Joanna Bérenger : « Au parlement, je vis les attaques récurrentes comme un véritable bullying »

l  Deux ans que vous êtes parlementaire. Qu’est-ce qui a changé dans votre vie ?

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La politique a pris beaucoup de place dans ma vie. Tout a changé ! À commencer par le temps alloué à ma famille. J’avais pour passion l’équitation, mais je ne la pratique plus. d’ailleurs, c’est une activité qui coûte cher et ma priorité est l’éducation de mes enfants. Ma façon de travailler sur le terrain aussi a évolué. J’apprends tous les jours, on prend des coups au Parlement et on renforce sa carapace.

l Justement, comment vivez-vous les critiques de la majorité dirigées contre votre personne dans l’hémicycle ?

Ces critiques sont récurrentes. Quand mon père a réalisé que mon choix d’entrer en politique était réel, son premier conseil a été « met to lapo krokodil. » Pour l’instant, la politique est un monde cruel, j’espère que cela évoluera. C’est vrai que depuis que je suis au Parlement, il y a des attaques personnelles, des insultes, des remarques sexistes… Je vis ces attaques récurrentes comme un véritable bullying. Mais je ne répliquerai jamais en utilisant le même langage que ceux qui me critiquent: je tiens à cela. Je ne tomberai pas à ce niveau, et ce, même s’ils sont dans la dévalorisation et la déshumanisation de l’autre. D’ailleurs, je ne fais pas aux autres ce que je n’aimerais pas qu’on me fasse. J’espère qu’ils s’en rendent compte. C’est perturbant de faire son discours avec des remarques, en entendant de petites insultes par ceux dont le micro est éteint. Dommage que le public n’entend pas tout cela. Ce n’est pas facile de rester concentrée dans ces conditions-là. C’est pour cela que je dois régulièrement m’arrêter et demander au Speaker d’agir. À la fin de mon discours sur l’Offshore Petroleum Bill, au moment où je dis que j’allais conclure, l’honorable Nuckcheddy s’est permis de lancer : Ah, enfin ! Pour moi, c’était la remarque de trop. J’ai demandé au Deputy Speaker de réagir, mais tout ce qu’il a trouvé à me dire c’était de ne pas lui apprendre à faire son travail. Malheureusement, on ne freine pas assez ce genre d’attitudes déplacées. Du coup, ils se donnent à cœur joie. Mais je n’ai pas d’autre choix que de faire avec. J’espère qu’ils remarquent que de mon côté mon attitude n’est pas comme la leur. Malgré les insultes, je n’agirai jamais comme eux.

l Ne pensez-vous pas que les critiques peuvent aussi faire partie du jeu politique ?

Le fait est que je suis la fille de Paul Bérenger. Je dirai toujours qu’autant j’ai hérité de son nom, ses valeurs et que je n’hériterai jamais d’un poste, car je suis trop attachée au concept de la démocratie, mais que j’ai aussi malheureusement hérité de ses adversaires. Et ça, il faut que je m’y fasse, ça fait partie du lot. Il y a aussi le fait que je suis une femme qui refuse d’être un vase à fleurs. Beaucoup d’hommes ne sont toujours pas habitués à ça, mais sans doute à voir des femmes qui laissent passer les remarques et qui ne se prononcent pas. Quant à moi, je ne veux pas “soutirer” cette médiocrité, donc, je m’exprime. Il est probable que, ça ne leur fait pas plaisir ou peut-être qu’ils me voient comme une menace.

l En toute franchise et objectivité (si possible), qui, du côté de la majorité, se distingue à vos yeux ?

Je n’en vois pas, d’autant que tous soutiennent la politique de Pravind Jugnauth. De leur côté, les jeunes du MSM en qui beaucoup avaient placé leurs espoirs agissent comme les anciens.

l Parlons de l’Offshore Petroleum BillEt si ce projet de loi présentait des opportunités pour Maurice, pourquoi est-ce que vous vous y opposez farouchement ?

Dans la balance, les désavantages pèsent plus lourd que les avantages. L’impact sur l’environnement, le risque d’anéantir notre démocratie, les pays où l’on a découvert le pétrole sont les plus corrompus… Ce n’est pas pour rien qu’on parle du oil curse. Je m’efforce d’ouvrir les yeux de ceux qui croient au MSM quand celui-ci vient dire que « si nou gagn petrol nou tou pou dan bien. » Ce qui est complètement illusoire. Ce projet de loi tout comme l’IBA (Amendment) Act viennent cristalliser les intentions du MSM qui est de museler l’opinion et accaparer les biens pour garantir sa longévité politique.

l N’y aurait-il pas quand même quelque chose de bien, de bon dans les actions gouvernementales depuis 2019 ?

