Cet argent est à NOUS !

Et voilà. La grande « représentation » du Budget national a eu lieu ce vendredi, cet exercice où le ministre des Finances lit son discours budgétaire sous les « tapages » de table nourris de ses collègues du gouvernement.

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Augmentation de la pension de vieillesse de Rs 1000 et du salaire minimal à Rs 15 000. Et annonce que ceux atteignant l’âge de 18 ans cette année percevront une allocation de Rs 20 000… Il y a des signes qui semblent peu tromper, et ce budget avec avalanche de dotations ressemble bien à un exercice pré-electoral…

Mais nous voilà encore dans cette logique infantilisante qui voudrait nous faire croire que le gouvernement, dans sa grande générosité, nous offre un argent pour lequel nous devons lui être reconnaissants. Ce qui est passer à côté du fait que cet argent, en réalité, est le nôtre. Celui que nous produisons à la force d’un travail qui est une fois de plus peu reconnu, avec un discours qui tend à faire accroire que les Mauricien-nes ne seraient pas assez « productifs ». Sans prendre en compte le bigger picture de tous ces jeunes qui refusent désormais de se laisser utiliser dans un système qui a bâti sa réussite sur une large forme d’exploitation qui se refuse à dire son nom. Sans prendre en compte le véritable exode auquel nous sommes en train d’assister, celui de tous ces jeunes qui choisissent en ce moment de s’expatrier pour le Canada ou l’Australie, où le monde, et pas seulement celui du travail, leur semble plus prometteur.

Le 27 mai dernier, la réalisatrice française Justine Triet a créé la polémique avec sa prise de parole publique. Venue recevoir la Palme d’Or attribuée à son film Anatomie de la chute, elle ne s’est pas contentée de remerciements de circonstance. Son discours a immédiatement pris une tournure très politique, où elle salue en termes sans équivoque le mouvement social qui conteste avec virulence la réforme des retraites en France, qu’elle considère comme une «protestation historique extrêmement puissante ».

« Cette contestation a été niée et réprimée de façon choquante et ce schéma de pouvoir dominateur de plus en plus décomplexé éclate dans plusieurs domaines. Socialement, c’est là où c’est plus choquant mais on peut aussi voir ça dans toutes les autres sphères de la société et le cinéma n’y échappe pas. La marchandisation de la culture que le gouvernement néolibéral défend est en train de casser l’exception culturelle française sans laquelle je ne serais pas là devant vous » a déclaré Justine Triet.

Cette prestigieuse cérémonie célébrant le cinéma international était-elle le lieu pour évoquer des questions de politique française ? Une réalisatrice qui bénéficie de subventions publiques pour ses films peut-elle légitimement tenir un discours critique à l’égard de l’Etat qui la subventionne ? Saluée par la gauche, Justine Triet a immédiatement été prise à partie par la droite et par la ministre de la Culture, qui l’a taxée d’ingratitude. Mais la réalisatrice assume pleinement ses propos. « Je suis dans une situation plus privilégiée, mais je ne peux pas arriver ici en faisant abstraction du monde. Cannes a toujours été le reflet de ça, c’est un endroit où les gens se sont exprimés politiquement. Pour moi, c’était une évidence ».

Ce à quoi fait écho le numéro un du Parti Socialiste, Olivier Faure, qui s’est dit « estomaqué de voir une ministre de la Culture qui pense que, quand on finance un film, on achète la conscience de ses auteurs ».

C’est ce que dénonce aussi l’écrivain Nicolas Mathieu. Sur sa page Instagram, l’auteur du puissant Leurs enfants après eux (Prix Goncourt 2018) écrit ainsi à la ministre de la Culture et à ceux qui attaquent Justine Triet pour ses propos :

« On est quand même accablé de voir des ministres s’offusquer qu’une artiste critique un pouvoir, une politique, un gouvernement. Alors on va rappeler deux trois fondamentaux.

Vous n’êtes pas l’Etat. L’Etat c’est NOUS, peuple de citoyennes et citoyens libres qui se gouverne par votre truchement. Vous critiquer ne remet nullement en cause les institutions.

