A qui déclare-t-on la guerre ?

Le scandale Sherry Singh a, cette semaine, continué à déployer son explosion. On peut ergoter à loisir sur le fait que l’ex bras droit du Premier ministre soit, depuis sa démission surprise de Mauritius Telecom le 30 juin dernier, en train de « jouer un jeu » qui semble très maîtrisé, en amenant ses révélations à petite dose, chaque vendredi depuis trois semaines. Dans ce pays où, de plus en plus ces trois dernières années, un scandale semble être généré chaque mois pour en effacer un autre, cette façon de faire monter crescendo la pression sur le gouvernement est très astucieuse.  Cette fois, au terme de l’émission de vendredi soir sur Télé Plus, il est clair qu’on ne parle plus de possibilité qu’une tierce partie ait eu accès au câble SAFE par lequel transitent non seulement nos communications internet avec l’étranger mais aussi celles des autres pays que relie le câble, de l’Afrique du Sud à l’Australie. Cette fois, sur la base d’images de caméras de surveillance, de lettres qui restent malgré tout à être authentifiées, de la démission subséquente du Chief Technical Officer de Mauritius Telecom, il est clairement dit que le 15 avril 2022, des personnes envoyées par le gouvernement indien sont, sur intervention personnelle du Premier ministre mauricien, entrées dans la landing station de Baie Jacotet sur la côte sud-ouest, et sont « intervenues » pendant 2mn sur chacun des 47 liens de ce câble. Soit une intervention totale de 94 minutes, qui correspondrait non à un « survey » comme annoncé par le Premier ministre mais bien à du « sniffing », soit l’interception de données.

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Aujourd’hui, l’accusation est claire, Alors on fait quoi ?

Au-delà des autres scandales qui n’ont cessé d’émailler le primeministership de Pravind Jugnauth depuis 2019, celui-ci est d’une toute autre portée. Car il concerne la loyauté d’un Premier ministre à son pays, il concerne une question de dépendance/ingérence d’un autre pays dans les affaires nationales, il concerne la fiabilité/faillabilité de notre pays face à d’autres pays partenaires.

Il est évident que l’Inde de Modi a pris une place de plus en plus importante ces dernières années dans les affaires de notre pays. Agaléga en témoigne : avec la construction par l’Inde d’une piste d’atterrissage presque aussi longue que celle de Maurice sur une île de 350 habitants, et d’installations portuaires conséquentes, il est évident qu’il y a anguille sous roche. Et que Maurice est devenue un maillon, important, de la stratégie militaire de l’Inde pour contourner l’encerclement de l’océan Indien que la Chine orchestre de son côté avec la prise de contrôle de divers ports à travers sa nouvelle route de la Soie. Ne nous y trompons pas : aux 18ème et 19ème siècles, Maurice était l’objet de convoitises, et de batailles, entre la France et l’Angleterre parce qu’elle était un point névralgique de relâche pour les bateaux sur la fameuse route des Indes qui a permis à l’Europe de s’enrichir. Aujourd’hui, nous sommes à nouveau un point névralgique dans une guerre géo-stratégique qui met en scène deux nouveaux protagonistes. Et Maurice a clairement choisi son « camp », ce dont témoigne amplement le fait que les installations indiennes en cours à Agaléga se font en vertu d’un accord que les deux gouvernements s’obstinent à garder secret, tout en affirmant qu’il n’y a là rien d’anormal…

Aujourd’hui on se rend compte que Maurice pourrait aussi être embarquée dans quelque chose d’encore plus insidieux, qui a trait à l’espionnage, l’interception et la manipulation des télécommunications. Et cela devient sinistre quand on prend en compte une enquête du media en ligne The Wire qui a révélé au début de cette année, au terme de deux ans d’enquête, que le BJP, parti de Narendra Modi, utiliserait un logiciel baptisé Tek Fog, qui lui permettrait ni plus ni moins d’orienter et de détourner la communication sur les réseaux sociaux, soit de manipuler les tendances populaires sur les réseaux ; d’orchestrer des campagnes de haine, de diffamation ou d’insulte ciblées contre des catégories d’individus ; et d’utiliser illégalement des comptes WhatsApp pour diffuser sa propagande sans laisser de traces.

