Marche ou crève…

L’annonce, le 31 mars dernier, de la prolongation du confi nement imposé à Maurice est tombée avec un effet de surprise, mais surtout d’incompréhension, voire de choc, face à un achalandage de mesures apparemment plus souples d’un côté, mais aussi plus drastiques de l’autre. Ainsi, si plus de Mauricien/nes pourront aller travailler, fréquenter les centres commerciaux réouverts, ou retourner dans les salons de coiffure, nous apprenons, sidérés, que la marche nous sera interdite…

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A bien y regarder, cette mesure existait déjà, en vertu du Government Notice n°497 qui couvrait la période du 25 au 31 mars 2021. Mais il n’y avait pas eu d’insistance officielle là-dessus. Tout juste nous avait-on rappelé que nous n’étions autorisés, comme en mars 2020, à sortir que pour aller faire nos courses deux jours par semaine, selon l’ordre alphabétique déjà établi.

Mais cette fois, en annonçant la prolongation du confi nement jusqu’au 30 avril, le gouvernement a expressément insisté sur le fait que « la marche est interdite ». La confirmation apparaît dans le Government Notice n°512 figurant dans la Government Gazette publiée le 31 mars 2021, soit le Temporary restrictions of Movement Order sous la section 3 du Quarantine Act de 2020. Il y est écrit que «no person shall remain outdoor in Mauritius», sauf pour avoir recours à un traitement médical, pour se procurer des médicaments ou tout autre item essentiel à la subsistance de lui, de sa famille et de son animal de compagnie… Et ce Government notice en rajoute une couche: alors que les contrevenants étaient jusqu’ici passibles d’une amende de Rs 50 000, cette fois, toute personne trouvée en infraction est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à Rs 500 000 et à une peine d’emprisonnement jusqu’à 5 ans…

Rs 500 000 d’amende et 5 ans de prison pour une marche dans son quartier, ça fait beaucoup, non? Une telle mesure aurait sans doute pu se justifier si nous nous trouvions dans une situation de total lockdown, avec une nécessité vitale d’éviter toute sortie. Mais comment expliquer cela quand on est par ailleurs invité à aller travailler dans des bus souvent bondés, et à faire ses courses dans l’espace fermé des supermarchés? Comment expliquer ce durcissement alors que dans le même temps, à l’Assemblée nationale mardi dernier, des ministres de premier plan pouvaient être vus discutant en étroite proximité sans le masque imposé à la population sous peine de grosse amende? En quoi marcher seul en plein air serait-il plus dangereux qu’aller dans un centre commercial jamais vide? Il est d’autant plus surréaliste de noter que c’est le ministre de la Santé qui est venu marteler à la télé que «la marche est interdite,. alors même que la pratique de la marche, à Maurice peut-être encore plus qu’ailleurs, est un enjeu majeur de santé publique. Oui, majeur. Car nous trônons en tête des palmarès mondiaux en termes de prévalence du diabète, de l’hypertension et des maladies cardiovasculaires.

Selon les chiffres de 2020, quelque 25% des adultes à Maurice sont diabétiques, plus 22 % qui sont en situation de prédiabète. Dans l’édition 2019 de son Atlas du Diabète, l’International Diabetes Federation (IDF) classe Maurice au 5e rang mondial au niveau de la prévalence du diabète avec 22 %, juste après le Soudan et Tuvalu avec 22,1 %. D’après les projections de l’IDF, Maurice passera en 2e position en 2030 avec 24,3 %, derrière les îles Marshall… A cela, il faut ajouter que près d’1 Mauricien sur 2 souffre d’hypertension. Sachant que le diabète et une glycémie élevée sont associés à un risque de maladies cardiovasculaires quasiment multiplié par deux. Sachant que diabète, hypertension ou une combinaison des deux provoquent 80 % des insuffisances rénales terminales à travers le monde. Sachant que le diabète de type 2 et un indice de masse corporelle (IMC) élevé sont associés à un risque accru de développer un certain nombre de cancers courants. Sachant tout cela, le gouvernement mauricien a mis l’accent, depuis un certain temps, sur la nécessité d’une meilleure hygiène de vie afin de mieux gérer les effets et conséquences chez ceux qui sont atteints, et réduire le risque pour les autres. Outre le fait de s’alimenter sainement, la pratique régulière d’un exercice physique est ainsi préconisée. D’où la campagne baptisée 10 000 Pas Par Jour pour s’assurer une bonne santé que l’on a pu voir ces dernières semaines dans les médias.

