La chaîne

— Qu’est-ce que tu fais pendant ces longues soirées d’hiver ?
— Je mets des tricots, je rentre sous la couette et je regarde la télé.
— Qu’est-ce qu’il y avait d’intéressant comme ça à la télé, les élections en France ? Une nouvelle série ?
— Pour une fois, je n’ai pas regardé les chaînes de dehors.
— Ne me dis pas que tu as regardé la MBC tout de même ?!
— Je ne manque pas d’occupation à ce point. J’ai regardé la chaîne parlementaire.
— Dans quel bouquet tu peux avoir cette chaîne-là ?
— Nous on l’a sur My T. C’est la chaîne parlementaire.
— Quel genre de programme il y a comme ça sur cette chaîne parlementaire là ?
— Mais tout ce qui se passe au Parlement, tous les débats.
— Mais tu peux voir ça sur la MBC, non ?
— C’est pas du tout pareil. Sur la MBC tu vois juste la version qui met en valeur les ministres et les députés du gouvernement. Sur la chaîne parlementaire tu as les débats en intégralité. En ce moment, c’est le budget.
— Mais c’est rann toi, comme dit mon dernier. D’un côté tu as les gens du gouvernement qui te disent que c’est le meilleur budget. De l’autre tu as l’opposition qui dit que c’est le pire budget. Tu aurais mieux fait de regarder Netflix, il y a de mari nouvelles séries comiques, dramatiques ou burlesques. Tu n’as qu’à faire ton choix. Tu peux même avoir des versions avec sous-titres.
— Sur la chaîne parlementaire, tu n’as même pas besoin de choisir : c’est all-inclusive comme on dit dans les hôtels.
— Ah bon ? Tout ça il y a sur cette chaîne-là ?
— Oui toi, et en plus les acteurs parlent anglais, français et créole. Là que tu entends français je conne et anglais je débriye ! Tu n’as même pas besoin de sous-titres, je te dis ! Et en plus, tu passes ton temps à rire.
— Ils sont comiques comme ça les parlementaires ?
— Certains devraient aller jouer avec les Komiko. Surtout quand ils essayent d’improviser et de faire des jeux de mots. Parfois tu as l’impression de te retrouver dans une cour d’école pendant la récréation.
— Le Speaker ne met pas de l’ordre avec les parlementaires, il ne les empêche pas de faire du désordre ?
— Franchement te dire, quand tu regardes comment il fait, tu te demandes si ce n’est pas lui le grand grand désordeur du Parlement.
— Vrai même il est one-sided comme l’opposition le dit ?
— Tu as l’impression que ses oreilles et ses yeux sont braqués juste sur les parlementaires de l’opposition. Il se concentre sur l’opposition et ne regarde pas et n’écoute pas les parlementaires du gouvernement.
— C’est vrai qu’il expulse plus souvent les députés de l’opposition.
— Tous les prétextes sont bons pour les expulser. Et quand il n’y a pas de prétexte, il en invente. Depuis quelque temps, il se prend pour un dictionnaire.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Il classe des mots dans les catégories qui lui conviennent. C’est ainsi que pour lui, « shame », « unfair » et « dictature » sont des mots qui ne doivent pas être utilisés au Parlement. Pour lui, ce sont des mots unparliamentary.
— Assez donc.
— Je te jure. On a vu ça en direct. Deux députés ont été expulsés parce qu’ils avaient utilisé le premier mot et trois autres, cette semaine, pour les deux autres mots. Et comme d’habitude, ils l’ont été avec la complicité active du ministre de l’Expulsion.
— Ah bon, il y a un ministre de l’Expulsion à Maurice ?
— C’est le nom gâté qu’on a donné au vice-Premier ministre et ministre du Logement.
— Pourquoi ce nom gâté étrange ?
— Parce que c’est un spécialiste de l’expulsion. Il a commencé avec les squatters de Pointe-aux-Sables en 2020. Depuis ça, il s’est spécialisé dans l’expulsion des députés de l’opposition du Parlement. À chaque fois que le Speaker met dehors un membre de l’opposition, c’est lui qui présente la motion d’urgence pour rendre l’expulsion officielle.
— S’il fait comme ça, il mérite son nom gâté. Mais dis-moi un coup, c’est tout le temps comme ça au Parlement ?
— La plupart du temps oui. Je te dis que les parlementaires se comportent comme des élèves d’une école pendant la récréation, quand on cause n’importe pour se faire remarquer en croyant faire un joke. Comme l’histoire des coqs.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de coqs ?
— Tu sais qu’on avait posté une vidéo du ministre de la Santé chantant dans une fête, avec beaucoup de personnes, alors que les fêtes étaient interdites à cause du confinement ?
— Je sais surtout que, selon des amateurs, il chantait faux !
— Eh bien quelqu’un a fait une remarque sur ses talents de chanteur au Parlement. Le ministre de la Santé a répliqué qu’il allait continuer à chanter en ajoutant « PMSD so kok finn aret sante li. »
— Le Speaker n’a pas dit que le mot coq est « unparliamentary » ?
— Je t’ai dit qu’il n’écoute et ne regarde que l’opposition. Mais attend, c’est pas fini. Plus tard, un député du PTr a demandé à un autre du PMSD « eski to kok korek ? » ! Tu vois le niveau !
— Vrai même, c’est comme ça que ça se passe au Parlement ?
— Tu n’as qu’à regarder toi-même. La chaîne parlementaire, c’est le numéro 246 sur MyT.

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