Catastrophe écologique — Le lagon se meurt lentement

Maurice pleure un de ses plus beaux lagons et un de ses plus beaux îlots. Malgré la grosse mobilisation citoyenne et les démarches des autorités locales et internationales, le mal est déjà fait. Le Wakashio meurtri et telle une plaie grande ouverte, il déverse une grande quantité d’huile lourde dans le lagon, tandis que la faune et la flore se meurent lentement, étouffées sous la marée noire. Un désastre écologique sans précédent qui va au-delà de la région sud du pays. Les experts parlent d’ores et déjà de répercussions étalées sur une dizaine d’années, de niveau de mortalité énorme des espèces vivantes de la région dont les hippocampes, ces petits chevaux de mer qui y ont élu domicile. Seuls le temps et le vent pourraient aider à épargner les sites les plus fragiles, jusqu’à l’heure pas encore touchés. Mais, réalistes, ils se préparent au pire.

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Jacqueline Sauzier (Mauritius Marine Conservation Society) : « C’est parti pour des répercussions sur 10 ans »

« Des répercussions sur 10 ans. » Jacqueline Sauzier, présidente de la Mauritius Marine Conservation Society (MMCS) et secrétaire générale de la chambre d’Agriculture, et son équipe sont en émoi face à la catastrophe écologique que connaît actuellement la région sud-est de l’île. Consciente que les personnes veulent à tout prix aider, elle explique néanmoins qu’il est important d’attendre les consignes des autorités et des professionnels, car il s’agit là de substances neurotoxiques et dangereuses. « Il faut savoir être patients », tempère-t-elle.

« Nous ne sommes pas directement sur le terrain pour le moment et attendons les autorités », nous dit-elle. « On attend avant de pouvoir plonger pour évaluer les dégâts et pour voir comment réhabiliter ce qui reste. » Aux aguets depuis jeudi, son équipe et elle ne peuvent que constater les premiers dégâts qui s’étaleront, elle l’affirme, « sur au moins dix ans. » « C’est une catastrophe environnementale et nous sommes tous en émoi. L’huile lourde ne se déplace pas que dans la coulée que nous voyons, il y a aussi l’hydrocarbure qui coule. » Elle ajoute que la mortalité des espèces vivantes sera énorme, notamment au niveau des mangroves. « C’est une des dernières zones où il y a encore des hippocampes et du seagrass. » De plus, la Mauritius Marine Conservation Society s’inquiète pour le site Ramsar, source de production de poissons, d’alevins et de crabes, entre autres, ainsi que le parc marin de Blue Bay, pour le moment épargnés. « L’huile va pour le moment dans un sens, mais il suffit que le vent tourne pour que tout change. »

« On perd un lieu extraordinaire », regrette-t-elle. Par ailleurs, Jacqueline Sauzier explique qu’il est important de suivre les consignes. « La chose à ne pas faire c’est de marcher dans la zone affectée, car le piétinement va causer plus de dégâts et beaucoup plus graves. Cela va créer un effet d’absorption et le produit va descendre plus loin dans le sol. » Elle soutient que la seule chose que l’on puisse faire, en attendant de « stopper l’hémorragie du vraquier », c’est de continuer la fabrication de housses. « Mais il faut être réalistes, ce n’est pas en un week-end qu’on va tout régler. Il va nous falloir beaucoup de volontaires et sur une longue durée », dit-elle.

Vikash Tatayah (Mauritius Wildlife Foundation) : « La mer jadis turquoise ne l’est plus »

« L’on n’aurait jamais cru voir une telle scène de désolation », nous confie Vikash Tatayah, directeur des conservations de la Mauritius Wildlife Foundation. Directement affectée par le déversement d’huiles lourdes dans le lagon de Blue Bay, l’île aux Aigrettes est la première sacrifiée. D’une superficie de 27 hectares, elle est le refuge de plusieurs espèces d’oiseaux, de reptiles et de plantes endémiques.

C’est une voix fatiguée que l’on entend. Vikash Tatayah et son équipe travaillent depuis deux jours à évacuer des animaux de l’île aux aigrettes, du moins ceux qui peuvent être évacués. Bien qu’ils aient rapidement activé le level 3 pour tenter de gérer la situation, leurs efforts pourraient ne pas suffire si le pire devait se produire à bord du Wakashio. « 12 oiseaux à lunettes et 6 oiseaux cardinaux ont été évacués », nous dit-il. Ces derniers ont été transportés à la volière de Rivière Noire. Les reptiles captifs ont été relâchés. « Nous sommes une dizaine à travailler d’arrache-pied sur l’île, nous avons nos plantes aussi qui sont dans la pépinière et nous ne pouvons les déplacer, car déjà bien ancrées dans le sol », dit-il. Il est à noter que plusieurs tortues et plantes ont été déplacées à la Vallée de Ferney.

Vikash Tatayah a le coeur gros. Ce qui était jadis un sanctuaire pour animaux et plantes endémiques s’apprête à vivre ses pires moments. Les membres de MWF sont dévastés. « L’odeur sur l’île est nauséabonde. En arrivant, nous avons vu des poissons morts et des crabes recouverts de mazout. La couleur de la mer jadis turquoise ne l’est plus. C’est terrible », confie-t-il. Si aucune autre opération d’évacuation n’est prévue pour l’heure, l’équipe de la Mauritius Wildlife Foundation se prépare à toute éventualité et met les bouchées doubles pour éviter la casse, et pour protéger les espèces vivantes sur l’île. « Nous supervisons absolument tout et il faut le dire que nous travaillons dans des conditions difficiles, mais nous le faisons quand même », dit-il.