A la base de cette enquête, l’analyste de données Devesh Kumar et l’analyste en sécurité Ayushman Kaul affirment que cette application « permet de décider quelles conversations et thèmes deviendront “populaires” sur Twitter et Facebook, en inondant ces réseaux de messages envoyés par des comptes “temporaires” créés automatiquement». Ce qui contourne donc toutes les mesures de sécurité et de double vérification mises en place par ces compagnies, et permet au BJP de manipuler un discours public apparemment «libre et indépendant» sur les réseaux et de retourner l’opinion, commente le journal Libération.

Ce fonctionnement rappelle celui utilisé par le logiciel israélien Pegasus, au cœur d’un retentissant scandale rendu public l’an dernier. Mais selon Devesh Kumar, Tek Fog serait encore plus dangereux.

A cela s’ajoute une autre info, à l’effet que le gouvernement mauricien, à travers un amendement à une réglementation tombant sous l’Information and Communication Technologies Act, vient d’accorder à l’Inde une importante exemption. Qui permet au  Haut-commissariat de l’Inde à Maurice d’importer des équipements informatiques ou de télécommunications sans passer par les procédures imposées aux autres importateurs de matériel de ce genre. Cela en lien avec « le protocole d’accord signé, le 11 mars 2015, entre le gouvernement de la République de Maurice et le gouvernement de la République de l’Inde pour l’amélioration des facilités de transport maritime et aérien à Agalega ».

Cela fait beaucoup, non ?

A défaut d’apporter des réponses à toutes ces questions cruciales et urgentes, le gouvernement de Pravind Jugnauth tente maladroitement de détourner l’attention en s’escrimant à instrumentaliser un commentaire de Joanna Bérenger sur sa page Facebook. Certains peuvent estimer que la jeune et dynamique députée MMM a joué d’imprudence en juxtaposant une ancienne expression créole à une photo du Premier ministre se recueillant lors d’une cérémonie religieuse hindoue. Qui connaît un peu le fonctionnement de ce gouvernement se douterait bien qu’il utiliserait cela à fond pour faire du « Manz bondie kaka diab » une expression qui viserait supposément la communauté hindoue et sa religion, et non une façon imagée de parler des hypocrites qui, toutes religions confondues, se cachent derrière une fausse sainteté pour couvrir leurs sinistres pratiques.

La question aujourd’hui est de savoir si la communauté mauricienne se laissera prendre à ce jeu malsain. Si parce qu’elle est issue de la communauté dite blanche, une députée n’a pas le droit de dénoncer l’hypocrisie d’un Premier ministre sans se faire traiter de « raciste » sur des banderoles brandies sans que notre chère police juge bon d’intervenir.

La question fondamentale aujourd’hui est de savoir si la vérité a une communauté. Si dénoncer une pratique dangereuse pour nos intérêts civiques et nationaux revient à être anti-hindou. Si être hindou revient à justifier et cautionner tout, même les pratiques frauduleuses, qui viendraient de personnes de la même communauté et du pays de ses ancêtres. Si être d’une ancestralité particulière, aujourd’hui, à Maurice, implique d’adhérer à et de soutenir tout ce que fait le gouvernement du jour de ce pays.

La question est de savoir, en tant que population, ce que nous allons décider de faire.

Comment allons-nous, collectivement ou fragmentés, traiter l’urgence d’un pays où un Premier ministre détenant déjà trop de pouvoirs, dont celui de négocier une partie de notre territoire commun tout en gardant la chose « secrète », vient encore cette semaine de s’arroger le pouvoir de destituer qui il veut de la nationalité mauricienne acquise par résidence ou mariage. Cela sans avoir à donner une quelconque justification.

La question est de savoir si nous voulons d’un maharadjah ou d’un roi, quel qu’il soit. Ou si nous voulons nous battre, ensemble, pour une authentique démocratie…

 

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