Salut l’ami !

Un ami de la famille et de Turf magazine, Moorli Gujadhur s’en est allé, vendredi dernier, sur la pointe des pieds, sans souffrance après avoir donné un dernier avis à son fils, Naresh, quelques minutes plus tôt. Celui qu’on appelait affectueusement Lapin dans les cercles intimes était surtout très proche de mon père, Jean Roland Delaitre, décédé, lui il y a plus de 24 ans, déjà, et, à qui on avait aussi affublé un pseudonyme référant à un animal domestique, c’est à dire Matou. Une tradition bizarroïde dont il faudra un jour que nous tentions à comprendre le code, sinon la mode.

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Moorli Gujadhur. Avec un tel patronyme, il ne pouvait être que du monde hippique étant issu d’une famille étroitement liée à l’histoire des courses de chevaux à Maurice et en Inde. De Rajcoomar, son grand-père, à son père Ackbar et ses oncles Radha et Gunness, il fait, lui aussi, partie de la génération suivante, composée d’une fratrie multiple et de nombreux cousins, tous associés d’une façon incontournable aux chevaux, dont les anciens Damodar, Bud, Shyam, Ladou, Naresh et ceux qui exercent toujours au firmament ces jours-ci, Rameshwar, Subiraj et Ramapatee, sans compter Chandra, le propriétaire le plus heureux du Champ de Mars, actuellement.

Tradition familiale oblige, Moorli est, lui aussi, tombé dans la soupe hippique tout petit et bien qu’il fut un avoué émérite qui défendait aussi les causes justes des plus démunis, c’est dans les courses de chevaux qu’il s’est fait son prénom. Après avoir côtoyé le grand Demdyke chez Gunness Gujadhur, Il a eu sous

son entraînement à l’écurie Ram Ruhee, dont il est un des fondateurs, des chevaux qui ont marqué les courses mauriciennes dans les années 60/70 : Compendium vainqueur de la Duchesse et du Barbé en 1966 et Mystic Snow avec qui, il remporta la Coupe d’Or en 1967, sans oublier, l’alezan qui remontait très fort à l’extérieur en faisant trembler ses partisans jusqu’à la dernière foulée, le valeureux Chickadee. Il fut aussi un propriétaire qui porta chance à son frère Rameshwar dont il fut le premier à l’accompagner sur la piste pour accueillir le premier vainqueurde l’établissement, Fulham Braodway, qui a été le début d’une longue série de victoires, dont celle d’un certain White River, l’auteur de cinq victoires classiques dont les quatres dans la même année. Il fut aussi l’un des propriétaires de Hard Day’s Night lorsque celui-ci s’imposa à la surprise générale dans la Coupe d’Or 2018.

Moorli, cet éternel insatisfait, dans le bon sens du terme, car il avait une exigence de progrès dans la justice. Il était un moustachu borné sur sa vision des choses qui ne se contentait jamais de demi-mesure et avait pour leitmotiv d’imposer sans imposer ses idées…toujours avec une élégance des grands messieurs d’autrefois affublé de son costume trois pièces. A sa manière peu discrète, à cause de son franc-parler légendaire, il posait ses arguments avec une fermeté qu’il avait l’art de rendre malléable avec son brin d’humour très caractéristique que l’on peut qualifier de… Moorlesque. Il maniait tour à tour, la langue de Shakespeare et celle de Molière qu’il articulait avec l’élégance des rois et parsemait sa vision par des anecdotes qu’il puisait de sa mémoire d’éléphant. Il était un empêcheur de tourner en rond au point où il était redouté dans ces messes annuelles de la rue Eugène Laurent où se retrouvaient jadis le gotha de l’hippisme mauricien pour discuter passé immédiat et avenir à long terme. La droiture et le respect étaient parmi les

qualités premières de cette véritable encyclopédie des courses. Aujourd’hui y trônent malheureusement des momies et leurs scélérates proxy. Où sont donc passées ces gentlemen aux belles envolées lyriques, ces chocs des idées débattues avec la passion des convaincus et qui contrastent avec les petites combines à la semaine sans envergure d’aujourd’hui pour un avenir devenu continuellement incertain et sombre ?

Moorli Gujadhur était un homme convaincu, convaincant très souvent, mais animé de paradoxes, puisqu’il cultivait un puissant attachement aux traditions mais était en même temps un combattant visionnaire pour le progrès de la cause hippique et la correction de ses travers. A ce titre il fut un des membres des commissions d’enquête Rault, Balgobin et Glover. Il fut, entre autres, l’artisan du freelance trainer dont il a été l’un des titulaires dans les années 1990, tâche qu’il transmettra à son fils Naresh, son alter ego, quelques années plus tard. C’était en fait les premiers pas de ce qui est devenu aujourd’hui les nouveaux établissements d’entrainement dont la plupart sont gérés avec un certain succès par d’anciens professionnels des courses mauriciennes. Mais son plus gros achèvement est sans aucun doute d’avoir contraint le MTC à faire plus de place aux jockeys mauriciens. S’il fallait une preuve du couronnement de cette vision, c’est que sans jockey mauriciens, il n’y aurait pas de courses pendant cette période maudite du Covid-19.

Pendant très longtemps la place du jockey mauricien relevait de l’exception. Il y a eu les moments glorieux des frères de Coriolis, Jason Noel, Lall Seesurrun, Deanan et d’autres, qui ont marqué leur temps avec des victoires rares mais mémorables. Mais ce n’était que des brillantes étoiles filantes qui faisait main basse le temps d’une course sur la piste du Champ de Mars, occupé pendant deux siècles par une cohorte de jockeys

d’origine diverses venus d’ailleurs. Depuis plus d’une trentaine d’années maintenant le jockey mauricien est devenu un adjuvent indispensable de l’hippisme mauricien. Ces apprentis jockeys, mués en jockeys, ont fait une percée remarquable sur le turf local mais aussi à l’étranger où nos expatriés font flotter très haut le quadricolore mauricien, aussi bien, sinon mieux que nos champions sportifs qui se dépassent pour faire entendre l’hymne national sur d’autres terres.

Si tel est le cas aujourd’hui, c’est qu’il y a eu des hommes de vision, des patriotes, qui ont eu l’audace, contre vents et marées, de contribuer à rendre pérenne la participation de jeunes cavaliers et le concept de jockeys mauriciens dans ce monde impitoyable mais magique des courses mauriciennes. Parmi les nombreux initiateurs de cette mission visionnaire aux côtés de Jean Halbwachs, il y avait Moorli Gujadhur. Ce grand monsieur, les cavaliers mauriciens se doivent de le saluer car s’ils ont accompli leur rêve d’être jockey et de monter régulièrement au Champ de Mars— inaccessible pour leurs aïeux— c’est grâce à Moorli Gujadhur qui a milité et gagné le pari pour cela.

Il y a quelques mois nous avons eu l’honneur de lui rendre visite à son domicile dans sa chambre aménagée pour qu’il ne rate rien de ce qui se passe au Champ de Mars mais aussi dans le pays. Cet homme, finalement très sensible et généreux, se préoccupait plus de la santé de ses frères que de la sienne. A 89 ans, sur son lit, il trouvait toujours les ressources pour nous conter une énième anecdote comique et d’amitié concernant nos familles, Gujadhur, Rivet et Delaitre avant d’aller de son rire caquetant très personnel … que nous n’entendrons plus.

Salut l’ami !

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