Rebattre les cartes !

Il n’y a pas eu de surprise, hier, à la rue Eugène Laurent dans les locaux du Mauritius Turf Club (MTC), où les membres ont voté presque à l’unanimité (380-6) la motion de l’Assemblée générale extraordinaire (AGE) qui leur avait été proposée par l’équipe dirigeante, c’est-à-dire la vente d’une partie de leurs actifs : le centre Guy Desmarais à Floréal. Un magnifique havre de paix de dix-sept arpents qui abrite un centre d’entraînement sur une piste de 800 mètres, une cinquantaine de boxes et le Club hippique de Maurice. Toute vente d’actifs est toujours une blessure, et ce n’est pas de gaité de cœur qu’une telle décision a été prise, mais elle était nécessaire pour éponger les dettes et continuer l’activité hippique pour l’instant et pour éviter une mise sous administration qui aurait pour conséquence la perte de la licence d’organisateur des courses et les employés qui perdraient leur emploi sans la moindre compensation. Désormais, la mission pour les dirigeants est d’établir une stratégie de redressement viable pour le long terme.

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Une fois n’est pas coutume, ce qui a marqué cette AGE, c’est l’ambiance bon enfant et une solidarité sereine qui tranchaient avec les tensions enregistrées dans le passé, synonyme de division, et peut-être le syndrome central de ce qui a mené le club dans la situation désastreuse où il se trouve aujourd’hui. Certes, il y a des événements factuels qui ont précipité cette chute ces derniers temps avec l’impact du Covid-19, qui leur a donné un effet accélérateur, puisqu’il a induit un certain nombre de journées de courses à huis clos en 2020, suivi d’une année entière sans public en 2021.

Mais il ne faut pas se voiler la face, le MTC est aussi victime d’une stratégie politique bien établie, teintée de communautarisme, parfois exacerbée, par le régime actuel pour l’éjecter de la scène hippique pour arriver, à travers des entités plus malléables, à prendre le contrôle de l’hippisme mauricien et s’assurer une mainmise sur une industrie où l’argent liquide circule à gogo, avec pour but non assumé de se garantir des revenus substantiels, si ce n’est de rendre plus propres ceux qui proviennent des activités plus « sniffantes » ou illégales.

Sur le plan purement des paris hippiques, qui constituent le gros des revenus des organisateurs des courses, l’abolition du off-course bookmaking et l’effet néfaste qu’a eu l’augmentation de la taxe de 10% à 14% sur les chiffres d’affaires au niveau du betting, décuplant du coup les paris illégaux aussi bien au sein de certaines officines existantes que des maisons clandestines, ont considérablement touché financièrement toutes les organisations de paris qui ont pignon sur rue. De même que la situation financière du MTC, dans la conjoncture de crise économique mondiale, les paris ont aussi connu une régression inquiétante.

Ainsi, par le mécanisme de cause à effet, le MTC s’est retrouvé en position de victime expiatoire de marasme financier avec des pertes massives de Rs 63 millions en 2021 et un manque à gagner prévu de Rs 120 millions cette année qui devrait aboutir à des pertes de Rs 103 millions. Quand on ajoute à cela le recul massif de l’apport des sponsors, on peut comprendre que cette descente aux enfers n’est pas fortuite, d’autant que depuis le début de la saison, les journées organisées par le MTC n’ont pas fait le plein de partants, au point où une journée a été purement et simplement annulée parce que certains professionnels des courses, sous influence de la mainmise d’une main invisible, boycottent honteusement l’institution qui les a fait naître, les a nourris, éduqués et élevés.

Dans cette conjoncture, lors de l’AGE d’hier, quelques voix se sont élevées et ont obtenu une large approbation pour, d’une part, sanctionner les entraîneurs qui boycottent les journées de courses organisées par le MTC et, d’autre part, expulser les membres associés à la concurrence. Il faudra à cet effet préparer des motions pour une prochaine assemblée générale. Par ailleurs, les dirigeants du club ont été appelés à se montrer intransigeants vis-à-vis des bookmakers clandestins et les paris illégaux, bien que les institutions censées les traquer, comme la GRA et la Police des Jeux, donnent plus l’impression de s’occuper des petits poissons que de traquer les requins. Parmi les mesures annoncées, il y a la douloureuse de la réduction du personnel à 70 contre environ 300, même s’il y a déjà eu quelques départs volontaires à ce stade. Dans cette période de dépression économique et de prix qui flambent, il est du devoir du MTC de compenser adéquatement ceux qui se sont donnés corps et âme pour s’occuper des chevaux et des courses pendant des années.

