Anxious and Angry…

Jusqu’où la partisanerie politique prendra-t-elle le pas sur l’urgence d’une mise en commun de toutes les compétences et ressources en vue d’agir, concrètement, contre le délitement de notre monde ? Où s’exprimera la rage de l’impuissance ?

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“I know people everywhere are anxious and angry. I am, too.”
Ces mots pourraient être prononcés par beaucoup d’entre nous en ce moment.
Ici, en l’occurrence, ils sont repris en écho de ceux prononcés par nul autre que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lors de la présentation du dernier rapport du GIEC.

Pour l’occasion, il a utilisé des mots très forts, que l’on ne s’attend pas forcément à entendre venant d’un haut officiel de ces organismes plutôt connus pour pratiquer le langage dit « diplomatique ». Antonio Gutteres a en effet dénoncé en termes sans équivoque l’« abdication criminelle » des dirigeants mondiaux dans la lutte contre le réchauffement. « I’ve seen many reports, but nothing like the new IPCC CH climate report, an atlas of human suffering and damning indictment of failed climate leadership. I know people everywhere are anxious and angry. I am, too. It’s time to turn rage into #ClimateAction ».

Pourtant, ces dernières semaines, c’est davantage la rage manifestée par Wil Smith sur la scène des Oscars qui a occupé la une de l’actualité. Alors même, font ressortir certains, que l’on apprenait qu’il fait +30°C par rapport à la normale en Arctique et +40°C en Antarctique, et que l’Amazonie est sur le point de devenir une savane…
En août 2021, le premier volet du rapport du GIEC tirait déjà très fortement la sonnette d’alarme, en se focalisant sur la compréhension du climat, de son fonctionnement et de ce que l’on désigne sous l’appellation de changement climatique.

Ce nouveau rapport paru en février dernier est lui consacré d’une part aux impacts du changement climatique, ceux qui sont déjà observables et ceux à venir. Mais il s’attache aussi, d’autre part, aux adaptations nécessaires ou possibles pour lutter contre cette crise qui n’est plus seulement annoncée mais déjà en cours. « Près de la moitié de l’humanité vit dans la zone de danger – aujourd’hui et maintenant. De nombreux écosystèmes ont atteint le point de non-retour – aujourd’hui et maintenant » a insisté le secrétaire général de l’ONU.

C’est un fait : la température dans le monde a déjà augmenté de 1,09 °C depuis l’ère préindustrielle (datée à environ 1850-1900). Et il ne s’agit plus de menaces possibles ou probables : les effets du changement climatique sont en effet de plus en plus évidents.  « Depuis les premiers rapports du GIEC, les preuves se sont renforcées : notre monde se réchauffe et les changements climatiques dangereux ainsi que les événements extrêmes ont un impact croissant sur la nature et la vie des gens partout dans le monde », rappelle le GIEC. Et les conséquences, sur les populations, les écosystèmes et la nature, sont plus graves, plus nombreuses et plus rapides que ce qui était attendu auparavant.

Au niveau humain les conséquences du réchauffement climatique touchent déjà de 3,3 à 3,6 milliards de personnes habitant dans des contextes « très vulnérables ». Et cela nous concerne directement ici à Maurice. Le dernier rapport du GIEC affirme ainsi que les zones côtières seront encore plus directement menacées dans les années qui viennent.
Pas de catastrophisme toutefois : le GIEC insiste sur le fait que tout n’est pas encore joué : « si l’on prend des mesures immédiates, il est encore possible d’éviter des conséquences dramatiques. Nous avons les connaissances et les outils nécessaires », insistent les scientifiques.

Le rapport présente ainsi un ensemble de solutions sous l’appellation de « développement climatique résilient ». Il met ainsi en avant la protection et la restauration des écosystèmes, insistant sur le fait que « les risques climatiques pour les personnes peuvent être réduits en renforçant la nature » (par exemple en restaurant le cours naturel des rivières, en verdissant les villes, en diversifiant les cultures,…).

