Fenêtres : Notre poison quotidien

On se préoccupe beaucoup de notre santé par rapport au Covid

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Mais il y a une autre menace, peut-être encore plus explosive, qui évolue autour de nous, et en nous, sans que l’on semble s’en soucier outre mesure.

C’est ce qu’indique très clairement le dernier rapport de la United Nations Food and Agriculture Organization (FAO), consacré à l’utilisation des pesticides dans le monde en 2018. Un rapport qui désigne Maurice comme le premier pays au monde… en terme d’utilisation de pesticides par superficie de terres cultivées.

Certes, en termes de volume, les trois plus gros utilisateurs de pesticides au monde sont la Chine (1 774 milliers de tonnes), les Etats Unis (408 milliers de tonnes) et le Brésil (377 milliers de tonnes). Mais Maurice arrive en tête de liste de ce triste palmarès en termes de concentration : avec 2 795 kg de pesticides utilisés par mètre carré de terres cultivées, nous devançons respectivement l’Equateur, Trinidad et Tobago, Le Costa Rica, les Bahamas, la Barbade, Sainte Lucie, la Chine, Israël et les Seychelles. Et les derniers chiffres de 2020 indiquent un chiffre encore plus élevé de 3 418 kg par m3, soit une augmentation de 22,3% sur ces trois dernières années…

A titre de comparaison, nous utilisons à Maurice plus de 10 fois plus de pesticides par zone cultivée qu’en France.

Herbicides, fongicides et autres insecticides ont longtemps été considérés essentiels pour protéger les semis et récoltes de l’invasion d’autres plantes, de maladies diverses, de bactéries, de champignons, d’insectes, de rongeurs. Autant de choses qui mettraient gravement à mal la sécurité alimentaire et l’économie de chaque pays. Mais cette utilisation demande à être soigneusement évaluée et contrôlée. Ce qui n’est manifestement pas le cas chez nous.

Certes, le Pesticides Control Act, promulgué en 1970, est assorti d’un Pesticide Control Board chargé de réglementer l’importation, la fabrication, la vente et l’utilisation des pesticides à Maurice. Certes, nous avons Un Food Act et un Dangerous Chemicals Control Act. Mais cela était clairement insuffisant, comme le démontre un rapport du ministère de la Santé et du ministère de l’Agro-industrie en 2018, révélant une sur-utilisation dangereuse de pesticides dans nos champs. Ce constat devait amener, peu après, la promulgation du Use of Pesticides Act (UoPA). Mais à son tour, cette nouvelle loi n’a rien empêché puisqu’en 2019, un prélèvement effectué localement sur 500 produits agricoles à travers champs et supermarchés révéla que 20% d’entre eux contenaient des résidus de pesticides excédant largement les maximales autorisées. Certains de ces pesticides relevant de plus, carrément, d’une utilisation illégale. Avec même des « cocktails » de pesticides absolument non-autorisés.

Clairement, notre cadre légal et son application (ou absence d’application ?) ne suffisent pas à nous protéger d’une utilisation disproportionnée de pesticides autorisés, de surdosage et du recours illégal à des produits prohibés. Alors que les dangers sont énormes.

Il y a d’abord l’impact environnemental.

De très nombreuses études ne cessent de montrer les effets néfastes de la sur-utilisation de certains pesticides en termes de contamination des sols, de l’air et de l’eau par des produits chimiques hautement toxiques. Un récent rapport du Mauritius Research Council montre ainsi la présence de résidus d’herbicides dans notre eau plus d’un an après leur utilisation, et de plusieurs résidus dans l’air à des kilomètres de leur zone d’épandage.

Cette contamination des sols, de l’air et de l’eau entraîne une réduction de la biodiversité et une diminution de la fertilité des sols. Qui amène à son tour une utilisation plus importante de fertilisants chimiques. Mais même cela ne suffit pas. Il ressort ainsi que sur la période 2009-2020, nous avons enregistré une baisse de 21,3% en termes de rendement agricole.

Il est donc clair que cela met en danger, également, notre sécurité alimentaire.

Et il est encore plus clair que cela met en péril, directement, notre santé.

