Darmen Appadoo, fondateur de SOS Papa :« A Maurice, les droits des femmes sont mieux respectés que ceux des hommes ! »

Notre invité de ce dimanche sort définitivement des sentiers battus. Il s’agit de Darmen Appadoo, fondateur et principal animateur de l’ONG SOS Papa Ile Maurice. Il a fondé cette ONG en 2007, après avoir vécu un divorce et une garde d’enfants très durs émotionnellement. Dans cette interview réalisée jeudi, Darmen Appadoo soutient qu’à Maurice, les droits des hommes ne sont pas aussi bien respectés que ceux des femmes.

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Pourquoi avez-vous crée SOS Papa île Maurice, ONG qui défend les droits des pères – et des hommes ?
— À partir de mon expérience personnelle. À partir de ma découverte du monde très particulier du divorce et du combat que les papas doivent mener pour obtenir, non pas la garde de leurs enfants, mais tout simplement un droit de visite. En 2000, j’étais marié, ma femme était enceinte et les choses n’allaient pas bien entre nous, pour des raisons que je ne veux pas dire ici, à tel point que j’ai voulu divorcer. Avant, la cour, les bureaux d’avocats étaient pour moi un monde totalement étranger dans lequel j’étais complètement perdu. C’est là que j’ai découvert le monde très particulier du divorce, qui est en fait un business, et les nombreuses procédures payantes pour y accéder. Les avocats me réclamaient en moyenne Rs 15 000 que je n’avais pas. J’ai dû recourir à la legal aid. On m’a donné un avocat commis d’office qui était payé très peu par cas. Il était plus là pour représenter le client en cour que pour le défendre. J’ai compris par la suite que la legal aid n’a pas été créée pour aider ceux qui n’ont pas les moyens de se payer les services d’un homme de loi, mais pour légitimer le système. Enfin, j’ai fini par obtenir le divorce avec raison, et c’est à partir de la que la vraie bataille a commencé.
Pourquoi, puisque vous aviez obtenu le divorce aux dépens de votre ex-femme ?
— J’avais obtenu le divorce provisoire avec une heure de visite de mon enfant chaque semaine, et je croyais que c’était réglé. Au départ, mon ex-femme a respecté l’ordre de la cour, puis l’a accepté une semaine sur deux, puis m’a interdit les visites. C’est alors que j’ai appris que pour faire respecter l’ordre de la cour, il fallait faire appel à un homme de loi, suivre des procédures, remplir des formulaires et aller faire des déclarations à la police pour avoir le droit de voir mon enfant une fois par semaine !
Les hommes de loi ne vous ont pas dit ce qu’il fallait faire, les démarches à entreprendre ?
— Comment voulez-vous que l’avocat commis d’office ait le temps de vous informer et d’entrer dans les détails de la procédure ? Dans le système, personne n’a le temps de vous écouter, de vous orienter, c’est à vous de vous débrouiller, d’apprendre comment essayer de faire face. Dans mon cas, la procédure a duré des mois avant de passer en cour, et mon fils avait déjà deux ans. Quand on est arrivés en cour, à ma grande surprise, mon ex-femme a déclaré qu’elle ne pouvait pas s’occuper de l’enfant et m’a donné la garde. Je n’étais pas préparé, mais j’étais tellement heureux que j’ai accepté et j’ai ramené mon fils à la maison. Mais après, quand il s’est agi de confirmer le divorce, mon ex-femme a changé d’avis, a dit qu’elle ne pouvait pas vivre sans son enfant, dont elle a redemandé la garde et le juge a accepté, sans même m’écouter.
Mais pourquoi ?
— Parce qu’un amendement à la loi dit que la garde des enfants de moins de cinq ans doit revenir automatiquement à la mère et le juge applique la loi, point, à la ligne. C’est la norme qui est acceptée, à moins que la maman soit violente, droguée ou prostituée. Il existe un problème de perception à Maurice dans les cas de divorce : on pense que toutes les épouses sont des victimes et tous les maris des bourreaux ! Selon moi, et de nombreux papas qui sont dans le même cas, cet amendement est anticonstitutionnel, puisque les droits des papas ne sont pas respectés. L’histoire de cinq ans est un attrape-nigaud. Si l’enfant était OK pendant qu‘il était sous la garde de la maman, pourquoi donner la garde à son papa après cinq ans ? C’est à partir de tout ça qu’en 2007, j’ai décidé de créer SOS Papa pour défendre les droits des hommes qui se retrouvent dans ce genre de situation.
