Juste ça ?

Une citation de Bernard Pivot, journaliste et écrivain français, m’a interpellée, ces jours-ci : « Ne demandons pas l’impossible : amour, bonté, tendresse, compassion, charité, affection, etc.… Juste, s’il-vous-plaît, de la bienveillance. » C’est vrai que la bienveillance c’est déjà beaucoup, mais j’ai envie de crier : « Sa memm tou ? » En est-on arrivé à ne nous contenter que de cela ? 

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Mes enfants, Natasha et Ludovic, ont bien imprimé ce mot que nous, en tant que parents, leur avons bien sonné à l’oreille. « Sois bienveillant avec tes profs ! – N’oublie pas d’être bienveillant avec les personnes âgées ! ». Ainsi de suite… à un point tel que je me suis même entendue dire : « Maman, tu nous fatigues à force de rabâcher la même chose ». Peut-être, mais il vaut mieux être sûr que cela soit bien assimilé.

Cette disposition d’esprit peut être acquise plus ou moins rapidement et est « appliquée » de manière spontanée ou en toute conscience, c’est selon. Il m’arrive d’être déconcertée devant une personne habitée par une grande et sincère bienveillance, déversant au détour une générosité et une disponibilité impressionnantes. C’est fou comme cet élan fait du bien. Cela a aussi le mérite de nous montrer à quel point l’humain est capable de bon et de bien devant celui qui en a un grand besoin. Il m’arrive tout aussi bien d’être choquée du manque total de bienveillance chez d’autres.

Revenons à l’amour, la bonté, la tendresse, la compassion, la charité et l’affection ! Ne sont-ils pas des sentiments innés chez l’humain ? Il est vrai que les blessures de la vie, le temps qui passe et l’environnement dans lequel nous vivons peuvent égratigner, et même enfouir profondément, ces qualités et ces vertus. Mais ces sentiments n’habitent-ils pas le cœur humain dès la naissance ? Sûrement que oui ! Ou peut-être bien que non ? Mais pouvons-nous aujourd’hui nous en priver juste « a koz ki a fer » et reléguer ces belles choses dans les armoires des impossibles ? L’auteur suggère de ne pas demander l’impossible. Impossible pour moi d’accepter cette triste fatalité !

Si nous commençons à ne nous contenter que d’une disposition de l’esprit encore à être acquise qui, en plus, peut aussi ne jamais l’être, cela voudrait-il dire que cela nous suffirait et que nous pourrions vivre dénués de ce qui fait le cœur même de l’homme ?

À vrai dire, cette citation, prise hors contexte, perd sans doute de sa force et de son sens premier. Cet homme de lettres ne peut pas adhérer à ces mots qu’ils avancent, c’est si peu ! Ce serait vide de sens puisque cela voudrait dire du coup qu’il se résigne à vivre dans un monde sans grande valeur, desséché même, ai-je envie de dire ! Cet homme de la culture française ne peut accepter que l’humanité ne subisse une descente inéluctable aux enfers. 

Ces lignes évoquées plus haut ne sont pas anodines et je préfère continuer à réfléchir au sens de la citation. Peut-on être bienveillant sans avoir une once des qualités, que Pivot cite, cachées quelque part en nous ? Son affirmation sous-entendrait-elle que la bienveillance réveillerait automatiquement l’amour, la bonté, la tendresse, la compassion, la charité et l’affection ? Chacun de ces mots en gras sont d’une puissance inimaginable car ils peuvent panser tant de maux. Un monde sans eux serait bien trop triste, avouons-le ! Ces sentiments qui sont un baume au cœur ne peuvent être enfermés dans des livres poussiéreux d’une bibliothèque oubliée. Ils ne peuvent passer aux oubliettes comme de bons souvenirs de l’époque d’avant tels des reliques qu’on retrouverait dans un monde devenu froid, insensible et impassible. Les pauvres de cœur, ici je parle de ceux qui connaissent la solitude, la maladie, les épreuves, le rejet, s’enrichissent tellement au contact de ces six petits mots aux vertus incommensurables.

Ils inspirent un idéal qui n’est mille fois pas utopique. Ces lettres reliées entre elles donnent vie aux mots qui n’ont pas besoin d’être écrits pour être compris. Ils ont juste besoin d’être éprouvés, vécus, pour être ensuite témoignés. D’accord avec vous pour une chose : ce n’est pas toujours chose facile ! Je renchéris en ajoutant qu’il est même souvent très difficile d’attester de ces vertus et qualités, et de manifester ces sentiments. La vie, les gens, les passants nous abîment au fil du temps, obligeant certains d’entre nous à nous revêtir d’une carapace plus ou moins épaisse. Nous avons parfois du mal à nous dévoiler, à nous exprimer, surtout lorsque nous croyons que cela nous rendra vulnérables. Cela se comprend parfaitement. Mais est-ce la bonne attitude ? Ce qui n’est pas bon pour dire le moins, c’est de ne plus s’attendre à un monde sensible et chaleureux.

Il faut aller plus loin, plus haut, que les mots de B. P. défilant sur un écran plat. Plus loin, il y a l’horizon qui ne cesse de s’éloigner quand je m’approche, ce qui me donne une impression d’infini. Plus haut, il y a le ciel, une myriade d’étoiles et le bleu immensément grand qui me donnent, eux, le désir d’éternité. Du coup, je me détourne de Pivot pour constater qu’il y a une chose que j’aime bien avec ce ciel que je vois : il n’y a ni frontière qui s’y dessine, ni limite. Cela est bien plus interpellant et même éblouissant, ce qui m’inspire à vouloir plus que le strict minimum. Alors, allons-y !

Je crois en la bienveillance, bien sûr. Mais je veux aussi croire que l’amour, la bonté, la tendresse, la compassion, la charité et l’affection sont encore possibles. Mais aussi la patience, le courage, la joie, la paix, l’entente… et pourquoi pas la considération, la reconnaissance et la courtoisie. Et pas que…

Sacré Pivot ! Tout a tourné autour d’une simple citation qui passait sur mon écran inerte, à l’insu même de l’auteur des mots subversifs ! Comme quoi dans ce monde hyper connecté, tout est possible. Alors, pourquoi l’essentiel ne le serait pas, pardi !

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