Lesquelles ? Chaque jour apporte son lot de scandales, de l’utilisation de la MBC comme outil de propagande à outrance, à la gestion de l’échouage du Wakashio ou encore la mainmise sur les institutions comme l’Electoral Supervisory Commission sur laquelle dépend notre démocratie… J’ai du mal à voir ce que le MSM peut avoir fait de bon depuis 2019. Par ailleurs, le Covid-19 a bon dos pour le MSM. D’accord, que celui-ci n’est pas responsable de la pandémie. Mais qu’il en profite pour restreindre les libertés fondamentales des citoyens et qu’il ne sait pas gérer cette crise, c’est une autre chose. Depuis 2019, il y a un problème systémique par rapport à la méritocratie, à la corruption, aux appels d’offres… Au lieu de remédier aux défaillances qui se sont révélées dans le système, le MSM en profite pour restreindre l’espace démocratique.

l Quels sont vos arguments, à vous, pour l’abaissement du droit de vote à l’âge de 16 ans ?

C’est une mesure qui serait très importante à appliquer parce que nous faisons face à une défiance indéniable des jeunes par rapport à la représentation politique, donc le vote. Le taux d’abstention aux élections est en hausse, 22% en 2010, 26% en 2014, 23% en 2019… L’abaissement du droit de vote à 16 ans aiderait non seulement à lutter contre l’abstention, mais à rajeunir un électorat vieillissant. Par ailleurs, voyons le contexte actuel où l’urgence climatique nous a fait comprendre que ce sont les jeunes qui peuvent lead sur cette question, ils nous montrent la voie. Ils ont leur mot à dire sur les décisions qui sont prises. Prenons l’exemple de l’Offshore Petroleum Bill, je suis certaine que les jeunes de 16-18 ans ne voteraient pas le MSM à cause de cette loi qu’il veut faire passer. Les jeunes sont très sensibles à la cause écologique. Le droit de vote à 16 ans est une occasion pour la formation civique appropriée des jeunes citoyens. La sociologue Anne Muxel dit qu’il y a un temps d’inertie avant de passer à l’acte électoral. C’est vers la trentaine que nous serions actifs électoralement. Abaisser l’âge de droit de vote ferait avancer, si je peux dire, cette période active. Il est intéressant de noter ce que relève le Conseil de l’Europe à ce sujet, c’est-à-dire que « compte tenu des mutations sociopolitiques de ces dernières décennies et de la désillusion croissante à l’égard de la politique, l’abaissement de l’âge du droit de vote est devenu une question d’intérêt public. » Cela en dit long… Ceux qui sont contre le droit de vote à 16 ans évoqueront l’immaturité des jeunes et diront qu’ils sont influençables. Nous sommes tous influençables ! Les personnes âgées encore plus. D’ailleurs, elles se sont laissées berner par l’augmentation de la pension de vieillesse pour voter le MSM. Sinon, ce sont ces mêmes arguments (des contestataires) qui étaient utilisés pour ramener l’âge du droit de vote de 21 ans à 18 ans en 1976 et idem pour le droit de vote aux femmes en 1948. Du coup, nous devons évoluer avec notre temps. C’est un sujet qui est assez nouveau. En Europe, ce n’est qu’en 2007 que l’Autriche a mis le droit de vote à 16 ans. Et les résultats sont positifs, la participation des 16-17 ans est supérieure à celle des autres primo-électeurs plus âgés.

l À cet âge, la plupart des ados sont scolarisés ou en formation, dans un système qui encourage la compétition. À 16 ans, on est focalisé sur ses études, on ne s’intéresse pas ou peu à la chose politique…

C’est pour cela qu’il faudrait ramener le droit de vote à 16 ans. Quand ils sauront qu’ils ont ce droit, ils se l’approprieront. La génération d’aujourd’hui appelle à plus de responsabilités et a le désir de se sentir appartenir à la société. Et si on lui donne ce droit accompagné d’une éducation civique, je suis certaine qu’ils prendront conscience de ce que cela représente. Un changement dans notre système éducatif est donc primordial. Nous avons déjà une vision sur cette question. Le système éducatif est en effet trop centré sur la compétition et doit être en effet revu.

l Il n’empêche que le MMM cible un électorat qui, à 16 ans, est toujours en phase de développement vers l’âge adulte. Ça ne fait pas très sérieux, non ?