Il est symptomatique de noter qu’à Maurice, nous utilisons l’expression « met medsinn » pour désigner l’utilisation de pesticides. Comme s’il s’agissait de guérir quelque chose. Sans prendre en compte l’effet hautement néfaste.

Or, de plus en plus d’études montrent les liens directs qui existent entre le fait d’être exposé à une certaine quantité de pesticides et le développement de diverses formes de cancers. Notamment ceux du sein, du colon, de la prostate, des reins, du sang (leucémie). A Maurice, le cancer est devenu la 3e plus grande menace de santé, après le diabète et les maladies cardiovasculaires. Et nous occupions, en 2020, la 6e place au niveau africain pour ce qui est de la prévalence du cancer, et plus près encore du « sommet » pour ce qui est du cancer du sein, du colon et de la leucémie.

Les effets de certains pesticides sur la santé humaine ne relèvent pas que de la supputation. Le cas des Antilles le montre bien.

Alors même qu’elle se bat contre le Covid, la population martiniquaise et guadeloupéenne s’arc-boute en ce moment pour mener à terme le long combat juridique et sanitaire engagé pour obtenir réparation de l’intoxication au chlordécone qui touche pas moins de 90% de sa population.

Avant d’être le nom d’un énorme scandale, le chlordécone est le nom d’un insecticide utilisé dans les bananeraies de 1972 à 1993. Les risques cancérigènes de cet insecticide hautement toxique utilisé pour lutter contre les charançons sont pourtant mis en avant dès les années 70. Mais si la France interdit son utilisation en territoire métropolitain en 1989, elle permettra que le chlordécone continue à être utilisé aux Antilles jusqu’en 1993. Pour ne pas hypothéquer le commerce des bananes…

Or, il est prouvé qu’il s’agit d’un Polluant Organique Persistant (POP). Qui restera au moins 600 ans dans les sols et l’eau qu’il a contaminés.

Depuis des années, les Antillais se battent pour faire reconnaître le lien entre cette pollution toxique et l’explosion du nombre de cancers, notamment de la prostate, parmi sa population. Ce, dans le but d’obtenir réparation de l’État français.

Mais le combat est long. En 2006, plus de 2 000 personnes déposent une plainte collective devant le tribunal judiciaire de Paris pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Une plainte qui a fini par aboutir à une première audition… en janvier 2021. Soit 15 ans plus tard. Ce qui a amené les juges à évoquer une prescription des faits (durée au-delà de laquelle une action judiciaire ne peut plus être exercée).

Cette éventualité a déchaîné la colère aux Antilles. D’autant que les études scientifiques menées dans ce cas précis, y compris par Santé Publique France, corroborent les conclusions du Rapport Parlementaire de novembre 2019. Qui affirme que l’Etat français est « le premier responsable » de ce scandale environnemental et sanitaire aux Antilles. Ayant choisi d’ignorer les alertes lancées à de nombreuses reprises avant l’interdiction du produit.

Si elle est reconnue officiellement par les tribunaux, cette responsabilité ouvrirait sur des demandes d’indemnisation qui porteraient sur des milliards d’euros. Et ouvrirait la voie à d’autres réclamations de réparation pour exposition à des substances chimiques agricoles dangereuses, notamment en ce qui concerne un autre pesticide, le glyphosate.

A notre niveau, reste à voir ce que fera le gouvernement mauricien suite à ce terrible rapport de la United Nations Food and Agriculture Organization sur notre sur-usage de pesticides, y compris de pesticides en principe interdits.

Car contre, cette « maladie-là », nous n’avons pas de vaccin. Uniquement des « gestes barrière » qui doivent être posés et implémentés avec détermination. Renforcer les lois. Assurer leur mise en pratique scrupuleuse. Encourager et former nos agriculteurs à des pratiques plus responsables. Favoriser le développement de l’agriculture raisonnée. Et redéfinir urgemment la « sécurité alimentaire ». Pour dire que l’on ne parle pas là uniquement de la capacité d’un pays à assurer l’alimentation de sa population. Mais aussi pour resituer l’aspect santé de cette sécurité.

Car entretemps, chaque légume que nous mangeons, supposément pour notre santé, nous met en péril…

SHENAZ PATEL

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