Cela dit, le MTC doit faire preuve de lucidité et surtout son autocritique, car il a aussi sa part de responsabilité dans cette descente aux enfers. Celle de ne pas avoir réfléchi à l’évolution de son business model, celle de n’avoir pas su changer le mode de nomination de ses dirigeants, celle d’avoir pratiqué une politique à plusieurs vitesses vis-à-vis de ses membres ou des professionnels des courses et celle d’avoir eu à divers moments de son histoire des attitudes d’une complaisance coupable vis-à-vis des différents pouvoirs politiques au lieu de garder une nécessaire neutralité et une distance en la matière. Le moment de changer, de s’adapter et d’innover a sonné. Il faut rebattre les cartes. Autrement, ce sera la fin d’une belle histoire !

L’actualité hippique ne se résume pas aux déboires du MTC. Il y a aussi la brouille qui s’est installée entre l’entraîneur Ricky Maingard et l’organe de presse de Jean-Michel Lee Shim, qui n’aurait jamais pris l’initiative de s’en prendre à l’entraîneur sans l’aval de son chef. Pourtant, les deux étaient aux anges, comme larrons en foire, après la brillante victoire de Frosted Gold dans la Barbé Cup. Que s’est-il passé depuis pour qu’apparaissent les premiers craquements de leur association ? Il y a eu la mise de côté de Rye Joorawon par l’entraîneur pour des raisons tout à fait justifiées pour des montes suspectes lors de la journée subséquente au Barbé. Il y a eu aussi les critiques légitimes de l’entraîneur qui a pointé du doigt certains aspects de l’entretien de la piste par le nouvel organisateur des courses en ces termes qui ont, semble-t-il, blessé l’entourage de Jean-Michel Lee Shim : « … l’état de la piste, qui était affreux de semaine en semaine, mais pas quand la MTCSL s’en occupait, parce qu’elle sait ce qu’il faut faire, mais les autres qui n’ont pas encore appris. Vous savez, l’expérience ne s’achète pas au marché, ça s’apprend petit à petit. »

Une claque bien sonnante, mais une réalité implacable qui a fait qu’on ait beaucoup parlé de divorce et de chevaux qui quitteraient le yard de Ricky Maingard, qualifié par le journal « d’enfant gâté… qui croit qu’il a toujours raison sur ce qu’il dit » et « croit qu’il peut berner tout le monde ». Il est aussi accusé « d’avoir la mémoire courte » et « d’être dégueulasse », « ridicule » et de « se tromper grossièrement avec ses palabres ». Mais au moment de l’écriture de ces lignes, c’est le statu quo qui prévaut dans un contexte où Jean-Michel Lee Shim n’a personnellement pas pipé mot sur le franc-parler retrouvé de Ricky Maingard qui, d’habitude, ne se laisse pas marcher sur les pieds. Attendons voir la suite !

L’autre point fort de cette actualité hippique est sans aucun doute les sanctions qui pleuvent sur la monte suspecte de certains jockeys, même s’il faut s’interroger sur l’ampleur des sanctions auxquelles nous ne sommes pas habitués. De toute évidence, sur la lecture des courses et la conduite légale des enquêtes, le commissaire de la Horse Racing Division Deanthan Moodley semble bien maîtriser son sujet, et les condamnations des jockeys pleuvent et sont justifiées. C’est le jockey Andrews, impressionnant jusqu’ici, qui a payé le plus lourd tribut à ses errements sur Charlie Squadron avec quatre mois de suspension et Padre Pio avec trois semaines de suspension lors de la 16e journée.

Quant au jockey Aucharuz, qui avait miraculeusement échappé au couperet lors de la première journée, il a cette fois écopé de huit semaines de suspension pour sa monte sur Coup For Lute lors de la 14e journée. Notons toutefois que lors de l’enquête initiale, « the Stewards held the view that the configuration of the false rail from the starting stalls to the 900m had played a contributing role in this incident »… Y a-t-il un changement d’attitude de la HRD vis-à-vis de tout ce qui semblait bénéficier d’une bénédiction sans faille des autorités ? En tout cas, la violente sortie du journal de Media Temple à l’encontre de cet organisme qui a refusé une épreuve supplémentaire à People’s Turf PLC semble l’indiquer.

La suite sera très intéressante à suivre, car il semblerait que les cartes soient en train d’être rebattues !

 

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