Elle a changé de carrière après ses 50 ans : Floriane Jhungur, de prof à skipper

Floriane Jhungur, 53 ans, est skipper. Lorsque cette ancienne enseignante décroche sa licence pour exercer son nouveau métier, elle avait déjà entamé la cinquantaine. Propriétaire du Mjölnir, bateau en fibre de verre amarré au ponton de L’Estuaire, La Balise Marina, Floriane Jhungur s’est naturellement incrustée dans l’univers de son époux, Harry, spécialiste en mécanique marine. C’est ensemble et aux côtés de leurs enfants, Ygor et Lucy, skippers également, que le couple fait voguer le Mjölnier avec à son bord des étrangers et Mauriciens qui savourent les paysages idylliques de la côte ouest, ou quand ils vont à la rencontre de dauphins et cachalots. Sa reconversion professionnelle, Floriane Jhungur la savoure pleinement. Elle a fait sa place dans un milieu encore dominé par les hommes.

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En 2019, après avoir passé 28 ans dans l’éducation non formelle, Floriane Jhungur tourne la page sur une riche carrière dans l’éducation. Pourtant, à 49 ans alors, l’heure de la retraite n’avait pas encore sonné. Entre-temps, le centre Saint-Luc du Loreto Institute, où elle exerçait, fermait ses portes. Si elle restait au service de l’institut, Floriane Jhungur aurait assumé d’autres fonctions au sein de l’éducation catholique. Mais au bout de trois ans de réflexion, elle avait pris sa décision. À l’époque, il n’était pas encore question de bateau, d’une autre vie sur l’eau. Cependant, si Floriane Jhungur mettait un point final à l’école, elle ne comptait pas pour autant s’en arrêter là.

« J’étais fatiguée. J’étais arrivée à un point où je sentais que j’avais tout donné et que je n’avais rien à offrir de plus. La décision de quitter le secteur éducatif découle d’une réflexion et d’un état d’esprit qui ont duré presque trois ans. Depuis 2016, je rentrais chez moi épuisée, mais je continuais à travailler. Cela avait raison de moi, physiquement et mentalement. D’aucuns diront que je faisais un burn-out… Je ne sais pas si c’était cela. Par contre, j’étais à l’écoute de mon corps. Et j’ai compris que je devais tout arrêter et non faire une pause pour retourner plus tard à l’éducation. Quand je sens que je vais me cogner contre un mur, je m’abstiens de persister, c’est un effort qui demande beaucoup d’énergie », explique Floriane Jhungur.

Ce n’est pas sans tristesse que l’ancienne pédagogue avait fait un trait sur un métier qu’elle avait embrassé par vocation et dont l’intérêt premier est l’enfant. En presque trois décennies, elle a vu traverser des enfants qui ont évolué en dehors du mainstream pour devenir des femmes et des hommes responsables, et qui font aujourd’hui sa fierté. Ces jeunes lui ont donné raison de s’être investie dans l’éducation informelle. L’institut de Lorette, dit-elle, « a eu la bonne intuition de placer l’enfant au centre du développement et de l’éducation. »

Sensibiliser sur les cétacés
Floriane Jhungur ne peut s’empêcher d’élaborer, la pédagogue n’est jamais loin : « On identifie et travaille le talent de l’enfant sans occulter l’apprentissage de la lecture et du calcul. C’est une éducation qui vise à valoriser l’apprenant, à l’aider à s’épanouir et à comprendre qu’il a des acquis pour réussir dans sa vie. À la fin de sa scolarité, il est en mesure de reconnaître les valeurs dont il dispose. Il n’a pas besoin d’attendre qu’on vienne le lui dire. »

Elle aurait souhaité avoir assisté à de « vrais » changements en profondeur dans le système éducatif avant sa reconversion, dit-elle. Tout comme elle aurait souhaité que les éducateurs soient mieux écoutés. « Si on aspire au changement, il est primordial de savoir écouter ceux qui sont sur le terrain et non de leur accorder de l’attention once in a blue moon. Mais les décideurs ont l’opinion toute faite et pensent que ce qui est mis sur papier peut être concrétisé. Ils oublient qu’il y a différentes façons d’apprendre et que tous les jeunes ne peuvent être dirigés dans la même filière », observe-t-elle.