Arnaud Berthelot (La Vallée de Ferney Conservation Trust) : « Des chauves-souris seront transférées prochainement »

Ferney accueille depuis vendredi une trentaine de jeunes tortues de l’île aux Aigrettes — les plus vulnérables — dans ses volières à Ferney La Vallée. Menacées, les tortues ont été déplacées par la Mauritian Wildlife Foundation. 35 tortues sont également hébergées chez un employé de la Mauritian Wildlife Foundation habitant la région. Des chauves-souris seront également transférées très prochainement. Si la situation empire, les grosses tortues se trouvant sur l’île aux Aigrettes seront transférées à partir d’aujourd’hui, si les conditions météorologiques le permettent. Arnaud Berthelot, General Manager de La Vallée de Ferney Conservation Trust, indique que « dès que la situation s’améliore, nous aurons besoin de plusieurs dizaines de volontaires pour nous aider à nettoyer les éclaboussures d’huile sur les parois coralliennes de l’île aux Aigrettes. » L’appel est lancé !

Thierry Merven (La Compagnie de Beau Vallon Ltée) : « La priorité est de protéger le site Ramsar »

Ils ont été les premiers à fournir de la paille de canne pour remplir les boudins confectionnés par les volontaires depuis minuit, jeudi. Des tonnes et des tonnes de paille de canne. La Compagnie de Beau Vallon Ltée, un des plus grands groupes d’opération de cette partie de l’île employant près d’un millier de personnes, a décidé d’agir pour « éviter une catastrophe sans précédent. » Leur priorité, entre autres, est de protéger le site Ramsar, qui se trouve dans la ligne de mire du Wakashio.

À l’heure où nous mettions sous presse, le site Ramsar, soit une zone marécageuse protégée, qui se trouve derrière de l’hôtel Le Preskîl récemment rénové, n’avait pas encore été touché. Depuis tôt le matin, une cinquantaine d’employés du groupe ont été mobilisés pour confectionner des boudins d’absorption faits de paille de canne et de Sarlon. Des boudins qui seront placés autour du site « pour le moment épargné par la migration de l’huile lourde qui passe devant. » Thierry Merven, Group CEO de La Compagnie de Beau Vallon Ltée, et son équipe travaillent sans relâche depuis des jours pour « sauver un des lagons les plus beaux, dynamiques et vivants de l’île, de par l’abondance des coraux et de la faune diversifiée qui s’y trouvent », et ce, avec l’aide des autorités et des Organisations non gouvernementales. Le groupe a ainsi répondu à l’appel sans hésiter.

En plus du site Ramsar, où poussent des milliers de mangroves, il y a le lagon lui-même, le parc marin de Blue-Bay avec ses jardins d’anémones, l’île aux Aigrettes, sanctuaire protégé, l’île Mouchoir Rouge déjà souillé par le mazout « Nous avons un terrain à Mahébourg, un peu vers la Rivière des Créoles, complètement recouvert de mazout. C’est un désastre écologique sans précédent », nous dit-il. « Nous fournissons de la paille de canne depuis jeudi et nous en fournirons autant qu’il faudra. »

Par ailleurs, Thierry Merven explique qu’un des hôtels du groupe en face du naufrage, l’Astroea Beach Resort, a été mis à la disposition de l’équipe des sauveteurs et reconverti en quartier général depuis jeudi après-midi. Un terrain a aussi été proposé pour les opérations d’hélitreuillage et pour le stockage de tout ce qui sera récupéré sur le vraquier. Le parking du Preskîl fera office d’hélipade pour les allers-retours des officiers. « L’on est déjà directement impactés par ce drame que ce soit au niveau de la pêche, de l’hôtellerie et des loisirs liés à la mer. Déjà que nos hôtels souffraient à cause de la Covid, avec cette marée noire qui s’annonce, l’image de Maurice va être écornée. L’impact économique est aussi bien réel », regrette-t-il.

Louis Thelva (Mahébourgeois) :« On nous a sous-estimés, nous pêcheurs, gens de mer »

« On aurait pu éviter cette catastrophe si on nous avait écoutés, nous pêcheurs, gens de mer. » Louis Thelva a peur. Peur pour son village, pour sa famille et pour « son lagon ». Sans langue de bois, il nous partage sa peine, mais aussi sa crainte quant à la situation actuelle. « Nous connaissons la mer par cœur, je suis né à Pointe d’Esny, je connais tous ses coraux, tous ses courants. Là où le bateau s’est échoué, nous-mêmes pêcheurs nous n’allons pas poser nos casiers là-bas. La mer ici est toujours dangereuse, donc, ce n’est pas une question de mauvais ou de beau temps, mais une question de maîtrise du courant et de la mer », nous dit-il. « L’on avait prévenu les autorités, mais elles n’ont pas voulu nous écoutés. On nous a sous-estimés et pourtant on aurait pu éviter ce désastre. » Louis Thelva ne sait plus quoi penser. « Je crois savoir ce qui va se passer avec l’anticyclone qui approche, j’espère juste que l’on sortira de cette marée noire… azordi mo asizé mo get lamer, zamé mo ti pou atann sa, 40-an mo peser. »

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