En chute libre…

Nous vivons au cœur d’un paradoxe permanent.
D’un côté il y a, affichées partout, ces images de Maurice-PDS-IRS vie luxueuse en villas qui se chiffrent en dizaines de millions d’euros ou de dollars, intérieur chic, varangues lumineuses, piscines à débordement, là où « tout n’est que beauté, luxe calme et volupté ». Il y a cette île Maurice, vers laquelle se précipitent de plus en plus de riches expats, appâtés par ce qu’ils perçoivent comme une certaine qualité de vie au soleil, et des impôts moindres que dans leurs pays d’origine.
Et puis il y a cette île Maurice où depuis 20 jours, un homme, est en train de faire une grève de la faim, pire que dans l’indifférence, dans le mépris gouvernemental le plus total. Cet homme tente de faire entendre que pour la majorité des Mauriciens, le prix de l’essence est prohibitif. Sans doute pas pour ceux qui roulent en Jaguar et Porsche à plaque minéralogique personnalisée sur nos routes défoncées. Mais pour toutes celles et ceux qui sont affectés par la hausse constante du coût de la vie depuis le Covid, et qui peinent de plus en plus à s’en sortir pour les choses les plus élémentaires. Car le coût de l’essence a un impact sur tout le reste.
L’argument global est de nous dire que nous avons bien de la chance de vivre dans un welfare state, où l’éducation et la santé sont gratuites. Sauf que l’on tente de nous faire croire que cela relève d’une générosité des hommes au pouvoir. Alors que cela découle tout simplement d’une redistribution des ressources que nous produisons à travers notre travail, et des taxes que nous payons. Et aujourd’hui, les taxes que nous payons sur l’essence sont en train de nous asphyxier.
« La guerre en Ukraine » a bon dos.
Comment expliquer qu’aujourd’hui, alors que le prix moyen du litre d’essence à travers le monde est de Rs 52, il est à Maurice de Rs 74.10 ? Tout simplement par les taxes perçues par le gouvernement pour remplir ses caisses. Le chairman de la State Trading Corporation viendra sans doute plaider le lapsus ou la mauvaise interprétation si l’on relève que sur les ondes de Radio Plus cette semaine, il a demandé comment les pensions seraient payés si le gouvernement ne récoltait pas ces taxes-là… Aveu de taille sur une gestion si peu transparente.
Loin de dire à la population qui l’a élu qu’il comprend ses difficultés et lui expliquer comment il œuvre, concrètement, à les alléger, le Premier ministre a fait montre d’une arrogance crasse d’abord en ignorant puis en ridiculisant l’action du gréviste de la faim. Une attitude classique de ce gouvernement. Qui conduit à se demander si nous sommes toujours en démocratie, alors que se multiplient par ailleurs les atteintes aux libertés civiques et à la libre expression, les arrestations d’avocats, les soupçons non démentis de plantage de drogue chez des opposants politiques ou autres personnes critiques du régime.
Comme à son habitude, le gouvernement balaie tout cela d’un revers dédaigneux de la main, affirmant qu’il ne s’agit là que d’une campagne de l’opposition et de quelques empêcheurs de merder en rond, de surcroit taxés d’antipatriotisme.
Reste que de Stockholm où il est basé, l’Institut International pour la Démocratie et l’Assistance Electorale (IDEA International), vient de rendre public mercredi dernier, 30 novembre, son rapport 2022 qui met en lumière un très net et très inquiétant recul de la démocratie dans le monde cette année. Et à Maurice, notamment.
Intitulé « The Global State of Democracy Report 2022 – Forging Social Contracts in a Time of Discontent » (Rapport sur l’état de la démocratie dans le monde en 2022 : forger des contrats sociaux dans une période de mécontentement »), ce rapport révèle que non seulement les régimes autoritaires ont durci leur répression en 2021, mais aussi que la moitié des gouvernements démocratiques dans le monde ont subi un déclin. Sur les 173 pays couverts par ce rapport, 52 démocraties étaient en déclin en 2021, comparé à 12 il y a une décennie. À l’échelle mondiale, le nombre de pays qui penchent vers l’autoritarisme est plus de deux fois supérieur à celui des pays qui tendent vers la démocratie. Les indices de l’état de la démocratie dans le monde indiquent que les régimes autoritaires ont accru leur répression et que 2021 a été la pire année jamais enregistrée à cet égard. De plus, en 2021, le monde a perdu deux démocraties de plus : le Myanmar et la Tunisie.
Mais à côté des pays dont l’autoritarisme se durcit, (par exemple l’Iran où les femmes mènent actuellement un combat acharné pour leurs libertés fondamentales), il y a également, souligne ce rapport, des pays qui s’éloignent d’un régime jusque-là démocratique vers un régime hybride ou carrément autoritaire. L’IDEA appelle cela le backsliding, qui se réfère à une érosion démocratique plus marquée et délibérée. Les dernières données indiquent qu’il y a sept pays qui se sont inscrits dans le backsliding : le Brésil, El Salvador, la Pologne de façon sévère, et l’Inde, Maurice et les Etats Unis de façon modérée. Oui, Maurice.
« Le recul de la démocratie dans le monde comprend la remise en cause de résultats crédibles d’élections, les restrictions sur les libertés et les droits en ligne, le désintérêt des jeunes à l’égard des partis politiques et de leurs dirigeants isolés des réalités, la difficulté de lutter contre la corruption » souligne ce rapport. « Other issues of concern that pose a risk to democratic consolidation on the continent include the growing trend of Covid-19-related procurement corruption, police brutality and a shrinking civic space. The disruptions caused by the lockdowns at the onset of the pandemic have also led to an increase in violence against women, a drastic increase in gender-based violence, governmental excuses for cracking down on dissent, and an exacerbation of existing social inequalities”. Une description qui sied tout à fait à Maurice.
Dans sa systématique stratégie d’évitement, comme si ce dont on empêche de parler n’existe pas, le gouvernement mauricien a bien sûr omis de réagir à cette mise en lumière de l’érosion de notre système politique par une instance internationale de vigilance. Pourtant, après les rapports négatifs de V-Dem et de Reporters Sans Frontières ces derniers mois, il y aurait lieu de s’inquiéter. La confiance dans nos institutions est clairement au plus bas. Et il ne suffit pas de dire que c’est partout la même chose : le rapport estime ainsi que malgré les nombreux défis qu’elle rencontre, l’Afrique reste résiliente face à l’instabilité. Et que des pays comme la Gambie, le Niger et la Zambie connaissent une amélioration de la qualité de leur démocratie. « La lutte contre un espace civique restreint et les actions civiques dans plusieurs pays ont créé des possibilités de renégociation des contrats sociaux, avec des résultats variables selon les pays ».
Pour l’IDEA, il est plus que jamais urgent d’agir de façon déterminée selon trois axes :
Établir un nouveau contrat social qui comble le fossé entre ce que veut le peuple et ce que font les gouvernements, en mettant en place des institutions inclusives, accountable, et transparentes, orientées vers le développement durable.
Reconstruire les institutions existantes en remettant à jour les pratiques dans les démocraties établies, et les renforçant dans les nouvelles démocraties, en protégeant l’intégrité électorale, les libertés et droits fondamentaux, et les checks and balances essentiels à une démocratie saine et vivante.
Contrer l’autoritarisme et le backsliding démocratique en investissant dans l’éducation et en soutenant la société civile, en combattant la désinformation.
La question demeure : comment y arriver face à un gouvernement de plus en plus despotique ?
Saurons-nous nous mobiliser pour y répondre ?

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SHENAZ PATEL

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