Faire 10 000 pas chaque jour dans une case, ça risque d’être compliqué, non? A travers le monde, marcher en plein air n’est pas listé comme risque majeur d’être contaminé par le Covid-19. Dans nombre de pays, même en total lockdown, marcher 1h chaque jour aux alentours de son domicile a carrément été inscrit comme un droit. A Maurice, où nous avons enregistré officiellement 12 cas de décès dus au Covid-19 depuis mars 2020, les autorités nous exposent, en nous interdisant de marcher, à un risque considérablement accru d’être victimes d’autres affections mortelles. Selon le Health Statistics Report du ministère de la Santé, en 2019, les maladies cardiovasculaires ont été responsables de 31.5 % des décès (soit 3 440 personnes). Le diabète et ses corollaires pour 22.8 % des décès (2 486 personnes). Les cancers de 13.2 % des décès (1 441 personnes).

En octobre 2020, la doctoresse Catherine Gaud, special advisor au ministère de la Santé, déclarait à notre confrère Le Défi que «pour les cas des patients, j’ai comme éthique de ne jamais parler des cas individuels, en dehors du sexe et de l’âge. Cela appartient aux patients eux-mêmes. Un médecin ne doit rien révéler». Six mois plus tard, les choses ont bien changé. Et le Dr Gaud a, ces dernières semaines, insisté avec beaucoup de détails sur l’état de santé de certains patients atteints du Covid (obèse quasi morbide, atteint de problèmes cardiaques, souffrant de maladie rénale), pour justifi er que 3 morts au moins ne soient pas inscrites comme relevant du Covid-19. Suivant cette logique, si ces personnes sont mortes de ces affections et non du Covid, alors le Covid justifie-t-il que l’on impose des restrictions qui vont certainement faire grimper le risque pour les personnes atteintes de ce type d’affections? C’est-à-dire 1 Mauricien sur 2? Le rapport bénéfice/risque dont on nous parle tant au sujet du vaccin ne s’appliquet-il pas dans ce cas? Ne peut-on pas peser le risque supposé que quelqu’un attrape le Covid en marchant en plein air et le risque certain que l’interdiction de marcher fait courir à des centaines de milliers de personnes déjà malades, et à celles qui vont le devenir à force de rester enfermées à travailler devant des ordinateurs et à manger?

Comment justifi er l’interdiction totale de sortie pour nos jeunes de moins de 18 ans, même pas pour aller faire les courses? Et alors même que le nombre d’enfants et d’adolescents atteints du diabète augmente chaque année? Qui paiera le coût matériel de l’explosion sanitaire autre que Covid qui va inévitablement découler de ces interdictions? Qui paiera le coût psychologique? Parce que des études montrent à quel point l’enfermement dû au Covid-19 depuis un an génère des troubles psychiques et psychologiques graves. Et qui se prolongent au-delà de l’enfermement. Chez nous, l’enfermement semble vouloir se doubler de musellement.

Avant-hier, des parlementaires chevronnés ont été expulsés de l’Assemblée nationale parce qu’ils posaient une question qui fâche le gouvernement sur une affaire pourtant d’intérêt public. Depuis le début du confi nement, nos députés, élus par la population, n’ont pas eu droit au fameux Work Access Permit qui leur permettrait de circuler dans leur circonscription à la rencontre de leurs mandants et de leurs difficultés, accrues en cette période. Comment justifier cela, alors que des WAP ont été attribués à plus de 300 000 autres personnes dans des secteurs d’activité les plus divers? Et que penser de l’annonce par l’Independent Broadcasting Authority, il y a quatre jours, d’une hausse de 100 % des frais annuels des licences d’opération des radios privées avec effet rétroactif à janvier 2021? Aucun lien nous dira-t-on. On ne sait s’il y a là une volonté délibérée de mise au pas. Juste la certitude que nous empêcher de marcher, c’est nous condamner à crever…

 

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