Jean-Maurice Labour, vicaire général du diocèse de Port-Louis : « J’ai honte pour mon Église ! »

Notre invité de ce dimanche est Jean-Maurice Labour, le vicaire général du diocèse de Port-Louis.

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Dans l’interview réalisée vendredi matin, il justifie l’attitude de l’Évêché dans l’affaire du Père Alexis Wiehe et répond à des questions sur l’actualité de l’Église catholique à Maurice. Avec un franc-parler qui ne manquera pas de faire se dresser certains sourcils…

Commençons par ce communiqué qui a provoqué beaucoup de réactions au sein de l’Église. Pourquoi est-ce que l’Évêché de Port-Louis s’est associé, il y a quinze jours, à celui de Toulon pour annoncer dans un communiqué que le Père Alexis Wiehe est sous le coup d’une instruction canonique et civile en France, avec une photo du prêtre en guise d’illustration ?`
— Parce que le Père Alexis Wiehe a été ordonné prêtre pour le diocèse de Fréjus-Toulon pour son service. Le Père Wiehe a vécu son sacerdoce pendant plus de dix ans à Toulon et il n’est venu à Maurice que pour deux ans, ses services ayant été prêtés au diocèse de Port-Louis par celui de Toulon. Quand le Père Wiehe arrive à Maurice, les cas qui justifient les instructions que vous avez cités étaient déjà connus à Toulon.`

Vous voulez dire que ces procédures avaient été enclenchées par le diocèse de Toulon avant l’arrivée du Père Wiehe à Maurice ?
— Non, je ne crois pas que les procédures étaient encore enclenchées. Mais on avait connaissance du problème. Ce n’est que tout récemment que l’Évêque de Toulon, Mgr Dominique Rey, a – comme le communiqué le dit clairement – lancé une procédure interne qui enquête sur l’infraction au célibat du Père Wiehe et il y a  eu un signalement pour une procédure pénale. Ce qui suppose qu’il y a eu des victimes qui se sont faites connaître.

Pourquoi est-ce que le diocèse de Port-Louis a cosigné les accusations portées contre le Père Wiehe pour des faits qui se seraient déroulés à Toulon ?
— Parce qu’il y a eu aussi un signalement à Maurice. C’est sur la base de cette connaissance que Mgr Piat a parlé au Père Wiehe et ils sont tombés d’accord pour que ce dernier dispose d’un temps de réflexion et de discernement. C’est pour cette raison que Mgr Piat l’a envoyé en France, dans une communauté religieuse où il pourrait passer une période de six mois à une année. Mais à ce moment-là, les procédures canoniques et juridiques de l’Évêché de Toulon n’étaient pas dans l’actualité.

Ces procédures ont été déclenchées et sont actuellement en cours d’enquête. Est-ce qu’en publiant le communiqué conjoint, l’Évêché de Port-Louis ne fait pas fi de la présomption d’innocence du Père Wiehe ?
— La sanction d’éloignement du ministère public du Père vise deux choses : premièrement, protéger d’autres victimes potentielles et puis, il est logique que pendant une enquête, la personne visée est éloignée de sa responsabilité, pour la bonne conduite de la procédure. Mais les sanctions d’éloignement du ministère du Père Wiehe ne sauraient remettre en cause, de quelque façon que ce soit, la présomption d’innocence et ne préjuge en rien de l’issue des procédures. Ces sanctions seront levées ou prorogées selon les suites qui seront données aux différentes enquêtes.

Est-ce que la publication du communiqué n’était pas une manière de clouer au pilori le Père Wiehe ?
— Le communiqué a été publié dans le but de protéger les victimes potentielles. Parce que l’Église a beaucoup souffert, continue à souffrir, et paye cher le système qui a permis que non seulement des prêtres commettent des agressions, mais qu’ils soient plus protégés que les victimes. Je peux vous dire que le droit canon a évolué : jadis, il était centré sur le 6e commandement – le pêché d’adultère ; aujourd’hui, il tire la sonnette d’alarme et sanctionne à cause des victimes, des abus de pouvoir et des manipulations spirituelles exercées dans des cas d’agression. Avant, l’Église ne faisait rien et on nous condamnait. Aujourd’hui, quand on agit, on nous reproche d’en faire trop !

Est-ce que l’Évêché de Port-Louis ne s’est pas un peu précipité dans cette affaire puisqu’on vient d’apprendre que le Pape vient de diligenter une visite apostolique au diocèse de Toulon suite à des plaintes concernant des problèmes de gouvernance, d’abus sexuels et de dérives sectaires contre Mgr Dominique Rey
— Les questions posées par le Vatican à l’Évêque de Fréjus/Toulon ne datent pas de maintenant. Dans le passé, un Cardinal avait été nommé pour mener une enquête et des ordinations ont été interdites par le Vatican. Il est reproché à Mgr Rey d’être trop laxiste dans son discernement et d’accepter de gens – jeunes ou moins jeunes – venant de tous les horizons et de toutes les communautés.

