Road rage

Il y a l’accroissement de 38% des accidents mortels sur nos routes. Et puis il y a toutes ces dites « micro-agressions », toutes ces manifestations de road rage dont nous sommes témoins ou victimes chaque jour. Comme si la route était devenue le lieu d’expression de la loi du plus fort qui semble de plus en plus prévaloir à tous les niveaux dans notre société…

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Histoire vécue. Mercredi dernier, à Rose Hill, où la vitesse est limitée à 40km/h, une femme au volant de sa voiture, conductrice sans accrocs depuis plus de 25 ans, voit une dame très âgée qui essaye de traverser, manifestement apeurée devant le trafic incessant. Après avoir vérifié dans son rétroviseur que le véhicule qui la suit n’est pas trop proche, elle ralentit, met son clignotant, s’arrête, fait signe à la vieille dame de passer.
Derrière elle, un homme dans sa grosse bagnole s’énerve: attendre 10 secondes, c’est trop pour lui. Il klaxonne comme un forcené, puis, quand elle redémarre, il la dépasse dans un grand crissement de pneus, et pile sec devant elle, la forçant à s’arrêter. Il sort alors en trombe de son véhicule et se dirige vers elle, menaçant, la traitant de “salte, pitin, doner fes” et autres gracieusetés.
Alors qu’il s’apprête manifestement à ouvrir la portière de la conductrice, elle lui demande, calmement, s’il y a un problème, en lui montrant le cutter qu’elle sort de son sac. Visiblement pris au dépourvu, l’homme cale, hésite, puis finit par repartir vers son véhicule non sans injurier copieusement toute l’ascendance et la descendance de la conductrice, et redémarre dans un grand emballement de moteur propre à impressionner les bambous…
Cette histoire n’en est qu’une parmi des centaines, des milliers d’autres. La conductrice en question a elle-même été confrontée à d’autres occurrences de ce type au cours de ces derniers mois, au point où cela en deviendrait presque « banal ». A chaque fois qu’elle en a parlé autour d’elle, elle a été frappée de constater à quel point sont nombreuses les personnes qui racontent avoir elles aussi subi ce genre de comportement.
Oui, les cas de road rage ne cessent de se multiplier sur nos routes, avec des gens qui ne tiennent plus leurs nerfs et qui se comportent comme des fous furieux dès qu’ils ont un volant entre les mains.
Les journaux témoignent de l’accroissement vertigineux du nombre d’accidents mortels sur nos routes. En moyenne trois décès sont déplorés chaque semaine depuis le début de l’année, portant le nombre de morts à plus de 100 au début de septembre, soit une hausse de 38% par rapport à l’année précédente.
Selon les statistiques, les principales causes des accidents de la route mortels à Maurice seraient la conduite sous l’emprise de l’alcool et l’excès de vitesse. Certains mettent aussi en avant le facteur aggravant que représenterait la densité du trafic routier. Maurice compterait environ 600 000 véhicules pour quelque 2 700 kilomètres de routes, ce qui donnerait moins de 5m carrés d’espace par véhicule sur nos routes. Ce à quoi viennent se rajouter les quelque 230 000 motos enregistrées. Et la façon jugée anarchique dont les deux roues se comportent sur la route. De fait, il ressort que l’on compte parmi les victimes de nombreux jeunes et motocyclistes. Ces derniers sont ainsi en tête avec 50% des décès, suivis des piétons à 37%.
Face au nombre élevé d’accidents mortels, certains estiment qu’il faudrait durcir nos lois, et introduire par exemple, comme en France, l’infraction d’homicide routier. L’article 221-6 du code pénal français prévoit que « Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende » (environ Rs 2.2 millions). En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende (environ Rs 3,7 millions).
A Maurice, une simple majorité parlementaire suffirait pour apporter des changements à nos lois à ce niveau. Mais certains légistes n’y sont pas favorables, arguant que les lois existantes font déjà les provisions nécessaires.
Ainsi, l’article 239 (1) du Code pénal régit le délit d’homicide involontaire par imprudence. Selon ce texte de loi, « Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements aura commis involontairement un homicide, ou en aura involontairement été la cause, sera puni due peine d’emprisonnement maximale de dix ans et d’une amende qui n’excédera pas Rs 150 000 ». La cour va aussi ordonner la suspension ou l’annulation du permis de conduire, et l’interdiction de conduire certains types de véhicules.
A cela s’ajoute l’article 133 du Code de la route qui prévoit l’annulation du permis de conduire du conducteur fautif et une interdiction de conduire tout type de véhicule pour une période de trois à cinq ans. Délai à l’issue duquel le conducteur devra repasser son examen de conduite, son nouveau permis de conduire portant une mention de sa condamnation pour homicide involontaire par imprudence.
De plus, le Road Traffic (Amendment) Act 2019 a été voté en mai 2022 pour rajouter la détection de drogues au menu des sanctions aggravées. Le ministre du Transport s’appuyant pour cela sur des chiffres indiquant que le Forensic Science Laboratory avait détecté de la drogue dans 194 échantillons pris sur des automobilistes impliqués dans des accidents mortels entre 2017 et 2021.
Depuis les années 1990, les sanctions n’ont cessé d’être durcies. Cependant, les statistiques ne montrent pas d’amélioration de la situation. Bien au contraire. Certains estiment que cela serait dû au fait que nous sommes trop axés sur la répression, et pas assez sur la prévention. D’autres sont d’avis que les campagnes de prévention ne servent manifestement à rien. D’autres encore affirment qu’il faudrait complètement revoir le système des examens pour l’octroi du permis de conduire, avec un nombre minimum d’heures d’apprentissage et l’octroi d’un permis probatoire d’un an avant l’obtention du permis final.
Mais tout cela pose la question de l’enforcement. D’une part par la police.
Il est ainsi édifiant de constater que les Mauriciens sont très peu nombreux à respecter l’obligation de s’arrêter aux passages cloutés. Cela constitue pourtant un délit passible d’une amende de Rs 1 500, et un nombre important de décès sont encore enregistrés sur des passages cloutés, mais l’on ne voit jamais de policiers aux alentours pour verbaliser les contrevenants.
Question d’enforcement d’autre part par la justice
Le 27 septembre dernier, un homme d’une trentaine d’années a été condamné en appel à
purger une peine de 12 mois de prison, renversant une décision judiciaire préalable de le condamner à des travaux communautaires. Cette affaire a trait à un accident mortel survenu à Congomah en 2017, lorsque l’homme avait été impliqué dans un accident ayant couté la vie à la passagère de la voiture qu’il conduisait alors qu’il était sous l’effet de l’alcool. Le Directeur des poursuites publiques ayant fait appel du premier jugement jugé trop clément, l’homme devra donc faire de la prison.
Il y a les accidents mortels, et puis il y a toutes ces dites « micro-agressions », toutes ces manifestations de road rage dont nous sommes témoins ou victimes chaque jour. Comme si la route était devenue le lieu d’expression de la loi du plus fort qui semble de plus en plus prévaloir à tous les niveaux dans notre société. La route tue, nous dit-on. Comme si le bitume se soulevait pour happer la vie des gens. Comme si ce n’était pas notre comportement sur la route qui est en cause. Dans l’indifférence générale, jusqu’à ce que la mort frappe au plus près de nous…

SHENAZ PATEL

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