Glo-o-ory to what ?

Il y a des bâtiments où il n’y a pas d’étage 13, des hôtels où il n’y a pas de chambre 13.
La date du 12 mars est-elle appelée de même à disparaître de notre calendrier ?
C’est en tout cas l’impression très forte qui se dégage cette année par rapport à la célébration de notre indépendance.
Certes, il y a eu en 2020 et 2021 l’écueil de la pandémie de Covid-21, les confinements prolongés, les restrictions de rassemblement pour raisons sanitaires, et l’année 2022 a souffert des conséquences des deux précédentes.
Mais cette année ?
Qu’est-ce qui justifie, en ce 12 mars 2023, que la célébration s’inscrive autant en demi-teinte, pour ne pas dire dans la plus grande non-célébration ?
Pas de grand rassemblement populaire autour du lever de drapeau comme il fut jusqu’ici la coutume, pas de défilé, pas de concert fédérateur. Pas d’invité d’honneur. Juste une commémoration en petit comité pour invités triés sur le volet à la State House à Réduit. Dans une conférence de presse l’avant-veille de l’événement, le ministre des Arts et de la Culture s’est contenté d’annoncer que la célébration s’échelonnera cette fois sur toute une année autour du thème « 55 an Larmoni Dan Nou Repiblik ». Cela peut être intéressant. Mais pourquoi l’un empêcherait-il l’autre ? Pourquoi cette impression de voir diluer l’importance symbolique du 12 mars ?
Il y aurait pourtant eu, cette année, des raisons toutes particulières de célébrer cette date marquant le 55e anniversaire de l’indépendance de Maurice et le 31e anniversaire de l’accession du pays au statut de République. Car si le 12 mars 1968 pouvait être entaché du détachement des Chagos et de la déportation infligée aux Chagossiens comme condition imposée par la Grande-Bretagne à sa colonie pour l’obtention de son indépendance, cette année marque justement le renversement de cette injure première. En ce 55e anniversaire, nous aurions pu célébrer le remembrement enfin obtenu de la République de Maurice. Car c’est bien à cela qu’équivaut la résolution des Nations Unies de reconnaître les Chagos comme partie intégrante du territoire mauricien, la décision finalement annoncée cette année par la Grande-Bretagne d’entamer des discussions avec Maurice à ce sujet, le rapport de l’influent Human Rights Watch rendu public le mois dernier classant l’excision des Chagos et l’éviction des Chagossiens comme crime contre l’humanité. Oui, la célébration de ce 55e anniversaire aurait pu revêtir un éclat tout particulier. Mais non. Rarement aura-t-on vu un 12 mars aussi uneventful.
Alors quoi ? Avons-nous atteint un stade de délitement où nous aurions le sentiment de ne plus rien avoir à célébrer ensemble ?
Paradoxalement, alors que le gouvernement minimise la commémoration et la célébration, on peut voir apparaître, sur les réseaux, dans les journaux, à la radio, dans divers lieux, l’expression d’une volonté farouche de marquer cette date et de proclamer cette mauricianité. Comme en réaction.
Certes, nous sommes une société postcoloniale qui a de profonds réflexes de division.
Nous sommes un pays où racisme et communalisme restent à fleur de peau, et ne demandent qu’à être caressés dans le mauvais sens du poil pour ressurgir.
En témoigne notamment ces jours-ci l’affaire de la chanson entonnée à pleine gorge par les élèves du collège Royal de Curepipe lors de la récente proclamation des lauréats. Certains diront que nous savons tous que la société mauricienne est communaliste, et qu’il n’y a pas lieu de jouer les vierges effarouchées devant cette vidéo.
Dans les années 1970, le Grup Kiltirel IDP, mauricianiste par excellence, avait popularisé une chanson intitulée Salame Bismila. Un demi-siècle avant le label Made in Moris, cette chanson, souvent entonnée dans les bus pique-nique, visait à valoriser la culture et la consommation locale, dans une approche satirique résolument festive. On y rencontre ainsi tour à tour un Anglais qui vend du bacon and eggs, un Américain qui vend du Coca-Cola, et un Français qui vend du camembert. Tous refusés au profit des plus locaux douri, briyani, ek dilo tambarin.
Dans son magnifique livre-CD Rekreasyon paru en 2009, le groupe Abaim, lui, revisite Salame Bismila, où l’on rencontre devant le musée un certain papa Misel qui vend des dodos en bois, puis près du Champ de Mars, un certain Misye Roupi qui vend des « fon san fon pou gagn roupi kare ». Satire directe d’un certain goût du toc et du zougaderisme, cette passion débridée des paris sur courses hippiques qui faisait alors des ravages dans le budget de bien des ménages.
Aujourd’hui, la version entonnée par les jeunes étudiants du collège Royal de Curepipe va bien au-delà de la satire. Elle est d’une agressivité rare, autant dans les paroles que dans la façon dont elle est vociférée poing levé, contre la communauté créole de Maurice. Qui, là où les Hindous vendent des brèdes malbar et les Musulmans du halim, soit des denrées alimentaires, est elle décrite comme vendant so lapo fes. À ces élèves fréquentant un établissement réputé pour accueillir « l’élite » estudiantine de notre pays, nous ne ferons pas l’injure de penser qu’ils n’ont pas compris à quel point ces paroles sont dévalorisantes et offensantes.
Mais le sentiment d’impunité avec lequel ils ont vociféré ces paroles, et la lenteur de la réaction de condamnation officielle qui a finalement suivi, disent amplement à quel point ces jeunes témoignent d’une tendance plus généralisée dans notre société.
Parce que 55 ans après notre indépendance, nous sommes toujours si peu conscients de notre véritable histoire, riche de constructions entremêlées. Parce que le roman national véhiculé par le pouvoir politique trouve son profit à minimiser, voire dévaloriser, l’apport de certains groupes ethniques à notre construction commune. Parce qu’un Père (dit de la modernité) voudrait effacer un Père (dit de la Nation).
Nous vivons aujourd’hui un délitement que ceux qui connaissent l’histoire de Maurice disent sans précédent. Un noyautage des institutions à tous les niveaux. Un affaiblissement marqué de notre fonctionnement démocratique. Et ce ne sont pas seulement que le pouvoir désigne comme « anti-gouvernement » qui le dénoncent. Cette semaine, l’organisme international V-Dem, observatoire de la démocratie dans le monde, a estimé dans son rapport 2023 que « la démocratie à Maurice ne tient qu’à un fil ». En fonction de divers indices, ce rapport fait notamment ressortir que Maurice fait partie des 35 pays où la liberté d’expression est en péril. Et alors que nous nous vantions jusqu’ici avec orgueil de nous distinguer par rapport à l’Afrique, nous sommes désormais classés dans la liste des 12 pays du continent qui accélèrent dans le sens de l’autocratisation, aux côtés du Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Tchad, Comores, Ghana, Côte d’Ivoire, Mali, Mozambique et Ouganda.
Pas de quoi se réjouir en effet.
Mais sans doute d’être vigilants, plus que jamais, face aux tentatives d’instrumentalisation des sentiments ethniques et religieux visant à approfondir la division et à détourner des enjeux véritables.
Avec la marée noire du Wakashio en 2020, la population mauricienne a montré dans un élan magnifique à elle point elle était attachée à ce pays. Et prête à se surpasser, individuellement et collectivement, pour en conserver l’intégrité.
En ce 12 mars, c’est peut-être cela que nous pouvons nous attacher à vouloir consolider et célébrer…
SHENAZ PATEL

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