Peut-on être sûr du discernement de l’Évêque de Toulon en ce qui concerne les accusations portées contre le Père Alexis Wiehe ?
— Les enquêtes en cours nous le diront. Mais dans le scandale des abus, l’Église a été coupable d’avoir laissé les agresseurs en possibilité d’agression sans les éloigner. Aujourd’hui, l’Église pratique, à la demande du Pape François, une politique de zéro tolérance, et je vous avoue que ce n’est pas facile. Parce qu’Alexis reste un collègue et c’est dur d’avoir à gérer cette affaire.

Expliquez-moi pourquoi l’Évêché n’a pas jugé bon de publier un communiqué quand, en janvier, un prêtre italien affecté à Maurice a été prié de lev so pake allé suite à des plaintes pour conduite « inappropriée » ?
— Cela a été annoncé officiellement dans son église…
…je vous parle d’un communiqué comme celui qui concernait le Père Wiehe…
— … chaque cas est un cas unique. Dans celui d’Alexis Wiehe, il y a eu des signalements officiels. Dans celui du prêtre italien de Rivière-Noire, il y a eu un seul signalement d’une relation par internet. Il s’agit également d’un prêtre qui appartient à un institut religieux qui s’appelle la Communauté du Chemin Neuf. Averti de cette situation, cet institut a pris des sanctions immédiates et rapatrié le prêtre tout de suite. Permettez-moi d’ajouter qu’un arbre qui se blesse ou tombe ne doit pas faire oublier la forêt qui continue à pousser.

Nous en avons terminé avec ce sujet qui, me semble-t-il, vous met mal à l’aise…
— Je vous avoue que ce n’est pas un sujet qu’on aborde avec joie. Un journaliste de La Croix a écrit qu’ « il y a des sujets sur lesquels un journaliste catholique souhaiterait ne pas avoir à écrire. » Je suppose qu’il y a des articles que le lecteur chrétien voudrait ne pas avoir à lire. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas contourner la vérité. Je vous dis franchement : j’ai honte pour mon Église, je souffre pour elle et je me dis : nous payerons cher ce que nous sommes en train de vivre. Ce problème d’abus de pouvoir n’en est pas seulement un de l’Église. Des juges, des magistrats, des enseignants, des politiciens, des chefs d’entreprises, chefs et sous-chefs pratiquent l’abus de pouvoir. L’Église est une société qui a tellement proclamé sa moralité et aujourd’hui, il y a le retour de manivelle et certains en profitent pour annoncer qu’ils quitteront l’Église catholique pour aller ailleurs. Comme si ce problème d’abus de pouvoir n’existait pas ailleurs et dans les autres religions !

Est-ce que, comme beaucoup le pensent, le mariage des prêtres serait une solution aux abus de pouvoir qui peuvent devenir sexuels ?
— Ce n’est pas un problème de célibat. C’est un problème humain qui existe dans tous les secteurs de la société. Les hommes trompent leurs femmes, et inversement, à bras raccourcis, sans se gêner. Je serai pour qu’un jour l’Église laisse le choix, au moment d’accéder au sacerdoce, entre le célibat et le mariage. Dans le Synode, j’ai dit clairement que je suis pour que l’Église ouvre la porte aux hommes mariés qui, libérés de leurs activités familiales, pourraient célébrer la messe. Cela dit, je trouve que le célibat est une valeur importante et est en affinité avec l’exercice du sacerdoce, mais il faut que ce soit un choix. Et entre nous soit dit, si demain, le choix était permis, est-ce que vous avez la garantie que les hommes mariés devenus prêtres ne tromperont pas leurs femmes ?

Je crois que vous venez de lancer une nouvelle polémique ! Le diocèse a fait appel de la décision de l’IBA en faveur de la MBC dans l’affaire du message de Noël censuré du Cardinal Piat. Est-ce que ce n’est pas une démarche après la mort la tisane, dans la mesure où le message avait été, par la suite, diffusé dans son intégralité ?
— Est-ce qu’après avoir commis un crime, on peut l’effacer quelques jours après ? Selon la loi, la MBC doit être indépendante et impartiale. Elle a censuré le message du Cardinal, en modifiant son sens, sans consultation avec l’intéressé. Diffuser l’intégralité du message de Noël, quatre jours après, lui fait perdre son effet, mais c’est aussi un aveu que la censure n’avait pas lieu d’être et c’est pour cela que j’insiste pour que la MBC présente ses excuses. Il faut que les institutions de la République, comme l’IBA, fonctionnent et exercent leur rôle, selon la loi.