Si on vous a bien compris, un papa n’a aucune chance d’avoir la garde de son enfant qui a moins de cinq ans ?
— En partant de mon expérience et de celle de nombreux papas, la réponse à votre question est oui. Pour empêcher un papa d’avoir la garde ou de voir son enfant, des mamans accusent le papa de violence, de harcèlement ou d’attouchement sexuel. Du coup, le papa devient un prédateur à qui tous les droits de visite ou d’hébergement sont systématiquement refusés. Ces accusations/allégations sont prises au sérieux et vont conduire à une affaire en cour qui va durer quelques années pendant lesquelles le papa n’aura pas le droit de voir son enfant. Alors que l’enquête est ouverte et que rien n’est prouvé ou jugé ! Au fil du temps, l’enfant est aliéné, la maman a fait un portait négatif du papa, l’accusant d’être ceci ou cela, et le lui a répété tous les jours. L’enfant finit par avoir peur de son papa, n’a aucun lien avec lui et se range du côté de la maman. C’est un enfant perdu pour son papa.
N’êtes-vous pas en train de généraliser à partir de votre propre cas ?
— Demandez aux papas qui ont vécu la même situation. La plupart des cas, c’est comme ça. Le temps que nous perdons en procédures pour tenter de jouir de notre paternité, d’établir un contact avec notre enfant et de lui donner cet amour que nous avons en nous est un temps perdu. Définitivement. J’ai fait partie des week-end dads, c’est-à-dire que je ne voyais mon enfant que pendant le week-end, si la maman l’acceptait. Et malgré tout cela, je devais payer l’alimony… Pourquoi faut-il imposer sur le papa une alimony alors qu’il ne demande qu’à partager la garde de l’enfant, s’occuper de lui, lui donner son amour, son affection ?
Donc, le système est entièrement en faveur de la maman…
—Et contre les papas, et pas forcément dans l’intérêt des enfants. La loi parle de « the best for the interest of the child », alors que ce sont les intérêts des parents qui sont discutés, à travers leurs hommes de loi, sans que l’enfant n’ait son mot à dire. L’enfant devient un objet de chantage et d’affrontement entre parents, et donc, la parole est rarement entendue en cour, où il n’a pas de représentant. Toutes ces procédures visent à défendre l’enfant, mais ce n’est pas le cas. Ce sont de procédures sans humanité, qui ne prennent pas en considération les besoins de l’enfant, qui a autant besoin de sa mère que son père pour s’épanouir. Nous le disons depuis des années, mais personne ne nous écoute, ne nous croit.
C’est pour cette raison que vous venez d’adresser une lettre ouverte à la cheffe juge, avec copies à d’autres autorités responsables ?
— Nous avons voulu mettre noir sur blanc une série d’observations et de propositions sur les problèmes que les hommes rencontrent quand il s’agit de divorce et de garde d’enfants. Quand un homme comparaît dans une affaire de divorce ou de garde d’enfant, il doit avoir le même traitement que la femme, c’est ça l’égalité. Nous avons aussi voulu attirer l’attention sur le nombre de cas matrimoniaux en augmentation, tandis que le personnel de la justice pour traiter ces dossiers est resté le même et ne peut pas répondre correctement à la demande. J’ai lu dans la presse que la Cour suprême va siéger pour trois jours à Rodrigues et qu’au calendrier il y a 90 cas matrimoniaux. Est-ce que vous pensez qu’un juge aura le temps nécessaire d’écouter ces 90 dossiers en trois jours en donnant à chaque cas et à chaque plaignant ou répondant l’attention qu’il mérite ?
L’institution de la Family Court, réclamée depuis longtemps pour régler les problèmes matrimoniaux, n’a-t-elle pas amélioré la situation ?
— La Family Court est déjà overloaded sous le nombre de cas. Il y a eu une amélioration du système, dans la mesure où les cas ont été centralisés vers cette cour, mais il n’y a que deux juges pour juger toutes les affaires. Je fais une parenthèse pour dire qu’en 2012, suite à une proposition de SOS Papa, il a été accepté que les juges de la Family Court soient un homme et une femme pour montrer qu’il n’existe pas de parti pris. À la Family Court, on n’a pas le temps de faire des débats, d’expliquer en détail, il faut aller au plus pressé, parce que la cour croule sous les dossiers et que le temps est compté. Du coup, on résume pour aller plus vite. On a eu un magnifique bâtiment moderne, mais à l’intérieur on continue à faire comme avant. Il faut aussi savoir que si d’un côté on incite les Mauriciens à faire des enfants à cause de la dénatalité, de l’autre, le système encourage le divorce qui, je l’ai déjà dit, est un big business. C’est l’un des plus gros gagne-pain des avoués et des avocats. Il faut compter entre Rs 15 à Rs 20 000 au départ, et la somme augmente au fur et à mesure qu’il faut suivre d’autres procédures. Selon les chiffres du Bureau des Statistiques, il y a eu plus de 2 000 divorces l’année dernière et le nombre est en augmentation.
