Ces icônes qui s’en vont…

Sir Anerood Jugnauth s’en est allé sur la pointe des pieds. Il a rendu son dernier souffle à 19 h 41, le jeudi 3 juin 2021, à la clinique Darné, avec à ses côtés ses plus proches. Qu’on l’appréciait ou pas, il faut reconnaître que c’est une véritable icône de notre pays qui s’en est allée rejoindre d’autres illustres bâtisseurs de notre nation qui laisseront leurs traces indélébiles sur la vie de notre pays multiracial et notre vivre-ensemble, tels sir Seewoosagur Ramgoolam, sir Gaëtan Duval, sir Satcam Boolell, sir Veerasamy Ringadoo, sir Abdool Razack Mohamed et Sookdeo Bissoondoyal pour ne citer qu’eux. SAJ a contribué à faire de notre pays, avec de brillants collaborateurs, un exemple mondial de développement économique et social. Ignorer les zones grises de son existence ne saurait faire grâce aussi à son humanité et à la grandeur de ses réalisations. Comme tout humain, il a aussi commis des erreurs — dont le fameux « démons », « Moralité pas rempli ventre », ou encore « coupe ledoigt » — qu’il a parfois su assumer en reconnaissant en toute humilité qu’il avait, lui, fauté.

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L’hommage du MTCSL rendu sous forme d’une minute de silence dans le rond de présentation à l’occasion de la 4e journée, reportée à dimanche pour cause de funérailles de l’ancien Premier ministre et président de la République, était tout à fait légitime. Si son épouse, Sarojini Jugnauth, a fréquenté plusieurs fois les tribunes du Champ de Mars, SAJ, par contre, n’était pas un fan. Mais il avait visiblement à cœur la probité de cette activité. Il a bien ordonné une commission d’enquête lors de son existence, celle de sir Maurice Rault en 1985 et il avait même pris l’engagement lorsqu’il a repris pour la dernière fois les rênes du pouvoir en 2015 d’appliquer in toto les recommandations du rapport Parry (2014) issues d’une commission d’enquête, initiée par Navin Ramgoolam, dont le rapport intérimaire avait étrangement disparu. Il avait pourtant été remis en main propre à l’incontournable conseiller de la famille Jugnauth, Dev Bheekary, qui a nié, sans convaincre, avoir été en possession de ce document pourtant remis là aussi en main propre par le duo Gunn et Scotney, à qui le Premier ministre d’alors avait demandé de faire des recommandations pour assainir les courses et leur redonner un second souffle.

Mais l’homme fort de de la Gambling Regulatory Authority (GRA), dont les méthodes et le one-man-show au sein de cette organisation ont été récemment dénoncés avec force détails par Paul Beeby, l’ex-Integrity et Compliance Manager de la GRA, a donné une tout autre orientation à ces précieuses recommandations, qui, comme plusieurs autres faites sur le dos des contribuables, sont enfouies au fond d’un tiroir. La priorité pour l’heure étant de hijack les prérogatives du Mauritius Turf Club (MTC) et de l’affaiblir en mettant sur la touche ceux qui peuvent résister afin de préparer le terrain à une OPA (Offre Publique d’Achat). Le favori incontestable du régulateur est celui qui fait ce qu’il veut de son argent, excepté que sans le sésame pour organiser les courses, qui appartient au MTC affilié à Association des autorités hippiques mondiales, il ne peut mettre sa mainmise sur l’organisation des courses à Maurice. En attendant, il a déjà bien établi son réseau, sur le monde des paris et sur le monde du jeu sur lequel il a aussi jeté son dévolu. Cela, sans compter que ses tentacules au sein des écuries et d’autres instances hippiques clés qui sont nombreuses à être déjà à sa merci grâce à l’aide de ses amis de la GRA et du gouvernement, qui sont parallèlement eux largement récompensés.

S’il fallait une preuve de cette volonté de mainmise, le nouveau comité d’appel qui a été excisé du MTC pour passer sous l’autorité de la GRA en est une. Les pontes de la Newton House n’ont jamais informé le public officiellement — ce qui est un devoir de toute organisation qui puise son existence de l’argent des contribuables — quelles étaient les personnes appelées à siéger sur cette instance que la GRA a prise en main pour contrer tout conflit d’intérêts de la part du MTC, ce qui est, en soi, rempli de sens. À notre grande surprise, les membres de ce comité d’appel qui ont déjà siégé et confirmé à deux reprises les décisions du stipe room sont tous des membres ou ex-membres du MTC, qui, il est vrai, sont en quelque sorte, pour des raisons diverses, en froid avec l’organisateur hippique mauricien. À la GRA, la logique de l’indépendance d’une institution, c’est de remplacer un membre du MTC nommé par le MTC par un membre du MTC nommé par la GRA. Ainsi, celui qui était en conflit d’intérêts ne l’est plus. Plus clown que ça tu meurs !

Moins comique et plus grave, c’est cette enquête sournoise de la GRA et sa Police des Jeux qui convoquent, sans cadre réglementaire et légal approprié, au téléphone un licencee du MTC, non pas pour enquêter sur le déroulement d’une course ou la monte d’un jockey ou la performance d’un cheval, mais pour en savoir plus sur les agissements professionnels d’un officiel, du MTC, qui semble être dans le collimateur de cette institution. Après l’enquête à quatre volets pour trouver un responsable dans la mort accidentelle et malheureuse du regretté jockey Juglall, cette fois, c’est une banale conversation entre un Chief Stipe et un jockey, peu avant le départ d’une course, qui est sujette à une enquête. Ces méthodes qui ressemblent fort à celles de la Gestapo sont pour le moins inquiétantes.