Pour le 1er février, jour de la célébration de l’abolition de l’esclavage, vous avez déclaré que « ceux qui ont la peau noire subissent toujours le racisme et la discrimination. » Pour sa part, le Cardinal Piat a évoqué son cheminement sur la question du malaise créole et de la langue kreol. Est-ce que l’Église serait en train de reconnaître ses erreurs sur cette question, très douloureuse pour beaucoup ?
— Oh oui ! Je crois que le témoignage de Mgr Piat est un landmark dans son épiscopat. Il a dit avoir commencé son épiscopat sous le souffle de Roger Cerveaux, qui avait mis le doigt sur cette question. Il s’est remis en question en tant que Blanc, dont les ancêtres étaient probablement propriétaires d’esclaves. À la fin de son mandat, si on peut dire, il est venu dire devant le peuple…

…il est venu se confesser en public…
— Oui, c’est une confession, c’est un témoignage d’une grande humilité pour dire qu’effectivement, l’Église faisait partie du système colonialiste et pratiquait l’esclavage, qui est aujourd’hui reconnu comme un crime contre l’humanité. L’Église est en train de dire c’est ma faute, c’est ma très grande faute dans tous les domaines. Elle est en train de se regarder en face, de regarder son passé. Le Pape François se rend compte que dans cette crise majeure que traverse l’Église, des fidèles se sentent abandonnés d’elle, laissés sans défense, comme Jésus s’est senti abandonné. Le témoignage de Mgr Piat est un tournant majeur pour montrer l’attitude humble de l’Église qui reconnaît toute la question du malaise créole, et doit répondre à la question posée par un des collègues : qu’est-ce que l’Église fait pour le Créole ?

Vous venez de parler du Pape François. On parle de plus en plus d’une guerre ouverte entre ses partisans et les conservateurs au sein de l’Église. Est-ce que c’est un autre malaise qui secoue l’Église ?
— Je ne sais pas si on peut parler de malaise. Il existe un conflit de l’ouverture et de la fermeture de l’Église. Le Pape a commencé à nettoyer, si on peut dire, la Curie, son conseil des ministres. Après son élection, il les a réunis et leur a dit : « Vous êtes frappés d’Alzheimer intellectuel ! » Ce Pape, qui vient d’Amérique latine, avec des églises qui ont été confrontées à la chose sociale, à la dictature, à l’interrogation sur le communisme, est en train de continuer le travail commencé sous Benoit XVI pour mettre fin aux scandales financiers, aux abus de pouvoir et la dénonciation du cléricalisme, entre autres. Forcément, ça dérange tous ceux qui ont basé leur appartenance cardinalice ou épiscopale sur ce fonctionnement. Je reconnais que dans l’Église en général …

…y compris celle de Maurice
— …y compris  à Maurice, tout le monde n’est pas d’accord avec cette ouverture du Pape François. En ce qui me concerne, je suis 100% d’accord avec lui. Je trouve que c’est un prophète des temps modernes et je me demande ce qui se passera après lui, tant il y a des forces à l’intérieur de l’Église qui refusent cette ouverture.

Autre sujet, local celui-ci : est-ce que les relations Église /gouvernement se sont améliorées ? Est-ce que le dialogue entre ces institutions existe ?
— Nous sommes en partenariat avec l’État dans plusieurs domaines. Cela ne date pas d’aujourd’hui et, à ce niveau, le dialogue existe, comme dans le domaine de l’Éducation, par exemple. Au moment ou nous ferons la louange des lauréats, ce vendredi, le système éducatif continue à rejeter, et ce, depuis des années, 30 à 35% des enfants en dehors, malgré des milliards de budget. Malheureusement, c’est un système qui condamne à l’échec. Mgr Piat a dit que nous avons pris 150 ans pour reconnaître l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Dans 100 ans, on accusera notre génération de non-assistance aux enfants en danger dans nos écoles et nos collèges avec nos 30% de laisser-pour-compte over the years ! Nous travaillons avec les institutions d’État pour lutter contre la pauvreté, le manque de logement, la drogue, dans un dialogue souvent contradictoire. Mais sur l’ensemble de ce qui se passe dans le pays, nous sentons que, depuis le discours de Mgr Piat le 8 septembre 2020 au Père Laval, nous sommes dans une situation de working arrangement conflictuel.