Vous ne financez pas le cinéma et la culture. NOUS finançons le ciné et la culture via des dispositifs de solidarité collective dont vous n’êtes que les organisateurs temporaires. La main qui nourrit les artistes n’est pas la vôtre. C’est celle de la communauté nationale.

Vous n’êtes pas nos patrons mais les serviteurs du bien public et vous n’avez rien à dire des libertés qui nous appartiennent, que nous avons conquises et que nous exerçons exactement selon notre bon vouloir, parmi lesquelles la liberté de nous exprimer et de vous critiquer.

Votre pouvoir NOUS appartient. Nous vous le déléguons de manière temporaire. Il vous oblige et vous rend responsables devant nous. Vous n’êtes pas l’encadrement d’une entreprise qui n’aurait à répondre que devant le Comité exécutif qui le nomme.”

Des propos qui trouvent aujourd’hui un écho très fort chez nous à Maurice…

Vous critiquer ne remet nullement en cause les institutions dit Nicolas Mathieu. Écho dans notre pays où, ces jours-ci, on est taxé d’antipatriotisme à la moindre critique de l’action gouvernementale, et puni en conséquence à travers tracasseries de tout acabit, administratives, psychologiques, voire policières.

La main qui nourrit les artistes n’est pas la vôtre. C’est celle de la communauté nationale, poursuit Nicols Mathieu.

Écho dans cette île Maurice où le Status of the Artist Bill réclamé depuis des années, finalement présenté en première lecture au Parlement il y a deux semaines, à nouveau mis en attente, confirmé dans le discours du budget comme une faveur gouvernementale, prévoit que le statut d’artiste professionnel sera reconnu par un organisme dont les membres seront nommés par le gouvernement. En d’autres mots, c’est le gouvernement mauricien qui décidera qui, à Maurice, aura le droit d’être considéré comme artiste professionnel, et bénéficier des aides que permettent les taxes que payent l’ensemble des Mauriciens. Quand on sait à quel point ce gouvernement déteste être critiqué, comment il pratique le copinage le plus obtus, comment il ambitionne de contrôler la parole artistique et culturelle, ça promet…

Vous n’êtes pas nos patrons mais les serviteurs du bien public, insiste Nicolas Mathieu.

Écho très puissant, dans ce pays où la notion de service, en politique, équivaut de façon de plus en plus débridée à « se servir ». De postes, de pouvoirs, de terres, de fric. Se servir de façon éhontée, débridée, indécemment frauduleuse.

Votre pouvoir NOUS appartient. Nous vous le déléguons de manière temporaire. Il vous oblige et vous rend responsables devant nous, assène enfin Nicolas Mathieu.

Écho sur-puissant dans notre République où le gouvernement vient d’amender le Local Government Act pour renvoyer encore une fois les élections municipales. A la base, nous avions voté pour un conseil élu pour 6 ans. En 2021, le gouvernement a amendé la loi pour renvoyer les élections en raison de la pandémie de Covid-19, faisant en même temps ressortir que la loi doit être conforme aux principes démocratiques et qu’il devrait y avoir des conditions exceptionnelles pour justifier un renvoi. Or, cette fois, ces élections sont à nouveau renvoyées sous prétexte de « réforme des administrations régionales ». Au final, des conseillers pour élus pour une durée de 6 ans vont donc siéger 10 ans. Avions-nous voté pour cela ?

Chez nous, et à travers le monde, nous sommes de plus en plus confrontés à des pouvoirs dits démocratiques qui prétendent administrer la cité de façon de plus en plus autocratique. Nous plaçant en situation de supposée redevabilité à leur égard. De reconnaissance. De courtisanerie et d’allégeance. De soumission.

A quel moment réaffirmerons-nous que l’Etat, c’est nous, et que l’argent que redistribue l’Etat, c’est nous qui le produisons, alors que même le processus électoral nous est confisqué ?

À quel moment les pouvoirs publics se rendront-ils compte de ce à quoi ils nous acculent ?…

 

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