Singapour et Maurice allouent 12% de leur budget à l’Éducation, mais …

Cet article reflète mes vécus comme un produit éternellement reconnaissant de mon éducation à Maurice, enseignant dans un “low performing” collège en 1980-81, étudiant et lecturer au Canada durant 10 ans, Professeur à l’Université Nationale de Singapour pendant 31 ans et parent d’une fille – qui a complété le HSC – et d’un fils – qui a fait 2 années terminales en International Baccalaureate (IB). Tous deux ont bénéficié d’une “Full Scholarship” dans des universités singapouriennes.

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Ce qui m’a le plus étonné en recherchant les données statistiques, c’est que Singapour et Maurice allouent la même part de leur budget à l’éducation, soit 12%. Cependant, en 2022 Singapour a alloué environ Rs 670,000 sur chacun de ses 656,000 étudiants du primaire au tertiaire alors que Maurice a dépensé 8 fois moins, soit environ Rs 80,000 pour chacun de ses 230,000 étudiants.

Au-delà du coût de la vie, entre autres, l’écart entre les dépenses per capita est considérable. Le proverbe « l’argent ne fait pas le bonheur » ne s’applique pas à Singapour. Jaugez ses “achievements”. Singapour est au firmament de divers rankings mondiaux, par exemple le Programme for International Student Assessment (PISA) pour lequel 7,000 étudiants âgés de 15 ans (Grade 9 à Maurice) sont sélectionnés de manière aléatoire de tous ses collèges. Dans la vie professionnelle, 60% des Singapouriens ont un diplôme post-secondaire en comparaison avec moins de 15% à Maurice.

Les cursus scolaires au primaire et secondaire sont relativement identiques à Singapour et à Maurice. Cependant, à Singapour, l’école primaire commence à 6 ans. À l’issue du Primary 6, il y a un examen national, bien plus difficile que notre PSAC. Personnellement, je pense que certaines questions sont au niveau de Grade 9 à Maurice! Mais, il faut reconnaître que les Singapouriens ont presque 12 ans, donc 1 an plus âgé que les Mauriciens, vers la fin du Primary 6.

L’admission au secondaire se faisait selon le total de points mais dès 2023, elle se fera “more broadly” sur les “Aggregate Units”, similaire au pointage SC à Maurice. Ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats postulent pour les “star colleges” (comme nos RCC, QEC etc) qui ne requièrent pas que ses étudiants fassent le SC mais les préparent en 6 ans pour le HSC. Trois collèges offrent aussi le IB mais il faut payer un “top up” mensuel d’environ Rs 16,000 vu ses coûts supérieurs au SC/HSC. Certains étudiants ayant excellé au SC (e.g. mon fils) peuvent s’inscrire pour les 2 dernières années de IB.

Pour le HSC, les étudiants préparent 4 (vs. 3 à Maurice) Advanced Level Subjects (ALS) plus le General Paper. Il y a aussi un “Year-Long Project” (ma fille a entrepris des recherches sur la durabilité écologique de la gestion des déchets) et la langue maternelle à compléter durant l’équivalent de notre Lower 6. Un “Contrast Subject” doit figurer parmi les 4 ALS e.g. Economics en contraste par exemple au trio scientifique Mathématiques, Physique et Chimie. Il s’agit d’une éducation plus holistique qu’à Maurice. Les universités singapouriennes comptabilisent les résultats des 4 ALS pour l’admission des étudiants. Il est arrivé que des lauréats ou classés à Maurice n’y soient pas admis car n’ayant que 3 ALS.

Singapour a énormément investi dans sa population, sa seule ressource naturelle. Tout commence par la formation des enseignants non seulement avant qu’ils n’aillent devant les étudiants mais aussi chaque année pour environ 100 heures de développement professionnel. Les salaires sont très compétitifs. Les enseignants peuvent offrir un maximum de 6 heures de cours particuliers chaque semaine mais ils sont rares à le faire car leur travail ne se termine pas à la fin des classes. Il y a des devoirs à corriger, des activités extra-curriculaires et “pastoral care” à faciliter, et souvent ils dévouent du temps à des élèves en difficulté.

