Arvin Boolell : « C’est clair qu’il y aura des étincelles »

Arvin Boolell, vous êtes suspendu du Parlement jusqu’au 11 avril. Quel est votre sentiment de rester sur la touche pour cette reprise du Parlement ?

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Il y a d’abord un sentiment de dégoût envers le régime. Ensuite, il faut savoir que cette décision est une décision arbitraire, car je me suis plié devant les règles du standing order. J’ai eté named pour des raisons inacceptables et qui vont à l’encontre de la démocratie parlementaire. Le Parlement n’est pas un monastère, et d’après les provisions des standing orders, nous avons le droit de nous exprimer. J’ai fait mon travail pour le bien du Parlement. Ce qui me fait chaud au coeur, c’est le soutien indéfectible que j’ai de toute l’équipe parlementaire face à cette injustice. Malheureusement, je dois me plier devant les agissements du Speaker et du Leader of the House, mais on revient en force mardi, et toute l’équipe parlementaire sera devant le Parlement pour me soutenir en attendant le 11 pour que je puisse faire ma rentrée.

Vous attendiez-vous à un geste du gouvernement pour une réintégration dès l’entame de la nouvelle session ?

C’est le Premier ministre qui a présenté la motion. Connaissant le Leader of the House et la façon de faire du Speaker, je ne peux pas m’empêcher de tirer des conclusions qu’il y a une collusion. Toutefois, le Speaker a dirigé une délégation de parlementaires à la conférence de l’International Parliamentary Union, j’espère qu’il a pu tirer des leçons du bon fonctionnement de la démocratie parlementaire. Je lui laisse le soin de prendre sa décision. Est-ce qu’il y a un changement de mentalité, je ne saurais le dire. Mais à la lumière de ce que le Premier ministre a dit par rapport au DPP et la magistrate de Moka, je ne m’attends pas à grand-chose. Et si le leader de l’opposition à travers la presse samedi a exprimé une demande pour que je sois réintégré dès ce mardi, je ne pense pas que cela va arriver.

Vous êtes un des parlementaires ayant connu le plus grand nombre de suspensions du Parlement. À qui la faute ? À vous ou au Speaker ? Ou est-ce une stratégie pour vous empêcher de parler, de questionner et de dénoncer ?

Quand j’étais leader de l’opposition, j’ai posé des questions très pertinentes, dont celles relatives à la St Louis Gate, par exemple. Et le Premier ministre n’a également pas apprécié les questions par rapport à l’affaire Angus Road. Depuis que je suis au Parlement, je fais mon travail comme il le faut. J’ai connu différents Speakers et je sais comment ils font leur travail, même ceux dont on avait la perception qu’ils étaient pro-gouvernement. Malheureusement, avec ce Speaker-ci, trop c’est trop ! Et le trop nuit. Je ne suis pas la seule victime à subir les foudres du Speaker, et cela entrave la bonne marche du Parlement et c’est la démocratie parlementaire qui prend un rude coup. Plusieurs parlementaires ont été named et au final, le peuple a décidé de shame le Speaker.

Vous siégez au Parlement depuis 1987, avec une parenthèse d’une législature entre 2014 et 2017. Comment comparez-vous le Parlement du jour à celui du temps d’avant ?

J’ai eu une rencontre la dernière fois avec Mme Hanoomanjee, qui a été elle-même Speaker. Je ne dévoilerai pas le contenu de la conversation, mais il y a une chose qu’elle a dite et que j’apprécie énormément, c’est la façon dont le Parlement est présidé et qui aurait dû être autrement. Si cela vient de Mme Hanoomanjee, qui a elle-même été très critiquée, elle sait de quoi elle parle. Je sais qu’elle a dû subir les pressions du Leader of the House à l’époque, qui était d’ailleurs Pravind Jugnauth. Je sais qu’elle a résisté, persisté et signé pour dire que la séparation doit être palpable et tangible, et qu’il ne faut pas que l’arme politique de l’exécutif ait une mainmise sur la fonction de la présidence. Malheureusement, avec Pravind Jugnauth, les choses se font différemment. S’il n’a pas hésité à une réunion avec les décideurs d’une certaine communauté de critiquer le DPP, qu’est-ce qu’on peut attendre du Leader of the House au Parlement ?

Qu’attendez-vous de cette première session parlementaire 2023 ? La même rengaine des sessions précédentes avec des échanges de mots doux, des expulsions, ou de vrais débats de fond sur des sujets de brûlante actualité ?

