Corrupteurs de notre jeunesse… Rs 650 000.

Rs 650 000 par mois, c’est 4 ans et demi de travail et de salaires pour ces quelque 30% de Mauriciens qui touchent le salaire minimal de Rs 12 000. Tout cela pour une action anti-corruption plus que minimale. Alors que la corruption se révèle de plus en plus étendue. A côté du gouvernement, qu’en est-il de toutes ces entreprises privées qui affichent en public rigueur et moralisation, mais qui donnent de conséquentes enveloppes pour obtenir des permis afin de mettre en œuvre des « développements » qui défient toute logique environnementale, qui enfouissent notre pays sous le béton, qui nous appauvrissent à leur profit ? Qui sera jugé pour avoir œuvré à corrompre l’avenir de nos jeunes ?

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Oui redisons-le, Rs 650 000, c’est ce que toucherait chaque mois le Directeur général de l’Independent Commission Against Corruption, selon les informations avancées cette semaine par le Leader de l’Opposition.

«La cheffe juge gagne, elle, Rs 219 500, le Directeur des Poursuites Publiques Rs 175 00» a souligné Xavier-Luc Duval. On pourrait dire aussi que le directeur de l’ICAC reçoit chaque mois 54 fois le salaire de ces quelque 30% de salariés mauriciens qui touchent le salaire minimum de Rs 12 000. Oui, en un mois, le DG de l’ICAC toucherait l’équivalent de ce que beaucoup d’employés mauriciens touchent en 4 ans et demi de travail…

On pourrait dire que ce salaire énorme vise à le mettre au-dessus de toute tentation de corruption. Et qu’il le vaut bien…

Mais alors, pourquoi ces tentatives du Premier ministre d’esquiver la Private Notice Question qui lui a été posée à ce sujet par Xavier Duval, de botter en touche, de refuser de répondre ? Alors que c’est lui qui nomme le Directeur, et lui qui approuve son salaire ?

Ce n’est pas la première fois. En 2021, le Premier ministre avait déjà éludé une question du député Rajesh Bhagwan à ce sujet, affirmant «I shall get the information», mais sans suites.

Cette fois, le Premier ministre a déclaré au Leader de l’Opposition qu’il devrait se tourner vers le comité parlementaire, qui inclut des membres de l’opposition et qui serait habilité à poser la question au DG de l’ICAC. Sauf que le comité l’a fait, et que le DG a refusé de lui répondre…

En d’autres mots, verrouillage complet. Le salaire d’un homme payé des deniers publics est, pour le gouvernement, un secret d’Etat.

Et pourtant, il y aurait doublement matière à demander des comptes. Parce qu’au cours de ces cinq dernières années, outre le salaire du Directeur général, la commission anticorruption a coûté aux contribuables mauriciens Rs 1,1 milliard.

Alors qu’entre 2019 et 2022, seulement 14 condamnations ont été obtenues par cet organisme pour des faits de corruption. La plus grosse prise : un pot de vin de Rs 805 000. Le reste ne que de petites affaires de pot-de-vin : de Rs 500 à Rs 13 000 de bribe. 

Tout ça pour ça ?

Visiblement embarrassé au Parlement, le Premier ministre a tenté de sauver les meubles : «Le principal objectif de la commission anticorruption n’est pas d’obtenir une condamnation à tout prix.» Pour lui, les premiers objectifs de l’ICAC sont «l’éducation contre la corruption, mobiliser le public contre ce fléau, receive and consider any allegation that a corruption offence has been committed», et ensuite, détecter et enquêter sur d’éventuels actes de corruption.

Si tout cet argent est consacré à l’éducation contre la corruption, on pourrait ironiser que cela ne semble pas tellement avoir porté ses fruits, tant les cas de corruption se sont ouvertement multipliés ces dernières années.

Avec le Leader de l’Opposition, on peut se demander s’il ne serait pas temps de remplacer l’ICAC par une institution vraiment indépendante, dont le directeur serait nommé par la Judicial and Legal Service Commission, et qui, laissant les petits cas de corruption à la police, consacrerait toute son attention et ses ressources aux gros cas de corruption.

