier professionnellement une quelconque maldonne en course. Même pas l’ombre d’un doute.

Sans vouloir diminuer le rôle ambigu du jockey mauricien, qui n’en est pas à sa première génuflexion, par contre, à ce stade, le vrai coupable, le corrupteur, qui de surcroît a enregistré le jockey à son insu, n’est nullement inquiété, comme c’est malheureusement trop souvent le cas dans le milieu hippique. Les jockeys mauriciens, les palefreniers et autres petits employés sont souvent ceux qui payent le prix fort de leurs égarements, alors que leurs tentateurs, ceux qui profitent de leur fragilité sociale et financière, s’en sortent toujours. Cela fait des années que Turf Magazine propose que les jockeys et les apprentis mauriciens soient plus encadrés et plus protégés par les autorités hippiques puisque, pour la plupart, ils sont issus de milieux modestes, ont eu un parcours scolaire chaotique, et manquent d’expérience dans un monde où les tentations sont nombreuses. L’hippisme pour eux, comme le sont d’autres activités sportives, comme le football pour les autres, est un moyen de sortir de leurs difficultés financières et sociales de façon honnête. Malheureusement, cela les rend très vulnérables aux appels de sirènes, où les quelques roupies qu’ils gagnent à la sueur de leur front et de leur talent inné sont opposées aux centaines de milliers qui peuvent être gagnées le temps d’une infraction ou d’une mission en course, celle de rendre la tâche des adversaires plus ardue pendant l’épreuve, comme le dénonce cette semaine avec force l’entraîneur irlandais Aidan O’Brian pour un phénomène qui prend aussi de l’ampleur dans les courses irlandaises, mais aussi britanniques, où les commissaires de courses sont appelés à faire preuve de plus de sévérité sur les incidents délibérés.

Les jockeys mauriciens… payent le prix fort de leurs égarements, alors que leurs tentateurs, ceux qui profitent de leur fragilité sociale et financière, s’en sortent toujours

Enfin, terminons par mettre en exergue un manquement majeur de la GRA, celui de n’avoir toujours pas cinq semaines après le début de la saison approuvé les rules and directions 2020. Ainsi, le MTC utilise toujours ceux de 2018. Le pire, c’est que le MTC adhère aux conventions de la Fédération internationale des autorités hippiques et, à cause de ce manquement grave de la GRA, il est techniquement en infraction avec les nouvelles règles en vigueur et a pris un retard important sur les nouvelles réglementations internationales en particulier dans le domaine de l’antidopage. Le sous-comité piloté par Dev Bheekary, le grand manitou de la GRA, et d’autres membres qui n’ont aucune connaissance des courses ont cette année encore une fois échoué à approuver les rules and directions préparés par ses équipes et le MTC à temps. Il suffit pour citer, par exemple, qu’à Maurice, le clenbutérol est toujours une substance interdite alors que depuis 2019 il y a eu changement à l’international et il devrait être désormais considéré comme illicite ! En effet, ces changements déjà inclus dans les rules of racing de 2019 n’ont jamais été approuvés non plus par une GRA plus occupée à favoriser des amis qu’à faire son travail. Si tel avait été le cas, les chevaux trouvés positifs à ce produit à l’intersaison dans une écurie phare auraient entraîné la suspension de six chevaux. Tel n’a pas été le cas et l’un d’eux vient de remporter une course alors qu’il aurait dû être suspendu.

La commission d’enquête Parry avait en 2015 qualifié la GRA de ne pas être adaptée à son objectif à cause de son leadership faible et de l’absence d’un plan stratégique. En 2020, avec les nominés politiques comme Dev Bheekary, la situation est encore pire qu’à l’époque et la GRA jouit d’une image extrêmement négative depuis le départ de la CEO, Mme Ringadoo, remplacée, on ne sait pourquoi, par un cadre du ministère des Finances qui ne connaît pas grand-chose aux courses et qui obéit à la baguette de son maître autodésigné. Il est plus que temps que le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, nomme un nouveau CEO, revoie la composition du board de la GRA comme il l’a promis au Parlement. Ce qui impliquerait nécessairement le départ de Bheekary comme membre du conseil d’administration pour qu’il n’ait plus aucun contact avec une GRA revigorée ayant une structure de gestion, un plan stratégique et un leadership appropriés. Et pour que le conseil d’administration agisse en tant que conseil d’administration et non comme un one-man show. Il faut permettre à la GRA de prospérer sur le plan opérationnel et surtout tenter de convaincre le responsable de l’intégrité, Paul Beeby, de rester pour poursuivre sa mission. Il faut sauver les courses hippiques avant qu’il ne soit trop tard, car les propriétaires de chevaux envisagent de ne plus en importer avec la baisse des stakes money et l’incertitude qui entoure la pérennité du Mauritius Turf Club. L’heure est grave. Il faut agir vite…

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