Dans votre lettre ouverte, vous avez des mots durs pour les psychologues qui interviennent dans les cas de divorce et de garde d’enfants. Vous mettez en cause leur professionnalisme…
— Il y a eu des cas où des psychologues ont donné des rapports en défaveur d’un papa sans l’avoir jamais rencontré. Je ne dis pas que c’est le cas de tous les psychologues, mais qu’il y en a qui établissent leurs rapports à partir de photos.
Votre lettre ouverte a-t-elle suscité des réactions, des réponses ?
— Aucune. Ni la cheffe juge, ni la ministre du Gender, ni le Premier ministre, ni l’Attorney General à qui j’ai envoyé copie de ma lettre ouverte n’ont accusé réception. La seule à l’avoir fait est l’Ombudsperson for Children. Bien qu’elle fasse bien son travail, je pose une question : pourquoi est-ce que depuis sa création à Maurice, ce poste semble être réservé à une femme ?
À vous écouter, certains pourraient penser que vous êtes anti-femmes ?!
— Ce n’est pas le cas. Je le précise : SOS Papa n’est pas une association de machos. Ce n’est pas un cri de guerre, mais plus un cri de détresse, un appel à l’aide. Je ne me bats pas contre les femmes car, comme tous les hommes, j’ai une mère, des sœurs, des filles qui peuvent être une belle-fille demain. Je dis simplement que le système n’est pas égalitaire. Pourquoi faut-il que le ministre du Gender soit une femme, tout comme la responsable du National Children Council, de l’Adoption Council et du bureau de l’Ombudsperson for Children ?
Vous pensez vraiment que des hommes à ces postes auraient donné un meilleur service ?
— Comment le savoir si on n’a jamais essayé ? Je suis pour l’égalité hommes-femmes dans tous les domaines et secteurs de la vie, plus particulièrement celui de la justice, où dans les cas matrimoniaux, il n’y a pas de traitement égalitaire. Au contraire, il y a souvent du parti pris. Je vous cite le cas d’un homme accusé de violence domestique. Quand il est entré en cour, la magistrate l’a accueilli par ces mots : « Mo tann dir ou kontan bat fam ! » avant même d’avoir écouté les arguments des deux parties. C’est ça l’égalité ?

On a le sentiment que vous pensez que le système — juge, administration, avocat, police — est plus enclin à défendre une femme qu’un homme, que dans les cas matrimoniaux, l’homme est défavorisé au départ…
— Ce n’est pas une impression, mais la réalité. Je ne le dis pas pour dénigrer la cour ou les avocats, mais je vous décris la situation qui existe. Le conseil le plus amical que vous pouvez avoir des autorités, juges, avocats, psychologues, est le suivant : laissez tomber en oubliant l’enfant. Mettez une roche sur votre cœur de papa et essayez de refaire votre vie.
Qui sont les membres de votre association et combien sont-ils ?
— Nous avons une centaine de membres, mais ça, ça vient selon les cas, les succès ou le découragement face aux démarches qui n’aboutissent pas. Nos membres dont de tous âges et viennent de toutes les couches de la société mauricienne. C’est nous qui avons demandé et obtenu que le nom du ministère de la Femme soit changé en celui de Gender, parce que nous considérons qu’avoir un ministère de la Femme, qui s’occupe de la protection des femmes, c’est discriminatoire pour les hommes. Mais le problème, c’est que l’on s’est contenté de seulement changer de titre, car la manière dont agissent ce ministère et sa ministre est anti-hommes. Aucun de nos courriers adressés à la ministre depuis sa nomination n’a eu de réponse.
Quels sont les conseils que vous donnez à ceux qui viennent rejoindre SOS Papa île Maurice ?
— Qu’il faut que ceux qui se retrouvent face à un divorce s’informent, lisent les textes de loi, se tiennent au courant des procédures qui prennent du temps, avant d’aller en cour. Avant d’entrer un cas, il faut savoir que c’est une bataille qui va prendre du temps, beaucoup de temps. Il faut également ne pas prendre conseil dans la famille ou des amis, qui bien souvent donnent des avis sans savoir. Il faut aller voir un professionnel neutre qui va donner le conseil, ne pas se fier au parent ou à l’ami qui abonde dans votre sens. Quand vous allez en cour, vous ne vous battez pas contre votre femme, mais contre un adversaire contre qui l’homme de loi n’hésitera pas à utiliser toutes les armes pour remporter la victoire.