Les questions qui sont à l’ordre du jour sont des sujets d’actualité que nous avons évoqués lors des conférences de presse ou dans les médias. C’est clair qu’il y aura des étincelles. Il n’y aura pas de shadow boxing. L’opposition est dans un fighting mood et on attend les réponses. J’espère que le mode bias ne va pas prévaloir au sein de l’hémicycle. Aujourd’hui, la transmission des travaux parlementaires se fait en direct et la population peut tirer ses conclusions. Pour la bonne marche de la démocratie, nous attendons des réponses précises, car le peuple est inquiet quant à la séparation des pouvoirs. Le pays a été condamné par V-Dem, la Banque mondiale et d’autres institutions, le pays souffre d’une crise aiguë. Cette rentrée va être une rentrée palpitante, et j’espère que le président de la séance aura une prise de conscience et qu’il va agir pour la démocratie parlementaire. Est-ce que je demande trop ? Je laisse le temps au temps. Mais il ne faut pas laisser trop de temps passer.

Cette rentrée parlementaire pourrait être la dernière du deuxième mandat de Pravind Jugnauth comme Premier ministre, avec à la clé des élections législatives anticipées avant juillet au lieu des municipales. Anticipez-vous un tel scénario ? Est-ce que le trio PTr-MMM-PMSD est prêt à cette éventualité ?

Il faut toujours être prêts à toute éventualité en politique. Je ne parle pas de prepare for the worst and look for the best, mais il faut toujours être prêt et répondre à l’attente de l’électorat. On ne sait pas ce qui va se passer, quoiqu’on dise toujours que lorsqu’un chef du gouvernement voit sa popularité en chute libre, il peut décider autrement. Il peut dissoudre le Parlement en 2024 et les élections peuvent avoir lieu en 2025. Mais cette colère de la population, même si elle ne se manifeste pas, est palpable et tangible. Alors, attention ! Je ne parle pas d’un volcan social, mais il y a une crise sociale et les gens en ont marre. Il ne faut pas oublier que ce gouvernement représente officiellement moins de 36% de l’électorat. Ce gouvernement ne jouit pas du soutien de la population. Je crois que la population est prête et la pression viendra davantage une fois que l’entente de l’opposition se concrétisera et deviendra une alliance, et qu’on crée cette plateforme le 1er mai, tout en espérant élargir cet espace pour accueillir d’autres leaders de partis politiques. La population veut un programme, un gouvernement interactif qui va répondre à son attente pour une véritable île Maurice à l’ère républicaine.

Vous évoquez la plateforme du 1er mai et l’ouverture à d’autres partis, d’autres leaders. C’est quelque chose d’officiel que vous dites là ?

Il ne faut pas occulter cette réalité. Aujourd’hui, l’électorat a soif d’une nouvelle ère, d’une bouffée d’air frais, et nous nous devons pouvoir répondre à cela en termes d’un nouveau paysage social, économique et politique. Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous sont à l’apogée de leur carrière politique, et ce qui est important c’est ce qu’on va léguer. Il ne faut pas se dire après nous c’est le déluge. Nous avons une obligation morale, légitime, c’est à nous de prendre le relais et de donner au peuple ce qu’il recherche.

Que pensez-vous de la violente sortie du PM à Surinam contre le magistrat et le DPP dans la libération sous caution de Bruneau Laurette ?

D’une part, ce qui est triste, c’est la façon que l’arme politique de l’exécutif a essayé de manipuler le commissaire de police. C’est une manipulation inacceptable. Et on se demande : est-ce que le commissaire de police est si vulnérable ? Pourtant, il occupe un poste constitutionnel. D’autre part, je pense que, psychologiquement, le Premier ministre est abattu et donc, il devient très revanchard. Il a piqué une crise alors qu’il s’entretenait avec quelques membres de la communauté musulmane qu’il rencontrait sans que ses ministres de la circonscription ne soient au courant. Et il a dit des bêtises. Tout le monde a été choqué d’entendre ses propos dans lesquels il remet en cause la séparation des pouvoirs. Il y a aujourd’hui des évidences et he cannot tamper with the evidences. À mon avis, la cheffe juge et la présidente de la Judicial & Service Commission ne doit pas garder le silence. Mais également le président, qui est à la tête de l’exécutif. En tant que chef d’État, il a des pouvoirs accrus obtenus avec l’amendement de la Constitution en 2003 et il doit agir. C’est vrai qu’il est nommé par une majorité simple, mais on ne peut pas le destituer. On attend qu’il assume ses responsabilités et qu’il rappelle à l’ordre le Premier ministre. Est-ce qu’il aura le courage de le faire ? De même aujourd’hui que le DPP dispose des sound evidences. Lui non plus ne peut pas garder le silence. Il faut briser ce silence. Les gens qui maîtrisent la Constitution, la loi, ont dit qu’il y a contempt of court. La séparation des pouvoirs est importante. La ligne de démarcation doit être claire et nette. Heureusement qu’il y a des gens comme nous dans l’opposition et d’autres encore qui peuvent parler haut et fort. Maintenant, c’est aux institutions et à ceux qui sont à la tête de ces institutions d’assumer leurs responsabilités. Soit ils valorisent l’état de droit, soit ils se laissent berner par celui qui est à la tête du gouvernement.

