Mon ICAC, ton ICAC…

Certains voudraient que l’on ne parle plus de l’Angus Road Saga. Ils sont même quelques-uns à croire que le Black Friday, les déclarations ministérielles creuses ou la célébration de quelque journée internationale, des toilettes ou des lavabos, revêtent bien plus d’intérêt pour les Mauriciens qui, faut-il encore le souligner, sont effarés par les dérives continuelles de l’administration publique au point que cela les a poussés à descendre par milliers dans les rues il y a à peine trois mois.
Non, il n’est pas possible de ranger dans le placard des oubliettes un dossier sur lequel tout n’a pas encore été dit et crier «Eureka!» à la première parade orchestrée. Toutes les réponses aux questions que se pose le grand public sur de possibles cas de corruption, de conflits d’intérêts et de blanchiment d’argent n’ont pas encore été données. Alors là, pas du tout!
Ce que l’on sait, pour l’heure, c’est que le Premier ministre a demandé des informations auprès de l’ICAC sur une enquête le concernant personnellement — du jamais vu ! —et qu’il a laissé échapper des bribes tendant à s’auto-exonérer de toute maldonne. Répondant mardi à la troisième Private Notice Question consécutive du leader de l’opposition, Pravind Jugnauth a laissé entendre qu’une enquête avait démarré le 15 mars 2011 et qu’elle avait été «discontinued» le 9 mai 2011.
Deux mois pour boucler une enquête ? Woaw ! Et en plus sans même avoir entendu ou interrogé une des parties mises en cause, ce que le Premier ministre a, lui-même, admis en révélant, mardi, qu’il n’a jamais été convoqué par l’ICAC. C’est après une lettre adressée par Harish Boodhoo après son meeting du 11 mars 2011 devant le Sun Trust que la commission a démarré une enquête sur l’Angus Saga.
Si, dans ses réponses, mardi, le Premier ministre a semblé dire que c’est «l’ICAC de Ramgoolam» qui avait bouclé l’enquête, il omet de dire qu’il était alors le ministre des Finances de ce même Premier ministre. S’il a prétendu que l’enquête a été stoppée le 9 mai, tel n’a pas été le cas pour le Premier ministre de l’époque, Navin Ramgoolam.
Dans sa réponse à la question parlementaire de Rajesh Bhagwan en date du 10 mai 2011, le lendemain de la supposée fin de l’enquête sur les dessous de l’achat du terrain d’Angus Road, Navin Ramgoolam n’avait, à aucun moment, dit que l’ICAC a enquêté et qu’elle n’a rien trouvé. Il se serait, de toute façon, ridiculisé s’il avait dit que l’ICAC avait travaillé si vite qu’en deux mois une enquête sur un de ses ministres était déjà close.
Il vrai que cette affaire intervenait en pleine tempête sur l’affaire Medpoint et que l’ICAC s’était emparé de ce dossier depuis janvier 2011 et que le dénouement de l’enquête dans cette affaire allait conduire à l’interpellation de Pravind Jugnauth le 22 septembre 2011, alors qu’il n’était plus au gouvernement. L’ICAC a pu penser que c’en était trop pour le leader du MSM et, qu’en conséquence, aucun dossier sur Angus Road n’a été transmis au bureau du DPP.
Il faut rappeler que le bureau du DPP a fait un travail remarquable de communication sur tous les dossiers «high profile». Lorsqu’il avait étudié le dossier de Maya Hanoomanjee, ministre de la Santé au moment de l’achat de la clinique Medpoint, c’est par le biais d’un communiqué public qu’il avait annoncé «that it has been decided not to proceed with the prosecution of Maya Hanoomanjee under sections 7 (1) and 9 of the Prevention of Corruption Act 2002 in the absence of hard evidence to establish the case of the ICAC».
Il en a été de même pour d’autres dossiers comme l’euroloan de Vishnu Lutchmeenaraidoo référé au régulateur pour examiner s’il y avait infraction à la Bank of Mauritius Act. En dépit de ce qu’a raconté le Premier ministre, il n’y a aucune trace d’une quelconque décision du bureau du DPP sur l’Angus Road Saga.
D’où les grosses interrogations sur les informations balancées mardi par Pravind Jugnauth et provenant, cette fois, de «son ICAC à lui». Celle qui s’est travestie devant le Privy Council dans l’affaire Pravind Jugnauth/Medpoint en changeant de costume, passant de celui de procureur à celui de défenseur.
Pour sa défense mardi, le Premier ministre a aussi dit qu’il y a eu une seconde enquête sur l’Angus Road Saga commencée le 20 octobre 2013 et arrêtée le 27 juin 2014, une année après, sans préciser sur quel volet la commission enquêtait, celui des paiements en espèce qui dépassaient la limite légale ou les Rs 20 millions payées par Alan Govinden pour le terrain qui a été ensuite enregistré aux noms de mineures. Mais, là aussi, deuxième enquête mais toujours pas de convocation par l’ICAC.
Aucun souvenir d’une quelconque communication du DPP sur la deuxième enquête bouclée. Il est vrai que le bureau du DPP était très occupé alors par l’affaire Medpoint, puisque le procès contre Pravind Jugnauth avait été logé en 2013 au moment où la seconde enquête sur l’Angus Saga démarrait.
Et lorsqu’elle s’est apparemment terminée, en 2014, les audiences battaient leur plein jusqu’à conduire, le 30 juin 2015, à la condamnation du leader du MSM à un an de prison par la Cour intermédiaire, sentence qui a été renversée par la Cour suprême le 25 mai 2016
Le verdict a été confirmé par le Privy Council le 25 février 2019 par ces précisions des Law Lords qu’il n’est jamais superflu de rappeler. Ils avaient, en effet, écrit que «the Independent Commission Against Corruption, which initiated this prosecution, now accepts in its written case on this appeal that it is difficult to see… This is sufficient to dispose of this appeal».
Ce rappel était nécessaire pour situer les propos du Premier ministre dans leur vrai contexte et démontrer comment, avec « mon ICAC et ton ICAC», on en arrive à pervertir les organismes censés lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent et l’on s’étonne que le pays atterrisse sur des listes très sombres de l’Union européenne.

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