Car il y a à faire…

Et que la corruption qui grève le plus notre pays n’est pas celle qui s’exerce à un niveau individuel pour des sommes de Rs 500  ou 3 000. C’est celle qui s’exerce au plus haut niveau, pour des sommes astronomiques.

Il y a ainsi la corruption qui s’exerce au plus haut niveau de l’Etat.

La semaine écoulée a ainsi lancé dans l’actualité une grosse affaire de corruption alléguée entre Maurice et les Maldives. Dans ce cas, c’est un membre du MDP au pouvoir, Mohamed Nasheed, qui est venu affirmer que l’actuel Président desc Maldives, Ibrahim Solih, aurait pris une somme de Rs 5 milliards du gouvernement mauricien pour, en bref, revenir sur sa position initiale et soutenir la revendication mauricienne sur les Chagos. Saura-t-on jamais la vérité dans cette affaire ? Rien n’est moins probable. Car qui enquêtera sur cette affaire, avec quels moyens ?

Il y a aussi tous ces actes de corruption qui apparaissent année après année dans les rapports successifs de l’Audit. Ces contrats par millions alloués à des petits copains pour des travaux bâclés et des acquisitions frauduleuses. Sans jamais aucune suite. Avant de mourir carbonisé dans un champ de cannes, mort classée par la police comme un suicide avant qu’une commission judiciaire obtenue de haute lutte finisse par conclure au meurtre, l’agent politique Kistnen avait menacé de faire des révélations sur le parti du Premier ministre. Et sur la façon dont des contrats sont frauduleusement alloués par le parti au pouvoir. Où en est cette affaire ? Au-delà, comment espérer qu’une institution dont le directeur et les membres sont nommés par le Premier ministre, et leurs salaires faramineux fixés par lui, enquêtent sur lui et son gouvernement ?

Et que dire du reste ? A côté des corrompus, que dire de tous ces corrupteurs qui ne sont jamais inquiétés ? Si l’on fustige régulièrement le gouvernement, qu’en est-il de toutes ces entreprises privées qui affichent en public rigueur et moralisation, mais qui donnent de conséquentes enveloppes pour obtenir des permis afin de mettre en œuvre des « développements » qui défient toute logique environnementale, qui enfouissent notre pays sous le béton, qui nous appauvrissent à leur profit en nous privant de larges parts de notre patrimoine commun? Qui parle de ceux-là ?

Dans leur essai Résister à la corruption, paru en 2022 chez Tracts Gallimard, Eric Alt et Elise van Beneden écrivent : « Une défiance généralisée des citoyens envers leurs responsables politiques et administratifs pourrait annoncer la fin de la démocratie représentative, transformant les élections en rendez-vous désabusés ».

Pour eux, « La démocratie doit en permanence être protégée et secourue, car elle est confiée à des femmes et des hommes imparfaits, y compris dans leur rapport au pouvoir. Le combat contre la corruption consiste à opposer à cette nature humaine imparfaite un contrôle citoyen intransigeant et à favoriser des contre-pouvoirs vigilants (…). Quelles que soient leurs opinions politiques, les citoyens peuvent prendre vigoureusement et absolument parti pour l’éthique. Ils le peuvent et ils le devraient, car il n’y a pas de bon gouvernement sans exemplarité et pas de société corrompue heureuse ».

Mais les citoyens sauront-ils reprendre le pouvoir ? Les deux auteurs sont convaincus que si ce combat est difficile et incertain, il n’est par perdu d’avance.

Reste à savoir comment ce combat est possible si les citoyens eux-mêmes ne sont pas suffisamment conscients d’être lésés. S’il ne leur est pas possible de bien analyser les tenants et aboutissants. S’ils ne se rendent pas compte que chaque somme détournée au profit de quelques uns dans un acte de corruption représente autant d’argent qui aurait dû être consacré à les loger, à les soigner, à les nourrir. Si ils vivent dans une société où on les a convaincus que l’éthique ne fait pas vivre (« moralite pa ranpli vant »), et que pour y arriver, il faut être « bien connecté », donner « enn dite » ici pour éviter une contravention, un bribe par-là pour avoir un permis, une fausse facture pour une place dans une bonne école, une allégeance aux puissants pour obtenir un poste.

Au final, qui sera jugé pour avoir œuvré à corrompre l’avenir de nos jeunes ?

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