Dans le lobby de la marina où elle nous reçoit, Floriane Jhungur scrute la mer tout en évoquant la dernière réforme de l’éducation et ses faiblesses, l’Extended Programme, et le sentiment d’exclusion qui en émane, l’enchaînement de stratégies aux résultats incertains.
La pédagogie est sans aucun doute le dénominateur commun entre son actuel métier et l’enseignement. Les enfants qui accompagnent leurs parents à bord du Mjölnir y retrouvent des livres de leur âge dans lesquels ils découvrent l’île Maurice. « On parle d’économie bleue. Mais combien de jeunes ont accès à des sorties en mer pour comprendre le sens de l’économie bleue en dehors des murs du collège ? J’aimerais faire découvrir les métiers de la mer aux enfants. Et dire aux Mauriciens que nous avons une chance inouïe de vivre sur une île qui a tellement à nous donner », dit la skipper.

Portée par la passion pour son métier et le respect qu’elle voue à l’environnement marin, Floriane Jhungur a un projet dans le viseur. Elle voudrait sensibiliser sur la protection de l’écosystème marin et des cétacés que ses collègues skippers et elle croisent à quasiment chaque sortie. L’envie d’accomplir de nouvelles initiatives liées au Grand Bleu anime celle qui est loin d’être issue d’une lignée de professionnels de la mer. À ses enfants, Lucy et Ygor, la vingtaine entamée, elle leur a insufflé l’intérêt pour le métier qu’elle pratique. Si Ygor, méticuleux, dit-elle, se distingue par sa dextérité, de son côté, Lucy – qui se destine à des études en hospitalité —, pragmatique et visionnaire, apporte son optimisme à l’équipe familiale. Et sans leur père Harry, leur histoire avec la mer n’aurait pas été complète. Celle de Floriane Jhungur n’aurait pas commencé…

« Que vas-tu faire maintenant ? » Quand cette question lui a été posée par son époux, Floriane Jhungur, qui venait de quitter l’enseignement, n’avait pas de réponse. Tout ce qu’elle désirait à ce moment-là, c’était de s’occuper des siens, de souffler et d’avancer. Ses pas l’ont conduite vers une préparation à l’entrepreneuriat. S’il était une évidence qu’un jour son époux s’installerait à son compte avec l’acquisition de ses premiers bateaux (avec permis en poche) et en proposant son expertise en mécanique marine, la skipper en devenir, elle, se jettera à l’eau lorsque le Mjölnir sort de l’atelier en 2021. Quelques années auparavant, c’est une sortie à bord du premier bateau familial, un modèle Quintrex, qui a provoqué un émoi inoubliable chez elle. « J’étais admirative devant la magnificence de la mer. Cela m’a profondément marquée », relate Floriane Jhungur. Cette émotion qui est restée sera essentielle dans sa reconversion professionnelle à un moment où tout était réuni pour qu’elle apporte son savoir-faire à une entreprise familiale qui prenait forme.

Le marteau de Thor
Tandis qu’Eleanor s’approchait du pays cette semaine, le Mjölnir comme d’autres bateaux sortis plus tôt allaient peu à peu regagner la marina. « Ce matin, nous avons accueilli des Russes », explique la propriétaire du bateau. Si elle ne prend pas toujours le poste de pilotage de son bateau, c’est parce que les responsabilités ont été réparties. Le skipper et son assistant sont à bord. « On m’a déjà dit que je ne devais pas m’en faire, que si je voulais rester à la maison pour travailler, c’était bon. Mais moi, je veux être sur le terrain et être en contact avec les clients et ceux que je rencontre à la marina. J’ai toujours communiqué avec les autres. Je suis une personne qui a besoin d’interaction. C’est la raison pour laquelle je suis chargée de la communication de Mjölnir Expedition », dit Floriane Jhungur.

Mais elle ne se limite pas à ce rôle. Si l’entretien mécanique revient à son époux, elle assure le lavage de son bateau à chaque retour à la marina. « Ce nom lui a été donné en référence au marteau de Thor », explique Floriane Jhungur. Il a été choisi pour son symbolisme ; le marteau du dieu nordique Thor est l’arme la plus puissante des dieux, protégeant l’univers, sans jamais défaillir.

Épanouie ? Il ne fait aucun doute, Floriane Jhungur est dans son élément et a trouvé l’équilibre dans le lagon de son île. Les femmes skippers ne sont pas nombreuses et elle est d’avis qu’elles ont pleinement leur place dans ce milieu qui se conjugue au masculin. Ses nouveaux défis, dont assurer la visibilité du Mjölnir sur le marché des excursions, sont désormais ailleurs que dans une salle de classe. Pour cela, la patronne se lève tous les jours avant l’aube lorsque son bateau est de sortie pour préparer le repas de ses clients. Au gouvernail ou aux fourneaux, Floriane Jhungur dirige les opérations du Mjölnir comme si elle avait fait cela toute sa vie…

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