Faillite morale

La commission d’enquête a pris son temps. Le rapport est désormais du domaine public. Le résumé de ses conclusions : l’ancienne présidente de la République Ameenah Gurib-Fakim a outrepassé ses droits et elle a fait preuve d’une désinvolture et de pratiques qui sont incompatibles avec la fonction qu’elle occupait. La commission confirme en fait ce que la presse et le leader du MMM — qui était alors bien seul à être sur cette ligne-là —ont dénoncé : l’accueil tapis rouge réservé au « triangueur » international Alvaro Sobrinho par des personnes se trouvant au sommet de l’État et du gouvernement et la démarche illégale de nommer sa propre commission d’enquête pour faire la lumière sur ce dont elle était elle-même accusée. Elle avait été vivement encouragée dans cette voie par une partie de l’opposition, qui avait choisi d’ignorer allégrement la Constitution.

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La commission a également fait quelques préconisations qui devraient être utiles quant à la voie à emprunter pour que des personnes ayant des responsabilités publiques ne puissent continuer à bénéficier des privilèges liés à leurs anciennes fonctions s’il a été établi qu’elles ont réellement fauté. Ameenah Gurib-Fakim avait pourtant tout pour réussir. Une femme, la première au poste de chef de l’État, et une scientifique appréciée au-delà de nos rives. Pas vraiment préparée pour assumer de telles fonctions et probablement mal conseillée, elle a très vite été prise dans le tourbillon du lustre de la State House et dès lors de la République. C’est un terrible gâchis.

Il faudra maintenant attendre les conclusions de la révision judiciaire qu’elle va solliciter pour se défendre avant de tourner définitivement la page d’une parenthèse « déchantée » au Réduit. Et si elle s’en sort, elle pourra enfin se lancer dans l’arène politique, un projet qu’elle caresse depuis un moment et dont elle ne fait plus aucun mystère. Si Rubina Jadoo-Jaunboccus, Raouf Gulbul ou Sanjeev Teeluckdharry, complètement démontés dans le rapport Lam Shang Leen sur la drogue, sont aujourd’hui accueillis à peu près partout comme des terribles, pourquoi pas Ameenah Gurib-Fakim demain, les machines à récurer et à laver toujours plus blanc n’ayant jamais fait défaut et les mémoires s’accommodant aisément de très grands trous.

Dans tout cet épisode peu glorieux, ce sont les postures des uns et des autres qui, en fin de compte, interpellent. Et il n’y a pas que les politiques ! La faillite morale a-t-elle atteint un point qu’elle a déjà enterré la lucidité, les principes, la probité et le respect du droit ? On peut être contre le gouvernement et il y a d’innombrables raisons de l’être, mais cela ne saurait en aucun cas justifier que l’on cautionne tout ce que disent et font ceux qui sont dans l’opposition à Pravind Jugnauth, ses ministres et ses protégés politiques.

S’il faut défendre ceux qui sont injustement attaqués, persécutés et que c’est même un devoir de tout démocrate épris de justice de prendre position et ne pas se dérober, cela ne signifie pas que les « victimes » du régime soient automatiquement dédouanées et qu’elles soient absoutes de tous leurs torts et leurs travers. Prenons le cas de Navin Ramgoolam. Comme il est considéré à tort ou à raison comme étant le principal challenger de l’actuel Premier ministre, est-ce à dire qu’il faille tirer un trait définitif sur ce qu’il a fait et mal fait de 2005 à 2014, et tout gommer de son bilan pour repeindre le tableau uniquement en rose ? Non. Cela n’est ni honnête ni utile, et c’est en plus lui rendre un très mauvais service.

Certains assureront qu’il est moins mauvais que Pravind Jugnauth. Sans doute, mais cela ne veut pas pour autant dire qu’en son temps, il n’a pas été capable de tous les excès pouvoiristes. S’il a appris de ses trois passages à la tête du gouvernement et de ses quatorze ans d’exercice exclusif du pouvoir, tant mieux pour la suite et bonne chance. Toujours est-il que c’est cette confusion, cette manie du « brûler ce qu’on a adoré et d’adorer ce qu’on a brûlé » qui contribue à désespérer l’électorat et qui l’éloigne de la politique et des urnes. On ne peut pas crier sur tous les toits et dans toutes les réunions que le projet prioritaire est de redresser le pays et agir ainsi. Déambuler avec une gomme élastique et ajuster son propos et son projet selon les circonstances.

Quant au Premier ministre, qui aime bien se montrer avant de profiter des vacances parlementaires en effectuant un petit jogging ou une tyrolienne à Rodrigues, et aller faire une longue tournée à New York, il devrait se montrer plus consistant dans sa démarche. On n’attend pas de lui qu’il ne se pointe que lorsque cela l’arrange et que cela conforte son agenda. Il s’est présenté devant la presse pour rendre publics les rapports de Paul Lam Shang Leen et d’Ashraf Caunhye, mais pas celui de Bushan Domah sur Britam. Il aurait pu aussi venir avec ceux qui touchent à ses propres services, comme le document déjà soumis sur le naufrage du Sir Gaëtan qui a fait des victimes.

Nous l’avons déjà écrit ici même. Lorsqu’il y a mort d’homme, la transparence et la vérité des faits ne sont pas une option, une affaire de choix personnel ou celui du caprice d’un chef qui se croit au-dessus de tout, mais c’est un devoir et une obligation envers les proches des disparus et de la société. Il en est de même pour les travaux du Fact Finding Committee sur le décès d’une quinzaine de dialysés en pleine pandémie de Covid. Pourquoi le public paierait pour de telles enquêtes pour se voir ensuite privé de leurs constations et recommandations ? Où est passée la notion de l’intérêt public ?

Et puisque le cabinet FTI Consulting a apparemment terminé ses investigations à Mauritius Telecom, pourquoi ne pas en profiter pour lui confier pareil exercice à la State Bank, à Air Mauritius et sur la saga Pack and Blister et les achats Covid à Rs 1,2 milliard ? Tout ça débouchant sur une petite conférence de presse sur leurs conclusions. Rêvons…

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