Ma fille est un exemple dans ce contexte. Elle n’était pas “on par” avec ses camarades de classe sur la lecture lorsqu’elle a commencé le Primary 1. Cela a affecté son apprentissage des mathématiques car il fallait lire et comprendre les problèmes. Elle a été alors assignée à une classe de rattrapage en lecture après l’école. Lors de la cérémonie de sa bourse pour aller étudier au National Institute of Education, elle avait invité son enseignante de lecture du primaire pour lui témoigner sa reconnaissance.

Parents et élèves apprécient les motivations intégrées dans le système. Les remises de prix ne se font pas seulement dans chaque école mais aussi au niveau de chaque circonscription aux plus méritants, aux “leaders” dans les activités extra-curriculaires  et aussi sur la condition sociale. Le Singapour vise à “nurture role models” dans tous les segments de sa population. Ainsi, chaque enfant a un Child Development Account (CDA) dès sa naissance. Le CDA engrange les versements ponctuels du gouvernement et les prix obtenus sur mérite ou talent jusqu’à la fin du cursus universitaire. L’argent peut être utilisé à des fins d’éducation ou de santé de l’enfant. C’est ce que Maurice aurait dû faire dans le budget de juillet 2022 pour l’allocation de Rs 1000 à chaque nouveau-né.

Je ne pense pas qu’il y ait lieu d’une révolution dans l’éducation à Maurice. Virer vers le IB, comme plusieurs l’ont suggeré, n’est pas nécessairement faisable car il coûte bien plus que le SC / HSC. Aussi, en observant ma fille et mon fils, ni le HSC, qui est “deep” avec un examen final, ou le IB, qui est “broad” avec ses  “continuous assessments”, ne conviendra à tous les étudiants. 
Le Singapour n’a pas lésiné sur les moyens pour que ses enfants atteignent leur “full potential”. Ainsi, ses Institutes of Technical Education, desservant ceux jugés en manque d’affinités académiques, sont logés dans des campus sophistiqués – d’où le Premier ministre s’adresse à la nation chaque année au mois d’août! Les étudiants ITE peuvent progresser aux polytechniques et plus tard aux universités. On peut aussi offrir ces “multiple pathways of success” pour valoriser l’éducation technique à Maurice.

Ceux qui obtiennent un “Aggregate” de 15 unités or plus au SC sont dirigés vers les polytechniques à  Singapour. De là, ceux qui se classent dans le “Top 20%” obtiennent la garantie d’une admission dans une université publique.  C’est même devenu une option stratégique pour ceux qui aspirent à la médecine ou le droit car les universités veulent la diversité au lieu de recruter exclusivement ceux avec des A+ au HSC / IB. On pourrait faire de même avec nos polytechniques.

L’implication des parents est primordiale dans l’éducation. Mes parents n’avaient pas terminé le cycle primaire mais ils se sont donné corps et âme afin de concrétiser leur rêve de mobilité sociale. Même s’ils ne savaient pas lire, ils s’asseyaient avec moi chaque jour quand je faisais mes devoirs. Lorsque je suis allé étudier à l’université, ils ont sacrifié 80+% de leur budget pour me financer. Mon épouse a quitté son boulot quand elle a accouché. Nous avons mené une vie frugale e.g. sans voiture. Dans chaque école à Singapour, il y a une “Meet Teachers Day” chaque semestre quand les parents, telle mon épouse, discutent avec les enseignants des réalisations et manquements de leurs enfants.

Je reconnais que Maurice n’a pas la manne financière du Singapour. Mais on peut faire mieux, même avec les moyens de bord. Lors de la Teacher’s Day le 5 octobre, un intervenant à la radio a mentionné que ces jours-ci, il est très difficile de nommer un enseignant de la trempe des titans d’antan. J’ai eu la chance de côtoyer plusieurs durant ma scolarité. Ces titans incarnaient “Respect begets Respect” avec le partage enthousiaste de leur savoir-faire et leur savoir-vivre.

Le respect mutuel est en manque à  Maurice aujourd’hui. Tous les “stakeholders” (Ministère, administrateurs, enseignants, élèves et parents) doivent collaborer en urgence pour enlever cette tumeur de notre sphère éducative. Avec le respect mutuel, s’enchaîneront discipline, convivialité, joie d’apprendre etc. Ce sera alors une toute autre intelligence émotionnelle eu égard à L’ÉDUCATION.

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