Mais si certaines mesures sont prises par certains pays, cela reste largement insuffisant. « Au rythme actuel de planification et de mise en place de l’adaptation, l’écart entre les besoins et ce qui est fait va continuer à grandir ». Et cet écart s’explique notamment par « le manque de financement, d’engagement politique, d’informations fiables et de sentiment d’urgence ».

Mais pourquoi donc n’agit-on pas de manière plus déterminée pour contrer cette menace devenue réalité, et qui va rapidement devenir réalité aggravée ?

Peut-être parce que jusqu’ici, ce sont les populations les plus vulnérables qui sont le plus touchées par les conséquences de la crise… Celles qui n’ont pas voix au chapitre. Et cela ne va pas s’arranger. Car le rapport du GIEC montre aussi que le réchauffement climatique accroît les inégalités.

Inégalités entre diverses régions du monde. Ainsi, bien que l’Afrique soit l’une des zones qui contribuent le moins aux émissions de gaz à effet de serre, elle subit de façon décuplée les conséquences de la crise climatique. Le rapport du GIEC met par exemple en avant que la croissance de la productivité agricole a été réduite de 34 % depuis 1961 en raison du changement climatique, plus que dans toute autre région du monde. Et la réduction de la croissance économique a augmenté les inégalités entre le continent africain et les pays de l’hémisphère nord.

Intéressant, à ce titre, de noter que le rapport du GIEC évoque le colonialisme comme un facteur de non-soutenabilité. Mettant en avant que les causes profondes de la vulnérabilité sont en partie liées aux contextes politiques, économiques et sociaux, à la fois actuels mais aussi hérités. D’où l’importance, pour comprendre les inégales capacités d’adaptation de certains Etats, de prendre en compte à la fois les inégalités actuelles mais aussi les héritages, notamment ceux découlant de la période coloniale.

Au-delà, ce sont des schémas croisés qui expliquent que la vulnérabilité des écosystèmes et des populations au changement climatique varie considérablement d’une région à l’autre, mais aussi au sein d’une même région, sous l’effet de schémas historiques et permanents d’inégalité tels que le colonialisme, mais aussi la gouvernance.

La gouvernance justement. Parlons-en.

Alors même que le rapport du GIEC affirme le rôle capital de la justice sociale dans l’adaptation au changement climatique, l’actualité ne cesse de nous montrer à quel point nos gouvernants semblent déterminés à aller dans le sens totalement contraire. En ridiculisant toute velléité de bonne gouvernance, alors que l’urgence de la situation nous en montre l’absolue nécessité. En s’appropriant jusqu’à l’indécence des ressources qui devraient servir au bien commun.

Qu’on ne s’y trompe pas : au-delà du Covid et du conflit armé entre l’Ukraine et la Russie qui ne cesse de dégénérer, au-delà des problèmes d’augmentations de prix en cascade dont nous souffrons déjà, la question du réchauffement climatique va bientôt devenir insoutenable si nous ne nous attelons pas, rapidement, à y apporter des solutions. Et cela implique une collaboration entre toutes les forces à l’intérieur de chaque pays et région. Et entre les Etats du monde.

C’est pourtant tout à fait le contraire que nous voyons. Chez nous, deux ministres se sont fait huer et ont eu recours à l’exfiltration policière cette semaine après qu’ils se sont mis en tête d’animer une réunion dans une région fortement touchée par les récentes inondations sans y inviter les conseillers du principal village concerné. Et ceux-ci ont par la suite été menacés de graves représailles, eux et leur famille. Si l’obsession de la partisanerie continue à prendre le pas sur la nécessité de collaboration, nous sommes très mal barrés.
Quand au niveau mondial, les crispations se développent de plus en plus en guerres qui remettent totalement en cause toute possibilité de coopération internationale.

Oui, à travers le monde, nous sommes anxious and angry.
La question étant de savoir où cette « rage »-là va trouver à s’exprimer si on continue à lui nier la possibilité de se canaliser dans l’action en direction du changement…

Shenaz Patel

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