Dans le sillage de l’affaire Franklin, le leader de l’opposition a déclaré que « Maurice se rapproche dangereusement d’une narco State ». Votre commentaire sur cette déclaration.
— Cette situation me fait peur depuis longtemps. Sans que nous ayons la capacité de le prouver, il y a trop de faits qui mettent des doutes dans l’esprit du Mauricien en ce qu’il s’agit d’une possible collusion entre des politiques et les narco trafiquants. Au début de mon sacerdoce, j’ai beaucoup travaillé dans le domaine de la lutte contre la drogue avant d’être envoyé à Rodrigues. À l’époque, on avait dit que j’avais été envoyé en exil pour avoir dit qu’il n’y avait pas de volonté politique pour lutter contre la drogue. Aujourd’hui, le problème de la drogue est pire que celui que nous avons connu dans les années 80 du siècle dernier ! Aujourd’hui, il y a le synthétique, la désespérance des jeunes – surtout de ces 30% rejetés par le système éducatif – qui se laissent séduire par l’argent facile.
Dans les poches de pauvreté, il y a des châteaux et des voitures de luxe. Comment des centres commerciaux et des résidences de luxe peuvent être construits aussi facilement ? D’où sort l’argent ? Ça fait peur. Des politiciens, de tous les bords, profitent de l’argent facile de la drogue pour les élections. Tout est interconnecté : quand on ne fait pas de réforme électorale pour pouvoir contrôler les finances des partis, ils sont tentés de trouver de l’argent facile pour financer leurs campagnes électorales. C’est cette interconnexion des problèmes qui fait peur et qui pousse les jeunes qui le peuvent à quitter le pays.

Revenons à l’Église avec cette question qu’on m’a demandé de vous poser : malgré toutes les déclarations du Pape sur l’ouverture et la modernisation, pourquoi est-ce que l’Église continue à interdire aux divorcés – qui sont de plus en plus nombreux – la communion ?
— Il faut dire à la personne qui a posé la question que, bien souvent, l’Église avance plus vite que ses fidèles. Alors que beaucoup de prêtres sont très ouverts sur cette question, des paroissiens continuent à avoir des comportements d’exclusion. Ce n’est pas seulement une question de divorce, mais de familles reconstituées. Je connais des couples qui, après une séparation et un divorce, vivent des moments de responsabilité formidables avec leurs enfants et les ex-conjoints, mais ne peuvent pas communier. Et je connais aussi des gens qui trompent allègrement leurs conjoints et qui, en tout bien tout honneur, viennent se confesser et communier. Dans plusieurs déclarations, le Pape a offert des possibilités pour les divorcés remariés d’accéder à la communion. Mais il ne s’agit pas de l’accès ponctuel à un sacrement, mais de tout un cheminement spirituel qui débouche sur la communion que le Pape encourage.

Je vais maintenant vous poser la question que je pose aux responsables de l’Église depuis plusieurs années : quand est-ce que le prochain Évêque de Port-Louis sera nommé ?
— Le Nonce apostolique a dit, à la fin de l’année dernière, que ça ne saurait tarder. Mais je vous avoue que moi aussi, je pose la question suivante à mon Église: quelle est la difficulté pour nommer un évêque ? J’interroge aussi la congrégation des Évêques sur leur système de nomination qui consiste à identifier trois candidats après consultation.

Avec qui ?
— Sachant que le Nonce apostolique est tellement loin du diocèse, on se demande qui il peut consulter ! Je pose à l’intérieur autant de questions comme les vôtres, que les gens se posent de l’extérieur. Le Pape encourage à écouter ce qui sort du Synode, qui demande à tous les fidèles de dialoguer, de s’exprimer sur le fonctionnement de l’Église, au lieu de se contenter de sa gestion cléricaliste et pyramidale. Beaucoup de mes paroissiens ont dit que l’Église ne travaille pas suffisamment aux transitions, pas seulement pour nommer un Évêque, mais au niveau des responsabilités de tous ses mouvements et de la gestion des paroisses. Ce qui fait que, malheureusement, vous avez à ces postes des vieux indéboulonnables qui traînent la patte et ralentissent l’allure.
Le Synode a sorti deux fortes résolutions : celle de donner la place aux jeunes et aux jeunes idées, aussi. Celle d’une Église ouverte qui sort pour aller à la rencontre des autres, au lieu de se renfermer sur elle-même et qui croit que la vérité est en elle. C’est à cause de cette attitude que nous avons vécu les scandales que nous connaissons. Nous nous sommes renfermés sur nous-mêmes en croyant que nous détenions la vérité. Or, la vérité est aussi dans les autres avec qui nous devons dialoguer.

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