Comme je l’ai dit, ils ont leur mot à dire sur les enjeux d’aujourd’hui et qui les concerne en premier. Et puis, oui, effectivement, leur cortex cérébral n’est peut-être pas encore développé, mais de l’autre côté, la Children’s Act a mis la responsabilité pénale à 14 ans. Et si aussi la plupart des partis politiques accueillent des jeunes de 16 ans, et qu’à cet âge un jeune peut travailler selon les critères très précis de la Workers Rights Act, alors pourquoi est-ce qu’ils ne pourraient pas voter ? Nous ne proposons pas le droit de vote à 16 ans pour gagner des votes, mais pour renforcer notre démocratie et lutter contre l’abstention, dont le taux révèle une démocratie malade.

l Vous voulez vous adresser à la nouvelle génération mais, paradoxalement, le MMM donne l’image d’un parti figé dans le temps. Qu’envisagez-vous pour qu’il soit plus en phase avec la nouvelle génération ?

Vous dites que le MMM est figé dans le temps parce que le leader est le même… et qu’ils (la direction) ont le même âge ? Il faut préciser que ce leader n’est pas là parce qu’il s’est approprié ce siège. Mais parce que les militants ont voté pour lui. Notre Constitution prévoit l’élection de la direction et du leader chaque trois ans, donc oui, il (Paul Bérenger) est là et il a beaucoup à apporter à son parti. Mais pas que lui. Les dernières élections ont révélé une nouvelle génération de politiciens au MMM qui a la fibre patriotique et qui a le même dynamisme engagé dans le parti pour le pays. Cette nouvelle génération a déjà jeté les bases pour les élections de 2024. Aussi, à travers la création de la commission du développement durable, nous voulons montrer qu’il y a autre chose. Nous avons toujours été certes très sensibles à la question de l’environnement, mais accorder une place prioritaire au développement durable au sein des discussions qui ont lieu dans le parti, c’est dire l’attachement à cette vision dans le long terme. Cette commission démontre que nous ne sommes pas figés dans le temps, mais bien au contraire, nous sommes alignés avec lui. Ceux qui sont là depuis longtemps ont été plébiscités pour y être. Et méritent d’être là.

l Et en tant que jeune, êtes-vous intéressée à assurer la relève de votre père, prendre le leadership du MMM ?

Je n’ai pas besoin d’un poste pour travailler pour mon parti et le pays. Ce sont les militants qui choisiront leur leader. S’ils ne me choisissent pas, j’apprendrai et j’essaierai de comprendre pourquoi il ne m’ont pas fait confiance. Je suis profondément attachée à la méritocratie, laquelle fait partie des valeurs du MMM et je ne trahirai jamais ce concept.

l Et si votre parti accède au pouvoir en 2024, vous aspirez à quel poste ?

À rien ! Je suis déjà en train de travailler pour mon pays. J’interviens sur des projets de loi au Parlement, je fais des suggestions pour les améliorer, et rendre le gouvernement accountable à travers des questions parlementaires…

l Oui, mais vous êtes de l’autre côté. Pour des changements plus concrets, il faut être au pouvoir…

Je ne vise aucun poste en particulier. Une fois au gouvernement, c’est une équipe qui y travaille et non une personne, et ce, même si c’est elle qui leads.

l Que comptez-vous offrir à votre père à Noël ?

Honnêtement, je n’ai pas encore réfléchi à cela. Il aime les choses très simples… Mais cette année, nous avons décidé d’être encore plus solidaires de ceux qui passent par des moments vraiment très difficiles. Ce sera un Noël dans la simplicité. D’ailleurs, c’est cela l’esprit de Noël.

l Quels sont les sujets de discorde entre vous ?

Nous avons chacun notre personnalité respective. Du coup, nous avons aussi nos opinions et nos divergences de vue, ce qui est à mon sens très sain, sinon je ne serais qu’une extension de lui. Même si nous n’avons pas toujours les mêmes opinions, nous savons les exprimer de manière civilisée.

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