Depuis quelque temps, SOS Papa s’est aussi occupé d’un autre secteur : celui de la violence domestique. Pourquoi ?
— Effectivement. Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que dans les cas de violence domestique, les autorités et la société ont tendance à penser que ce sont seules les femmes qui sont des victimes, pas les hommes. Ce n’est pas vrai : il y a des hommes qui sont victimes de violence domestique, même si beaucoup n’osent pas en parler. Il arrive que quand un homme porte plainte à la police, il est accueilli par un « Eta, enn bel zom kouma twa to les to fam bat twa ?! » Cela humilie et décourage l’homme victime à revendiquer ses droits.
C’est également le cas pour certaines victimes femmes quand elles veulent aller porter plainte…
— C’est vrai. Mais avez-vous vu ou entendu des campagnes de sensibilisation nationale contre la violence domestique encourageant les hommes victimes à porter plainte ? Les campagnes encouragent plus les femmes que les hommes à dénoncer les violences dont ils sont victimes.
Admettez tout de même qu’il y a des hommes violents qui méritent d’être condamnés !
— Je ne dis pas le contraire, mais il ne faut pas généraliser et dire que la violence est systématiquement du côté de l’homme. Il ne faut pas faire aux hommes d’aujourd’hui payer pour des siècles de patriarcat. La situation n’est plus la même. Aujourd’hui, la femme est empowered, elle travaille, peut payer un avocat pour garder l’enfant et, en plus, elle sera soutenue par la société. Ce n’est pas le cas de l’homme qui est victime de violence domestique. Selon le ministère du Genre, au cours des sept premiers mois de l’année, 1585 femmes ont dénoncé des cas de violence et 343 hommes l’ont également fait et ces chiffres sont en augmentation. On ne sait pas combien n’ont pas osé franchir le pas parce qu’ils redoutent le regard de la société. À ceux-là, je dis qu’il ne faut avoir honte d’être une victime, il faut aller dénoncer, porter plainte pour se protéger. Mais malheureusement, il n’existe aucune information, aucune campagne de sensibilisation pour dire aux hommes qu’aux yeux de la loi ils ont les mêmes droits et les mêmes protections que les femmes.
Vous avez le sentiment en tant qu’homme, en tant que papa, que vous avez raté quelque chose dans votre vie ?
— Je n’ai pas pu partager l’amour que j’avais pour mon fils comme il l’aurait fallu. Comme je l’aurais voulu. Je connais des gens, qui font partie de mon association, qui sont tombés gravement malades à cause de ce genre de situation qui peut vous casser un homme…
Ou une femme ! Vous menez le combat pour l’égalité des hommes depuis 2007. Vous n’êtes pas découragé par le peu de résultats obtenus, selon vos dires ?
— Bien sûr que c’est décourageant, mais il faut continuer. On a amendé quatre fois la loi sur la violence domestique pour la rendre plus sévère, mais les cas sont en augmentation. Une ministre a dit que la loi sur la violence domestique sera à nouveau amendé pour mieux protéger les femmes. Et les hommes ? Et l’Égalité homme-femme ? Je sais que la loi est égalitaire pas plus en faveur des femmes que des hommes, mais dans son interprétation par nos institutions, dans la manière dont elle est mise en pratique par les autorités, elle protège les femmes au détriment des hommes. Quand on dit qu’on va mieux protéger les femmes, les victimes, on prend les hommes pour des bourreaux. Et vous savez ce qui est plus ironique dans tout ça : c’est que c’est une majorité d’hommes au Parlement qui va voter ces amendements contre les hommes ! Ils vont voter des lois qui vont pourrir la vie des hommes et n’apportent pas de résultats dans le combat contre la violence domestique !
Permettez une question très personnelle pour terminer. Quelles sont vos relations avec le fils dont vous avez perdu la garde alors qu’il n’avait que trois ans ?
— Il a aujourd’hui un peu plus de vingt ans et je viens tout juste de le retrouver, à l’occasion d’un mariage dans la famille, après quinze ans de séparation. Nous allons devoir apprendre à nous connaître, petit à petit. Il a été aliéné par ce qu’on lui a raconté sur moi pendant des années. Il va lui falloir prendre du temps pour me découvrir et que je fasse la même chose. J’espère que ça va bien se passer entre nous.

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