Les super patriotes

Elle est revenue la saison des meetings socioculturels. Le thème, cette année, tourne autour des “anti-patriotes”. Comprenez tous ceux qui ne disent pas que nous avons un Premier super-canon, doté d’un charisme renversant et que tout ce que fait le gouvernement est tout simplement génial.
Entre les références aux coolies et autres allusions bien choisies devant un auditoire ciblé, le Premier ministre critique l’opposition et un titre de presse et s’en donne à cœur joie sur ce qu’il désigne comme des anti-patriotes.
On glosera longtemps sur l’utilisation de plateformes socioculturelles pour faire de la petite politique de bas étage et, pire, en présence de représentants diplomatiques, mais le leader du MSM, contrairement à son père, continuera à truster le socioculturel pour sa propre promotion et celle de son gouvernement.
Les cibles du PM, c’est-à-dire ceux qui critiquent ses actions et celles du gouvernement, seraient des anti-patriotes et lui et les siens des super-patriotes. Devenu désormais un genre d’expert en sémantique, il entend même faire la différence entre les anti-gouvernement et les anti-patriotes. Comme un nouveau classement à l’échelle du Sun Trust.
C’est quoi être un patriote? Selon ce qu’on a appris et compris, un patriote est quelqu’un qui aime son pays, qui est animé d’un esprit ouvert et d’une volonté farouche et, surtout, désintéressée de le servir et de le promouvoir. Comme on est loin de ceux qui se déclarent des super-patriotes auto-proclamés !
A moins qu’en tant que néo-expert en linguistique, le chef du gouvernement ait confondu avec nationalisme, conception agressive de la patrie et une notion bien dangereuse qui peut conduire à diverses formes de fascisme, ce qui, de temps en temps, caractérise d’ailleurs l’action de ce gouvernement.
Et c’est quoi être un anti-patriote? C’est se désoler qu’un propre activiste du PM soit décédé dans des circonstances suspectes et que le crime ait été maquillé en suicide par ses propres agences d’investigation ?
C’est faire part de ses inquiétudes que le Wakashio, un navire venant d’on ne sait où, a fini par s’échouer si près de nos plages, c’est accepter que toutes les institutions soient mises sous tutelle politique avec leurs membres animant des réunions partisanes ici et là, d’autres se permettant même de se placer de tous les côtés de la table pour ensuite revendiquer une prise de distance qui, jusqu’ici, n’a pas été officialisée.
On attend, en effet, toujours une communication de la Présidence de la République confirmant la démission de Me Désiré Basset de la Electoral Supervisory Commission, cette position étant conflictuelle avec son statut de défenseur de Pravind Jugnauth dans une affaire portant sur des dépenses électorales.
Est-ce être anti-patriote que de s’indigner qu’un agent politique soit nommé à la tête d’un holding brassant des milliards de roupies, et qu’un autre – à peine tiré d’une affaire de corruption, sans que les millions d’un proche n’aient été véritablement passés au crible – se retrouve, juste après avoir été nommé ou re-nommé conseiller spécial du PM, au coeur d’un nouveau scandale, celui de la fuite de documents judiciaires en plein procès impliquant précisément le PM ?
Pourquoi les anti-patriotes ne seraient pas, en fait, ceux qui se permettent de jouer sur les mots et les chiffres pour minorer l’étendue de la pandémie du Covid, alors que les morts se multiplient dans une indifférence et un mépris de la vie révoltants ?
C’est aimer son pays que de laisser ses compatriotes mourir dans des conditions exécrables et être placés dans des sacs entassés comme des détritus en attente d’être convoyés à la déchetterie?
C’est être patriotique que de foncer de manière extrêmement suspecte dans un texte qui donne au seul PM le droit de décider à qui confier la prospection de nos eaux territoriales, c’est-à-dire nous appartenant à nous tous en tant que Mauriciens, et établir si on peut les souiller et les polluer en tuant la vie marine pour quelques gallons d’huile lourde ?
Et si les vrais anti-patriotes étaient ceux qui ternissent l’image du pays, en le faisant atterrir sur des listes très peu reluisantes, qui le font dégringoler dans tous les classements internationaux, droits de l’homme, égalité des chances, méritocratie, corruption, liberté de la presse, et qui dilapident les biens publics (voir le rapport annuel du directeur de l’audit) en les accordant à des petits copains et dans la plus grande opacité ?
Et que dire du grand patriotisme qui consiste à disposer des milliards de la Banque de Maurice, des Mauriciens, par le biais de cette structure, Mickey ou micmac selon son sens de l’humour, la Mauritius Investment Company, et créer des SPV (special purpose vehicles) à la pelle pour échapper à tout contrôle quant à leur utilisation !
Les SPV, un coup c’est pour le métro (Rs 22 milliards), puis c’est pour les 12,000 logements à Rs 12 milliards avec le New Social Living Development Ltd, comme si la NHDC et la MHC, qui engloutissent déjà pas mal de milliards, ça ne suffisait pas! Et pour finir, voilà qu’un autre SPV a été créé pour les drains à Rs 10 milliards.
Et si le champion de l’anti-patriotisme qui s’ignore était ce chef de l’opposition qui, en 2014, écrivait à un chef d’Etat étranger pour lui demander de surseoir à sa décision de financer le Metro Express parce qu’il y a une échéance électorale imminente et qui a, ensuite, inauguré ce même métro un mois avant les élections suivantes, celles de 2019 ?
Comme quoi, il vaut mieux, de temps en temps, procéder à sa propre introspection, avant de sortir les grands mots et donner des leçons. Et la meilleure façon d’aimer son pays, c’est de tout faire pour qu’il soit beau, propre, juste, solidaire, inclusif, ouvert et tolérant. Ce sont ceux qui ne travaillent pas à la réalisation de ce projet qui sont les vrais anti-patriotes.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour