État voyou

Jamais dans l’histoire du pays aura-t-on vu un gouvernement engagé dans autant de bras de fer à la fois. Les crispations sont sur tous les fronts. La tension est générale. Où que l’on regarde, il y a conflits, contestations, étouffement de voix contraires et initiatives liberticides. Le renvoi des municipales après sept ans de mandat des actuels conseils ne répond à aucune logique. Les villageois ont pu exercer leur droit de vote en 2020, les Rodriguais ont été appelés aux urnes en pleine explosion de la pandémie de Covid, les Français résidant à Maurice ont, par deux fois, été glisser leur bulletin de vote pour la présidentielle sans qu’il n’y ait la moindre anicroche.

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On peut aller au supermarché et se frotter les uns aux autres à la pesée pour les légumes et les fruits et aux caisses chaque jour, mais aller voter en bon ordre et en respectant les mesures sanitaires, c’est apparemment impossible. Mais tout le monde aura bien compris que la pandémie, que le ministre de la Santé ou de la « chanté » selon ceux qui apprécient ses prouesses vocales à répétition, en net recul, n’est qu’un prétexte pour le renvoi des municipales ? Parce que le moment est délicat pour le régime et qu’il court le risque de subir une grande débâcle à ce scrutin.

L’humeur de la nation est, en conséquence, au plus bas. La population a l’impression d’être agressée en permanence. Elle fulmine contre tout et surtout contre la cherté de la vie qui n’épargne plus personne à part les très riches qui prospèrent de manière indécente, même en temps de pandémie et de crise. La classe moyenne est obligée de revoir son train de vie et changer ses habitudes. Si le gouvernement avait pensé que c’est la consommation qui doperait la croissance, c’est raté. Les Mauriciens en général n’achètent plus que ce qui est vraiment nécessaire et, là aussi, c’est devenu hors de prix. Tout est désormais du luxe, même les produits du quotidien.

Et quelle surprise d’entendre le Premier ministre lors d’une sortie cette semaine nous annoncer, comme si c’était une terrible découverte, que nous importons 75% de nos besoins alimentaires. Ici même, alors que la pandémie de Covid faisait rage, que les frontières étaient fermées, que le fret maritime explosait, nous plaidions pour que, sans tarder, le pays s’embarque dans une vaste campagne visant l’autosuffisance en fruits et légumes que nos parents et nos grands-parents savouraient parce que c’était soit dans leur arrière-cour, soit ils les avaient obtenus gratuitement auprès de leurs voisins.

On a eu droit à toutes sortes de projets ni utiles ni urgents, mais rien ou pas grand-chose sur le front de la culture vivrière. Au contraire, les smart cities ont été relancées de plus belle, même sur des terrains marécageux. Selon une stratégie de développement, mot si cher et pourtant si creux en termes d’utilité sociale et d’ambition écologique. Mais il n’est pas trop tard pour relancer la machine, introduire des programmes d’aide vraiment stimulants et fixer des objectifs pour améliorer la production locale.

La colère qui a explosé la semaine dernière se fait désormais plus sourde. Et elle est plus dangereuse parce que, lorsque toutes les issues sont cadenassées, ceux qui pensent n’avoir rien à perdre peuvent aller à des extrêmes. La rage est contenue parce que la répression s’est abattue et continue à viser ceux qui n’acceptent pas les diktats du gouvernement et de ses laquais. Les arrestations sont arbitraires, les incarcérations sont abusives et les menottes humiliantes. De quoi provoquer des rancœurs tenaces.

Les événements de ces derniers jours sont venus alourdir davantage une atmosphère déjà bien pesante et malsaine. Les confrontations sont avec pratiquement tout le monde. Lorsque ce ne sont pas les parents qui fulminent parce que leur enfant né entre le 1er juin et le 31 décembre 2015 ne peut accéder au grade 2, c’est la guerre déclarée à une partie de la presse.

Et lorsqu’il a tout orchestré pour liquider le Mauritius Turf Club jusqu’à reprendre le Champ de Mars sans l’aval préalable du loueur qui est la mairie de Port-Louis, le gouvernement engage en parallèle une macabre partie de cache-cache avec un producteur d’électricité avec le risque que cela peut faire peser sur la fourniture de courant aux industries et aux consommateurs domestiques.

Il vient d’ouvrir un autre front avec le Bar Council après la semaine ubuesque qui s’est déroulée autour du Slovaque recherché par son pays. Le communiqué du Prime Minister’s Office est une ultime tentative d’absoudre l’État et Pravind Jugnauth en particulier, mais il ne répond pas à toutes les questions que cette déportation pose. Comment Peter Uricek qui, entre 2015 et 2018, a procédé à des activités illicites dans son pays, a-t-il pu s’installer tranquillement dans le pays à partir de 2019 avec l’aval des autorités, les services de l’immigration du Premier ministre et l’Economic Development Board ? Combien de Peter Uricek ou d’Alvaro Sobrinho sont encore sur notre sol en train de blanchir leur argent mal gagné ?

Le plus grave dans cette histoire, c’est que le bureau du Premier ministre nous explique qu’il n’a pratiquement rien fait et qu’il a juste autorisé les autorités slovaques à venir récupérer son ressortissant recherché par courrier aérien spécial. Ça se passe comme ça : un pays étranger décide de venir cueillir un de ses ressortissants et Maurice lui dit : venez, nos frontières sont ouvertes. Ce qui est sûr, c’est que les images de son avocat à terre essayant de faire respecter un ordre de la cour et bousculé par des policiers a fait le tour du monde et les touristes qui se documentent avant de se rendre dans un pays ont dû prendre bonne note des décisions singulières que prennent les autorités mauriciennes.

Tout cela fait que autocratie, une expression abondamment utilisée ces derniers temps, commence à faire un peu léger lorsqu’il s’agit de décrire ce gouvernement. Au regard de tout ce qui se passe, c’est à se demander si État voyou ou plutôt État de voyous ne serait pas plus approprié.

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