Ça va chauffer…

Ça va chauffer, ici, à Maurice.
Parce qu’un verrou a sauté.
Certains appellent ça ouvrir la boîte de Pandore. Une expression qui a peut-être fait son temps. Allusion à un épisode de la mythologie grecque, elle se réfère en effet à Pandore, première femme de l’humanité créée par Héphaïstos et envoyée sur Terre par Zeus pour punir l’humanité après que Prométhée eut volé le feu au profit des humains.
Les dieux de l’Olympe confient à Pandore une jarre qu’elle ne doit en aucun cas ouvrir. Mais bien sûr, Pandore, curieuse, ouvre la jarre qui renfermait tous les malheurs du monde : la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, l’Orgueil s’abattent sur les hommes qui vivaient jusque-là heureux… Une façon assez misogyne, dirait-on aujourd’hui, d’indiquer, comme pour Eve, que la femme serait à l’origine de tous les maux de l’humanité…
Pour nous, à Maurice, on pourrait lui préférer l’image de la boîte de cirage qu’on détaque.
D’aucuns diront que cela a toujours existé à Maurice : cette conviction qu’il fallait se rapprocher des puissants du jour, leurs cirer les pompes, pire leur lécher les bottes, pour avoir la chance « d’arriver ». Obtenir une bourse, un job, un contrat, une position, se faire une place, compter. Oui, toujours, bien avant l’avènement d’internet, il a importé, chez nous, d’être bien « connecté ».
Reste qu’au cours de ces dernières années, cette constante semble avoir pris des proportions inégalées. A mesure que le MSM, depuis 2014, a assis son emprise sur le gouvernement. L’assurance, pour ne pas dire l’arrogance du pouvoir, a manifestement fait gonfler les gourmandises jusqu’à la gloutonnerie, forts de l’assurance du verrouillage de toutes les instances cruciales placées sous le contrôle de proches. Jusqu’à ce que la panse explose. Et c’est bien ce qu’expose en plein jour l’affaire Kistnen. Comment un agent politique proche du ministre du Commerce et du Premier ministre a joué le jeu de l’octroi et de l’obtention de juteux contrats publics, pour menacer de révéler toutes les combines lorsqu’il a estimé que son appétit n’était plus suffisamment satisfait.
Du coup, oui, c’est la boîte de cirage qui se détaque comme on décapsule une grenade, en faisant rejaillir partout de quoi maculer le gouvernement tout entier. Et l’on se rend compte qu’on a franchi un cap, pas seulement dans l’ampleur des faits révélés, mais aussi parce que le contrat du silence semble avoir sauté du même coup. Jusque-là, on considérait que personne n’avait intérêt à prendre le risque de se griller dans un aussi petit pays où le pouvoir politique contrôle tout. Mais la carbonisation de Soopramanien Kistnen en octobre dernier semble avoir été un détonateur. Du coup, les « affaires » pleuvent.
Et il sera important de voir ce que fera la police.
Au-delà de banals communiqués, il faudra que le commissaire de police se rende compte de l’ampleur du soupçon qui pèse sur l’institution essentielle qu’il dirige. Entre l’ex-commissaire de police reconverti en commissaire des prisons aujourd’hui traduit en Cour sous une accusation d’avoir facilité l’octroi d’un passeport à un trafiquant de drogue. La mort de Soopramanien Kistnen hâtivement classée comme suicide alors que de nombreux éléments pointent vers un meurtre. Un homme lynché et les images de son corps nu et ensanglanté diffusées sur les réseaux sociaux, sans que personne ne soit arrêté, alors même que l’homme a dénoncé ses agresseurs, réputés proches du pouvoir. Des gros bras connus qui se pavanent devant la Cour la semaine dernière lors de la comparution du ministre Yogida Sawmynaden, proférant des insultes et des menaces à l’égard d’une journaliste sans qu’aucun des policiers présents ne juge bon d’intervenir. Il y a une accumulation de trop de choses pour ne pas craindre un effondrement de la confiance qu’une démocratie devrait pouvoir placer en sa police.