En effet, au lieu de s’enquérir auprès de l’officiel et de lui demander ce qu’il en était, la Police des Jeux a préféré convoquer le jockey Pravesh Horil, lequel a été interrogé longuement mercredi, pas sur une de ces montes, mais sur la conversation qu’il a eue par talkie-walkie avec le Chief Stipe, Stephane de Chalain, peu avant le départ de la 7e course, alors qu’il attendait pour intégrer les stalles de départ. La police voulait savoir du jockey si celui-ci lui avait, ou non, donné des instructions avant cette course. Plus ridicule que cela tu meurs !

Selon des informations recueillies par Turf Magazine, mis devant des indiscrétions de dernière minute à l’effet que cette épreuve était « arrangée » pour faire triompher le cheval River Thames, le Chief Stipe a, comme le lui permettent ses pouvoirs investis par les Rules Of Racing, demandé au jockey Horil, en selle sur Stockbridge, quelles étaient les instructions qu’il avait reçues de son entraîneur Patrick Merven. La question était simple : « What are your instructions ? » Le jockey lui a alors dit que son entraîneur lui avait demandé de prendre le meilleur départ possible, de faire travailler River Thames qui se trouvait à son intérieur sur les premiers mètres de la course et de se mettre tranquillement dans son sillage si son adversaire persistait pour aller de l’avant. Ce qu’il a fait à la lettre.

Même si cette demande expresse du Chief Stipe s’est faite alors que le jockey était derrière les stalles de départ, ce qui est rare, cette demande est tout à fait légitime. Pour cela, le jockey Horil a passé plus de deux heures à répondre aux questions de la Police des Jeux, des questions qui confirment que celle-ci n’a qu’une expertise limitée en matière d’enquête sur les courses hippiques, comme l’a indiqué Paul Beeby récemment. Ses éléments n’avaient qu’à lire les Rules Of Racing, approuvés par la GRA, s’ils voulaient savoir que sont les pouvoirs et attributions d’un Chief Stipe.

Cela dit, nous pouvons être en désaccord avec la stipe room et même l’esprit des Rules Of Racing. Ainsi, l’enquête sur l’incident occasionné par Wall Tag, qui a surtout gêné son compagnon d’écurie Twist Of Fate, très mal monté cette fois, nous laisse quand même sur notre faim. Affirmer que l’incident n’aurait pas changé l’ordre d’arrivée est contestable à notre sens et c’est pour cette raison que nous récusons la notion d’opinion dans ce type d’incident. Nous sommes de ceux qui prônent, et cela n’est pas nouveau, qu’un incident ne peut profiter à celui qui l’a occasionné. Certes, le jockey a été puni, mais le cheval, lui, ne l’a pas été. L’aurait-il emporté si son jockey avait décidé de le redresser, donc de le ralentir, au lieu de le laisser dériver dangereusement sur plusieurs mètres pour couper l’action d’un de ses adversaires ? Nous ne pouvons ni l’affirmer ni l’infirmer. Devant cette incertitude, celui qui commet une faute aussi grave à moins de 100 mètres de l’arrivée ne peut être absous.

Mais il n’y a pas que cela dans cet incident. Nous trouvons regrettable dans l’esprit éthique des courses qu’il n’y ait pas eu d’objection du jockey Fayd’herbe. Nous pouvons comprendre que puisque c’est son compagnon d’écurie Wall Tag — cheval méritant qui aurait dû gagner lors de sa sortie précédente — qui l’a emporté, surtout à une cote aussi alléchante à plus de 10 contre 1, il se soit abstenu de le faire, car, en cas de rétrogradation, l’écurie aurait pris les 3e et 4e places, alors que, sans plainte de sa part, ce sont les 1re et 4e places qui ont été acquises et que dans la période difficile que nous traversons, les allocations associées à ces deux places sont les bienvenues dans l’escarcelle de l’écurie. Mais, les Racing Stewards auraient dû eux-mêmes objecter et faire une enquête, en bonne et due forme, dans les règles de l’art, car l’incident était très grave. Ainsi, les turfistes qui ont, eux, perdu leur argent puisque le grandissime favori n’a pas terminé, à cause de cet incident, dans les trois premières places, auraient eu une certaine forme de justice. Il ne faut pas se faire d’illusion, si le cheval gêné était d’une autre écurie, la bataille pour la rétrogradation aurait été féroce.

Terminons par saluer le retrait avisé mais triste de toute compétition du champion White River qui, depuis son Maiden catastrophique 2020, n’a plus la même envie de se battre, d’autant qu’une douleur lancinante au genou ne lui permet pas de retrouver les sensations qui furent les siennes au moment où en 2019 il dominait de la tête et des épaules ses contemporains. Sage décision de son entourage qui préfère garder le souvenir de cette épopée mémorable où il s’adjugea les quatre courses classiques de la saison. Merci à ses propriétaires Chandra Gujadhur et France Law de lui réserver une retraite dorée méritée. Une autre icône, celle des courses, qui s’en va aussi sur la pointe de ses jambes.

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