La grande majorité des institutions et leurs dirigeants se comportent en asservis du pouvoir et couvrent leurs excès ou ceux de leurs chatwas… Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Lord Acton a dit : « Power corrupts and absolute power corrupts absolutely. » Nous sommes dans cette situation où tout est mercantilisé. Malheureusement, on oublie les valeurs qui nous ont été transmises par les tribuns. Je dis toujours à ceux qui font leur entrée en politique qu’il ne faut pas se laisser berner et attendre que la manne tombe du ciel, que demain ils seront députés, auront de grosses voitures, etc. La politique c’est un sacerdoce. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, malheureusement, font du mafia politics et du moneypolitics. Ils peuvent avoir recours à n’importe quoi, surtout quand on pense à ce qui est arrivé à une personne qui était très proche d’eux, qui était un agent politique et pour qui, comme établi par la cour, il y a eu murder ! Le pays mérite mieux et the sooner the guys go, the better for the democracy.

Ça a aussi été, dans une moindre mesure peut-être, le cas par le passé pour le pouvoir PTr. Que promet de faire l’alliance de l’opposition pour enrayer cette pratique qui pourrit la démocratie, mine l’égalité des chances et encourage les passe-droits et surtout les magouilles ?

Nous avons fait des erreurs, mais nous n’avons jamais prêché l’excès. Aujourd’hui, c’est l’excès excédentaire. There are lessons to learn and lesson to be drawn. Parallèlement toutefois, c’est nous qui avons introduit la loi sur l’Equal Opportunities. Il y a le Public Appeal Tribunal… Aujourd’hui, il faut ne pas simplement des lois, il faut une mise en application de ces lois. J’ai dit plus tôt que beaucoup d’entre nous avons atteint le summum de notre carrière politique et ce qui est important, c’est ce que nous allons léguer. Je suis un père et un grand-père. Je pense à l’avenir de ces jeunes, de ces enfants. Je crois fermement en cette jeunesse qu’il faut encadrer. Pour cela, il faut la transparence et l’accountability doit être de rigueur. Et ce n’est pas seulement l’affaire de l’État, du gouvernement, mais de tout un chacun. Aujourd’hui, c’est triste de dire que tout est mercantilisé. Regardez ce qui se passe en Angleterre, avec un ancien Premier ministre qui doit paraître devant un priviledge committee présidé par un membre de l’opposition, car il a breached les restrictions durant le Covid. C’est cela la démocratie. Est-ce que cela va arriver à Maurice ?

Arvin Boolell, votre parcours et votre expérience en politique ont marqué positivement votre vie, et vous voulez rempiler à presque 70 ans. Qu’est-ce qui vous motive ? N’est-il pas temps de faire la place à un autre ?

Je suis là pour partager mes expériences. Je sais quand je dois me retirer. J’ai certaines ambitions et je crois que c’est le vœu de l’électorat également. Je ne vais pas me retirer sur la pointe des pieds, mais par la grande porte, et avec la bénédiction de tout un chacun. J’ai une carrière riche, car je prône une politique de proximité. Je suis à l’écoute. Si je ne vois pas les gens, je me sens mal. Bien sûr, si je pouvais faire tout ce que les gens attendent de moi, j’aurais été un peu le lesser God. Je peux dire que je vais tirer ma révérence au bon moment.

Vous parlez du vœu l’électorat et de vos ambitions. Quelles sont-elles exactement pour être clair ?

Pour être clair… Qu’est-ce qui m’empêche d’être Premier ministre de ce pays si c’est le vœu de l’électorat ? Je ne dis pas que ce sera aujourd’hui ou demain, mais le vœu de l’électorat doit être respecté. We are all on the learning curve. Je suis modeste et je ne dirai pas que je suis une grande lueur ou avec un effortless sens of superiotity. Nous sommes là pour acquérir, pour apprendre et partager. Cela a été ma façon de faire et je demande au Bon Dieu de garder ces valeurs qui m’ont été transmises par les parents.

Et cette ambition, vous la souhaitez au sein du PTr ?

Je suis le PTr, je respire le PTr. Je fais tout pour transmettre les valeurs du PTr. Il y avait une causerie animée par le Pr Harmon récemment et on m’a demandé si avec le départ des grands tribuns le PTr s’est dévié de ses valeurs ? J’ai répondu non. Il y a eu des erreurs de parcours, mais les valeurs sont là. Le signal que j’envoie à mes amis c’est que le PTr reste. Nous, nous sommes de partance, et il faut consolider ce PTr, car le PTr n’appartient pas à une famille ou à un groupe ethnique, mais c’est le sacerdoce de toute l’ile Maurice. Je ne demande pas de faveur. Je demande une certaine justice et j’espère que cela va se faire. Ce n’est pas une demande excessive. J’ai appris à prendre l’ascenseur du PTr, je l’ai fait de bonne foi et j’ai connu de grands moments et de petites intempéries. C’est la vie. Et la vie d’un politicien, c’est vivre et laisser vivre, tout en faisant passer son message et sa façon de faire.

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