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Ça va chauffer aux Etats Unis aussi.
Où les procureurs fédéraux dressent une évaluation beaucoup plus préoccupante de la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier dernier, affirmant en Cour que les émeutiers avaient l’intention de « capturer et assassiner des élus ». Ils se basent notamment pour cela sur des communications de Jacob Chansley, (l’homme d’Arizona et conspirationniste de Qanon, dont l’image portant des cornes a fait la une), où il affirme son intention de faire payer le vice-président Mike Pence pour « sa traîtrise » à Donald Trump.
Plus encore : ce jeudi 14 janvier a été rendue publique une info à l’effet que de gros paiements en bitcoins ont été envoyés à des activistes américains d’extrême-droite un mois avant les émeutes du Capitole. Il ressort ainsi que le 8 décembre 2020, une personne qui semble basée en France aurait effectué un transfert simultané de 28,15 bitcoins, équivalant à plus de $500 000, à 22 portefeuilles virtuels appartenant à des personnes et organisations d’extrême-droite de premier plan aux Etats- Unis. Qui ont participé à l’assaut violent du Capitole.
Lors d’une conférence de presse mardi dernier, le US Attorney Michael Sherwin a déclaré que cette enquête est d’une envergure et d’une portée sans précédent. Et que les enquêteurs la traitent comme une importante enquête anti-terroriste et de contre-espionnage.
Terrorisme : le mot est lancé, là où on avait plutôt préféré, jusqu’ici, parler « d’insurrection ». Alors qu’il y a dans ce mot le sous-entendu du soulèvement « justifié » d’une population contre un pouvoir qui l’opprime. Et le pire, pour les Américains, c’est peut-être de constater que là où le 9-11 les avait choqués, il leur avait quand même permis de trouver réconfort et force dans le fait que les attaques venaient « d’étrangers » face auxquels la population américaine pouvait se regrouper. Alors que le 1-6 assène le choc d’un terrorisme interne. Perpétré par ses propres concitoyens, peut-être ses voisins. Et que cela s’est manifestement passé avec la collusion de certains éléments de la police…
Ça va chauffer au niveau de la planète.
Cette semaine, l’ONU a alerté sur le fait que nous nous dirigeons vers un réchauffement climatique « catastrophique ». Selon les Nations unies, l’année 2020 a été marquée par un record de chaleur, dépassant légèrement le record de 2016 sur l’échelle des années les plus chaudes dans le monde, malgré le refroidissement provoqué en fin d’année par le phénomène océanique naturel de La Niña. Marquant ainsi en apothéose une décennie de températures record.
Dans une vidéo rendue publique jeudi dernier, la NASA tire la sonnette d’alarme dans le même sens, affirmant qu’en 2020, «nous avons fait l’expérience directe de la façon dont la chaleur s’exprime sur notre planète. Les chaleurs persistantes, les grands incendies, les ouragans intenses et la fonte des glaces que nous avons connus en 2020 sont les conséquences directes du changement climatique provoqué par l’homme ». Et cela devrait s’intensifier au cours de la prochaine décennie, surtout si les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine se poursuivent au rythme actuel.
L’ONU et la NASA se rejoignent pour voir là non un événement isolé et circonscrit, mais «un prélude de ce qui va suivre». Ce que, en créole, nous appelons « enn reklam ». Parce que ce réchauffement va entraîner des crises que nos esprits ne sont même pas capables d’imaginer, disent les scientifiques eux-mêmes. En termes d’extinction de masse, de pandémies, de ruptures climatologiques, d’insuffisances de ressources alimentaires.
“Environmental deterioration is infinitely more threatening to civilisation than Trumpism or Covid-19,” dit le scientifique P. Ehrlich au Guardian cette semaine…
Dans l’histoire de Pandore, un seul des dons donnés par les dieux était resté dans la boîte : l’espoir. Peut-être celui de savoir se mobiliser pour que les pouvoirs, politiques notamment, soient contraints de prendre la mesure de l’enjeu majeur de survie auquel nous sommes confrontés, au-delà de leurs magouilles d’arrière-cuisine…

Shenaz PATEL

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